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Lettre ouverte à Monsieur Emmanuel Macron, Président de la République de France, par Kader Diarrassouba

Monsieur le Président, votre élection à la tête de la république française le 7 mai 2017 a sonné pour bien de jeunes africains comme un nouvel espoir, l’espoir qui diminue la peine de toutes les politiques antérieures de la Françafrique. Politique néo-coloniale décrite par François-Xavier Verschave comme « une nébuleuse d’acteurs économiques, politiques et militaires, en France et en Afrique, organisée en réseaux et lobbies, et polarisé sur l’accaparement de deux rentes : les matières premières et l’aide publique au développement. Le système autodégradant se recyclant dans la criminalisation. Il est naturellement hostile à la démocratie. » 

Avec l’espoir qui a les yeux brillants, nous rêvions, même si nous ne sommes pas encore réveillés, que votre jeune âge au moment de votre élection, 39 ans, transcenderait sur les volontés pour la plupart anti-constitutionnelles de se fossiliser au pouvoir. À juste titre, vous disiez dans ce que je résume dans ce pot-pourri de vos déclarations : « l’alternance générationnelle en Afrique n’est pas optionnelle, elle est mathématique. La conservation longue du pouvoir sans processus électoraux, sans cadre du pluralisme n’est pas une bonne chose. » 

Monsieur le Président, vous adressant à la jeunesse africaine à l’université de Ouagadoudou vous aviez également déclaré et je cite : « je ne vais pas venir vous dire que nous allons faire un grand discours pour ouvrir une nouvelle page de la relation entre la France et l’Afrique. Je ne suis pas venu ici vous dire quelle est la politique africaine de la France comme d’aucuns le prétendent. Parce qu’il n’y a plus de politique africaine de la France. Il y a une politique que nous pouvons conduire, il y a des amis, il y a des gens avec qui on est d’accord, d’autres non. Mais il y a surtout un continent que nous devons regarder en face. » 

Avec ce rendez-vous pris avec la jeunesse africaine dans le pays de Thomas Sankara pour ouvrir une espérance nouvelle, vous appartenez comme vous l’avez martelé à Ouagadougou, à cette génération dont l'un des plus beaux souvenirs politique est la victoire de Nelson Mandela et son combat contre l'apartheid, chassé par une solidarité panafricaine allant d’Alger à Rabat, de Luanda à Conakry. C’est cela l'histoire de notre génération à la quelle vous et nous appartenons Monsieur le Président .

Monsieur le Président, les réseaux Foccart et Pasqua longtemps décriés  semblent connaître à notre grand dam sous votre magistère, une recontextualisation géopolitique et géostratégique auxquelles s’accrochent les nouvelles dictatures africaines qui non seulement se vantent d’être ami-ami avec vous mais aussi, ont descendu le bonnet phrygien de la Marianne sur ses yeux, aveuglant le symbole de la liberté hexagonale qui normalement devrait déployer ses tentacules sur les tracés des pays francophones à nous légués par la colonisation.  

Monsieur le Président, pour le jeune ivoirien que je suis, je comprends très peu votre « ingérence saisonnière » ; la France qui intervient avec l’entrain du   harcèlement pour dégager M. Laurent Gbagbo et la même France qui reste amorphe et muette devant la brutalisation érigée en norme politique, les dérives dictatoriales sous M. Alassane Ouattara. Et même s’il vous semble que vous payez le solde des politiques passées de la grande France sur mon pays la Côte d’Ivoire, je ne vous apprendrai rien en vous faisant prendre note du principe de la continuité de l’administration qui vous demande de crier haro sur l’engrenage infernal qui a pignon sur rue, tordant le cou aux principes de base de la démocratie à travers des monstruosités politiques drapées dans les haillons d’une reconstruction économique et d’une requalification infrastructurelle. À ce stade de ma lettre, une question couperet : la démocratie en Afrique, particulièrement en Côte d’Ivoire selon vous, est-ce  sacrifier injustement les libertés individuelles sur l’autel de « performances économiques » toujours biberonnées à la mamelle de la puissance tutélaire que votre pays représente ? Ces performances économiques entre guillemets qui n’arrivent pas à endiguer l’exode massif de jeunes ivoiriens vers l’Hexagone à la recherche d’une vie meilleure malgré le taux de croissance élevé et le niveau de chômage au plus bas à en faire pâlir de jalousie votre pays la France. Cette super-croissance qui paradoxalement place la Côte d’Ivoire devant les pays en guerre en terme de demandeurs d’asile en Europe.

Monsieur le Président, pour que vous compreniez mes dires, une juxtaposition des cartes de la France et de la Côte d’Ivoire s’impose. C’est inimaginable, impensable que des députés en France, soient jetés en prison en totale violation de leurs droits, sans la levée de leurs immunités parlementaires, pour le « flagrant délit » d’avoir animé une conférence de presse consécutivement à l’arrivée avortée du leader du mouvement politique Générations et Peuples Solidaires, M. Guillaume Kigbafori Soro. Vous crieriez certainement aux loups, si Estelle et Laurent Macron, votre soeur et votre frère eurent croupi dans les geôles pour un délit de fraternité ; comme, on ne vous a pas vous, on les garde ! Une prise d’otage pour ainsi dire. C’est pourtant ce qui arrive en Côte d’Ivoire. Messieurs Rigobert et Simon Soro sont en prison pour être simplement les frères de M. Guillaume Kigbafori Soro qui à posteriori, s’est rendu uniquement coupable du refus de militer dans le parti présidentiel qui by any means necessary, veut garder le pouvoir d’Etat en utilisant les méthodes classiques de la dictature ; la caporalisation des médias, la justice inféodée aux desiderata des tenants de l’exécutif, la répression tout azimut contre les voix importantes mais discordantes avec le régime, le manque de liberté d’expression, l’imposition du Parti unique qui exige de libérer les « tabourets », entendez les fonctions lorsqu’on n’y milite pas. A ce propos, Ahmadou Kourouma, célèbre écrivain ivoirien nous indique que « la principale institution dans tout gouvernement avec un parti unique, c’est la prison. » 

Monsieur le Président, les rapports de la nouvelle génération politique française avec la nouvelle génération politique africaine, particulièrement ivoirienne doivent être véritablement décomplexés. Pas comme ceux menés par la politique « Ouattariennne » encore encline au complexe eurasien ; la génuflexion devant les institutions « blanches » et le manque total de respect aux institutions « noires » comme avec le rejet de la décision prise à l’unanimité par les juges de la Cour Africaine des Droits de l’Homme qui demandait à propos de l’incarcération des proches de M. Guillaume Kigbafori Soro, leur libération immédiate et l’arrêt des poursuites contre le leader de GPS. En réponse, le gouvernement ivoirien a annoncé le retrait de sa déclaration de compétence à la Cour, simplement parce que cette fois-ci, il reproche à cette institution panafricaine, son indépendance. Je vous rappelle, que l’Union Internationale des Parlementaires a renchéri en demandant à l’exécutif ivoirien, l’application pure et simple de la décision de la Cour Africaine des Droits de l’Homme qui est pour tout résumer que, « les poursuites engagées contre M. Guillaume Kigbafori SORO et ses proches, ont une motivation politique. »

Monsieur le Président, c’est bizarre que la jeunesse africaine en général et ivoirienne en particulier, prenne le contrepied du mimétisme entretenu par votre homologue Alassane Ouattara qui est en déphasage avec les aspirations profondes de la jeunesse de son pays, pour vous interpeller sur le terrain du bon sens et des valeurs cardinales partagées, aujourd’hui battus en brèche par le Président Alassane Ouattara, qui contre vents et marées encore basses, s’évertue pour organiser un transfert clanique du pouvoir avec semble-t-il, votre royale bénédiction. Monsieur le Président, la jeunesse à laquelle j’appartiens vous interpelle ! De vous, cette jeunesse n’exige rien de moins que soit revisitée, candidement, en matière d’intérêts bien compris, avant que la rue n’en dicte les nouvelles clauses, cette coopération franco-ivoirienne devenue inacceptable pour en extirper les scories qui pourrissent l’atmosphère de la francophonie dont l’un des organes, l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie, autrefois vigie de la démocratie, est devenue aveugle depuis l’avènement de l’ivoirien Amadou Soumahoro à sa tête. J’ose espérer que vous entendez cette houle qui hurle, ce besoin pressant en faveur d’un aggiornamento en harmonie avec la vision d’espérance prospective et de liberté portées par  la jeune communauté ivoirienne consciente, prête  au grand rendez-vous du donner et du recevoir pour mener dans la paix et avec dignité, la grande bataille de la défense des valeurs démocratiques en Côte d’Ivoire.

Monsieur le Président, les rapports de la France avec la dictature sont incestueux. Ce qui nous place dans une position de totale incompréhension face à la sédition contre les pratiques démocratiques en Côte d’Ivoire, sous le silence très bruyant de la France. Nous n’ignorons pas qu’il peut vous être indiqué la notion de souveraineté mais Victor Hugo nous rappelle bien « qu’au point de vue politique, il n’ya qu’un seul principe, la souveraineté de l’homme sur lui-même. Cette souveraineté de moi sur moi s’appelle la liberté ». Le pouvoir absolu abuse absolument en sanctifiant tout aux yeux du monde. Si vous avez pu exiger de Paul Biya qu’il libère Maurice Kamto avant que vous ne le receviez à Lyon, vous pouvez exiger de Alassane Ouattara, qu’il libère tous les prisonniers politiques et qu’il arrête les poursuites iniques contre ses opposants qui ne demandent qu’une seule chose en définitive, suivre l’aventure de leurs convictions en participant tout simplement à la prochaine échéance électorale présidentielle. Ni plus, ni moins. Il faut savoir dissocier l’Etat de droit des règlements de comptes.

Monsieur le Président, l’exclusion a causé trop de dégâts en Côte d’Ivoire avec pour personnage au centre de cette exclusion, Alassane Ouattara himself. L’histoire se répète parce que les foules sont dures d’oreille, l’histoire se répète avec la bêtise aussi. Le mouvement Générations et Peuples Solidaires qui compte plus de 300.000 adhérents en moins de sept mois d’activités malgré la répression brutale, ne veut pas rester en marge de l’exercice politique simplement à cause des caprices du Parti-Etat.

Monsieur le Président, j’indiquais d’entrée que nous ne sommes pas encore réveillés. Notre rêve continue avec vous mais nous en sommes au stade de la parasomnie ; très souventes fois, votre inaction et mutisme face aux reculs démocratiques notoires dans mon pays la Côte d’Ivoire, sont comme des électrochocs qui veulent nous tirer de ce qui devient une trop belle rêvasserie. Il est encore temps je crois, vous en êtes capable,  de mettre un terme aux micmacs politiciens qui ne font que pourrir la vie de millions de jeunes qui continuent de croire que Macron ne peut être le nouveau maçon de l’architecture des dictatures africaines, tolérées pour un prétendu  dynamisme économique qui s’avère après-coup, non inclusif. 

Kader Diarrassouba,

Jeune ivoirien, exilé en France depuis 6 mois, membre Générations et Peuples Solidaires ( GPS )



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