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Littérature – Brazzaville, ma mère de Bedel Baouna : de la gravité, du style

Ouvrir ce roman comme l’on pénètre Brazzaville, s'enivrer de la trame ciselée comme des couleurs et des odeurs… Brazzaville, ma mère vous retient ; une fois le roman ouvert, vous n’avez plus envie de le refermer, « comme si un levier magnétique s'enclenchait au fil des pages ». Une immersion dans l’imaginaire congolais…  

Brazzaville, ma mère est un corps à corps avec le lecteur. On ne se lasse pas de cette étreinte littéraire, où le pathos n’a pas une miette de place. De quoi s’agit-il ? Une jeune femme de 35 ans, élevée à Paris par son oncle, décide de renouer avec ses racines congolaises. Elle veut s’installer durablement à Brazzaville aux côtés de sa mère pour mieux la connaître. Hélas ! Elle se heurtera à un mur ; elle déchantera… Elle ira de surprise en surprise et l’image qu’elle se faisait de sa mère se dégrade irrémédiablement : « Écrire sur ma mère constituait plus qu’un souhait, c’était un point de départ. Erreur. Illusion. Aujourd’hui, c’est un point de rupture. Une rupture totale. Elle m’a trop menti. Et a oublié que mentir à sa fille débouche souvent sur un roman incisif. Je peux tolérer qu’elle m’ait caché sa deuxième fille. Tout comme je peux excuser ses relations politiques. Mais je ne peux approuver un crime. Non. D’iconophile, je deviens iconoclaste. »

Evidemment, pour la narratrice c’est tout un monde qui s’effondre quand elle découvre le passé maculé de sa mère. Secrets, mensonges et trahisons s’entremêlent comme dans un plat épicé et la narratrice ne sait plus quoi faire. Sa mère lui avait dit que son père était décédé, or ce dernier est bel et bien vivant. Elle lui avait dit qu’elle était fille unique, voilà que surgit une jeune femme, métisse, « sa sœur cadette ». Et c’est cette dernière qui va édifier la narratrice sur leur mère ; c’est elle qui lui donnera quelques éléments de réponse sur l’origine de la colossale fortune de leur mère.

On l’aura compris, Bedel Baouna nous sert les rapports mère/fille, un sujet universel qui concerne aussi bien les Congolais que les Français. Mieux encore, Brazzaville, ma mère est une tentative réussie de transposition de La flûte enchantée de Mozart. Sarastro enlève Pamina à la Reine de la nuit. Pour quelles raisons ? Incarnant la morale dans l’opéra de Mozart, Sarastro a soustrait Pamina à la Reine de la nuit pour lui épargner la vie nocive de cette dernière. Comme dans Brazzaville, ma mère, Al a enlevé et élevé la narratrice pour lui éviter la « non-vie » de sa génitrice. Jeanne, la mère de la narratrice, est surnommée à juste titre de « Reine de la nuit ». 

La quête de soi, où que l’on soit, constitue toujours un long chemin semé d’embûches ; le retour vers soi s’apparente à celui d’Ulysse pour Ithaque, après vingt ans d’absence - dix ans de guerre devant Troie et dix d’errance sur la mer. La narratrice, d’ailleurs, ne manque pas convoquer la mythologie grecque. « J’ai le sentiment que je suis Persée, elle la Méduse. Il faut que je combatte un monstre. Je vais rassembler toutes mes forces pour cet ultime combat. Athéna est seule mon soutien. La déesse de ma détermination, du non-renoncement. » 

Oui, dans Brazzaville, ma mère, on est dans une contemporanéité universelle, froide ou chaleureuse. On s’y promène au rythme des glissements de points de vue, interne et omniscient. L’écriture est incisive, avec parfois des incises, une écriture directe, pleine de poésie aussi, d'impertinence, de candeur… Les rythmes binaire et ternaire dansent une Rumba congolaise bien fougueuse. Un doux soleil d’exclamations et d’interrogations. Des références littéraires et musicales en pagaille. 

Si le roman s’ouvre sur un hommage à Dostoïevski et à Sony Labou Tansi, on savoure aussi le clin d’œil à Papa Wemba et Koffi Olomidé. « Sur le carton rempli de CD, Vivianne s’est ensuite nonchalamment penchée pour extraire une pochette d’un autre musicien congolais. Elle ne peut écouter Papa Wemba ou siffloter un de ses airs sans embrayer sur son alter ego et disciple, Koffi Olomidé, le second artiste dans l’ordre de ses préférences. Et de cette propension à toujours vouloir opposer maître et élève, noir et blanc, ciel et terre, s’est forgée chez elle une sorte de dualité : rassembler ce qui est épars. (…) Elle a changé de disque. Ensemble et presque dans le recueillement, nous avons écouté Zéro faute, extrait de l’album Les Prisonniers dorment de Koffi Olomidé. Comme Zéro faute est un modèle de romantisme à la congolaise, j’ai failli dodeliner de la tête. Mais je me suis retenue. C’est que le visage de Vivianne était devenu pâle. Blême et presque livide. Je percevais, à travers ses yeux mi-clos, son regard vague, comme la résurgence d’un passé qu’elle aurait souhaité n’avoir jamais vécu. »

Bedel Baouna ne pouvait pas nous offrir meilleur cadeau de fin d’année 2019 que ce premier roman.  

VLB

Brazzaville, ma mère, Le Lys Bleu Editions, Bedel Baouna, 18,70 euros, 224 p



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