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L’histoire de l’Afrique ancienne, un passé multimillénaire à redécouvrir
Un livre collectif très documenté et remarquablement illustré, intitulé "L'Afrique ancienne" (publié chez Belin) vient rappeler la richesse de l'histoire du continent, très souvent ignorée. Entretien avec l’archéologue et historien François-Xavier Fauvelle, qui a assuré la direction de l'ouvrage. François-Xavier Fauvelle a été élu en novembre 2018 au Collège de France. Une interview accordéé à France Info.
L’ouvrage "réunit les meilleurs spécialistes au monde, quelquefois les seuls de leur domaine". Cela paraît incroyable…
François-Xavier Fauvelle : oui, mais c’est pourtant vrai ! Il y a assez peu de spécialistes de l’histoire de l’Afrique ancienne, alors qu’il y en a beaucoup pour l’Afrique contemporaine. Cela est notamment dû au fait que depuis le XIXe siècle, on a beaucoup d’archives. Pour les périodes précédentes, il y en a très peu, en raison d’une césure chronologique liée à la colonisation. Entre le XVIe et le XIXe, on dispose de sources européennes écrites. Avant le XVIe, les éléments écrits sont rares. Il faut donc se baser sur d’autres données : les sources orales, l’archéologie, l’art rupestre, la linguistique…
Tout cela nécessite des formations très spécifiques et longues. Or, aujourd’hui peu de pays peuvent offrir de telles filières. On les trouvent surtout dans les pays du Nord, et peu en Afrique. Au Maroc, cela fait seulement un an qu’a été créée une filière doctorale en archéologie. Même pour l’Ethiopie, qui a une tradition écrite depuis 25 siècles, tous les spécialistes éthiopiens travaillent à l’étranger !
Votre titre porte sur "l'Afrique ancienne" au singulier. Pourquoi pas "les Afriques" au pluriel?
Le titre d'un livre est l'objet d'une négociation entre le désir des auteurs et celui de l'éditeur... L'Afrique, ce sont effectivement plusieurs continents d’histoire ! On se trouve face à un ensemble de sociétés qui ont suivi des trajectoires très différentes. Une pluralité que nous avons voulu mettre en avant.
Au-delà, l'une des principales caractéristiques de l'histoire de ce continent, c'est qu'il échappe au rouleau compresseur de l’évolutionnisme historique tel qu’on l’a connu en Europe. Là, on part de sociétés comme celles des chasseurs-cueilleurs, de l’âge des métaux, pour aller vers des formes d’Etats centralisés, chaque époque effaçant la précédente. Et le réflexe est de considérer comme arriérées les sociétés qui n’ont pas suivi le même chemin.
Sur le continent africain, les innovations successives, facteurs d’évolution comme l’écriture, n’ont pas effacé les formes de société antérieures. Au contraire, on assiste à une cohabitation des formes culturelles, des formes de pouvoir. Les grands empires ont ainsi toujours vécu à côté des chasseurs-cueilleurs, des éleveurs. Ces derniers n’ont pas disparu quand les agriculteurs se sont installés. De plus, les sociétés africaines sont très plastiques : nomades, elles peuvent ensuite adopter des formes étatiques avant de revenir à l’état nomade.
Ces sociétés ont reçu les innovations que j’évoquais à l’instant. En ce qui concerne l’écriture, elles l’ont utilisée, mais pas forcément conservée car elles n’en avaient pas besoin. Certaines ont tout misé sur une activité pastorale et le recours systématique à la vache. Cela leur permettait d’être très mobiles dans le paysage et d’échanger avec des sociétés agricoles.
Comment fait-on pour caractériser ces différentes périodes et évolutions ?
Dans ce contexte, il faut faire très attention aux appellations ! Faut-il appeler médiévale la période qui va du VIIe siècle de notre ère au XIVe, comme on le fait pour le Moyen Age européen ? Mais que fait-on alors des populations de cueilleurs nomades et des chefferies qui ont subsisté très tard ? Ce sont là des questions très sensibles qui montrent un déroulement social et une séquence chrono-culturelle différente de ce qu’on connaît en Europe.
Vous consacrez un chapitre aux "Ecritures de l’histoire en Afrique". Pourtant, il se dit souvent que le continent possède peu de systèmes d’écritures. Cela expliquerait qu’on ignore son passé…
On entend souvent dire que l’Afrique n’a pas d’histoire, car elle n’aurait pas d’écriture. Tout cela est faux ! Depuis 4000 ans, le continent a connu une grande diversité des systèmes d’écriture en incluant l’égyptien. Il suffit de rappeler les traditions, en la matière, de l’Ethiopie, de la Nubie chrétienne. Cela a permis la rédaction de récits et de narrations historiques comme la chronique de Kilwa en Tanzanie.
Mais l’histoire s’est aussi transmise de manière orale. L’écrit est ainsi resté confiné à des usages restreints. Les royaumes africains ont trouvé d’autres manières d’exprimer le pouvoir, d’archiver, de définir la propriété du sol. Il y a des recherches à mener sur toutes ces questions !
"Comment reconstruire l’histoire depuis 12 000 ans ?", dit le livre. Oui, comment ? Et pourquoi doit-elle être "reconstruite". Faut-il voir là une approche idéologique ?
Non. Il s’agit de reconstruire des choses déconstruites par le temps. En montrant qu’on peut faire de l’histoire d’une autre façon qu’avec de l’écrit. En l’occurrence avec de l’oralité, des fouilles archéologiques, l’étude de langues, de tessons de céramiques, de restes d’animaux. A condition de considérer tous ces éléments comme des documents.
Comment les Africains voient-ils leur passé aujourd’hui ?
L’histoire africaine n’est guère accessible aux lecteurs du continent. Il y a peu de livres sur cette thématique, peu de lieux d’enseignement. Et internet ne supplée pas à ces lacunes : on y trouve beaucoup de dogmes et de mythes, mais peu de connaissances scientifiques. Pour autant, la demande pour l’histoire augmente avec l’émergence d’une classe moyenne curieuse de ces questions.
Un chapitre est intitulé "Comment écrire l’histoire de l’Afrique ancienne avec de l’art" ? Comment vous situez-vous dans le débat sur la restitution aux pays subsahariens des œuvres d’art dont la colonisation, notamment, les a privés ?
J’aimerais pouvoir dire que ces objets, souvent exposés dans les musées européens, nous parlent de l’histoire. Mais rien n’est plus faux car ils ont été coupés de leur histoire, sortis de leurs contextes historiques qu’il est, aujourd’hui, très difficile de retrouver. On leur a collé des étiquettes ethniques, écrans qui s’imposent entre ces objets et leur passé. Un passé qu’il est parfois possible de reconstituer, mais au prix d’une longue enquête.
En ce qui me concerne, je suis tout à fait favorable à la restitution. Mais restituer n’est pas tout. Il faut le faire bien. Pour moi, il s’agit d’entretenir un dialogue qui ait un peu d’épaisseur.
On peut ainsi aider les pays qui récupéreront les objets à construire des musées et à acquérir des pratiques muséales, à se réemparer de leur histoire. Il est par ailleurs nécessaire de faire circuler ces objets. Si cette circulation doit avoir lieu du Nord vers le Sud, elle doit aussi se faire en sens inverse : il faut accepter les regards africains sur les objets européens. L’objectif étant d’initier une conversation, un dialogue.
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