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Coronavirus : la Tunisie sort un billet à l’effigie d’une pionnière de la médecine

Première pédiatre du monde musulman, puis gynécologue, et aujourd'hui effigie, Tawhida Ben Cheikh offre son visage au nouveau billet de 10 dinars. Mis en circulation fin mars en Tunisie, le billet veut, à l'heure du Covid-19, honorer à la fois le corps médical et toutes les femmes courageuses du pays. 

Pour la première fois en Tunisie, le portrait d'une femme va orner un billet de banque. : celui de Tawhida Ben Cheikh, première femme médecin du Maghreb. Elle a été choisie par la banque centrale de Tunisie (BCT) pour orner le nouveau billet de dix dinars (environ 3 euros) mis en circulation le 27 mars dernier.

Honorer la femme et tout le corps médical

La docteure Tawhida Ben Cheikh a été choisie il y a un an "pour lui rendre hommage, mais aussi pour rendre hommage à la femme tunisienne, particulièrement dans le secteur scientifique", explique Abdelaziz Ben Saïd, un haut responsable de la BCT, sur une radio privée. Selon Abdelaziz Ben Saïd, il s'agit de "saluer les médecins et tout le corps médical en Tunisie" puisque la mise en circulation de cette coupure intervient au moment où "notre armée blanche est en première ligne dans la guerre" contre le coronavirus - 707 cas ont été officiellement déclarés dans le pays, dont 31 décès.

Un billet en hommage à toutes les Tunisiennes

La Tunisie est réputée pays le plus progressiste du monde musulman en ce qui concerne le droit des femmes. Quelques mois après l'indépendance, en août 1956, le gouvernement de Habib Bourguiba promulgue le Code du statut personnel (CSP). Cette réforme transforme légalement la condition de la femme :abolition du droit de contrainte matrimoniale, suppression de la polygamie et de la répudiation unilatérale seront suivis de l'adoption de nouvelles lois égalitaires sur le divorce, la reconnaissance de l'adoption et l'avortement non thérapeutique. Dès sa fondation comme nation libre, la Tunisie ouvre la voie de l'égalité entre les genres.

Un contexte politique dont s'emparera Tawhida Ben Cheikh. À l'indépendance , elle dirige les services gynécologiques et obstétriques de l'hôpital Charles Nicolle (de 1955 à 1964) et Aziza Ottoman (de 1964 à1967) et participe à la création de l'école des sages-femmes. Première médecin femme à siéger au Conseil national de l'Ordre des médecins de Tunisie en 1959, elle en est élue vice-présidente trois ans plus tard.

Son parcours, elle a toujours dit le devoir d'abord à sa mère, Halloumah bin Ammar, qui lui offrit malgré les oppositions patriarcales son soutien sans faille dans la poursuite de sa vocation. Un itinéraire raconté à la chercheuse Laila Blili, dans un de ses livres Les femmes et la mémoire. Née en 1909 dans une famille originaire de Ras Jebel (gouvernorat de Bizerte), la jeune Tawhida est en 1929 la première Tunisienne à obtenir le baccalauréat, mais rien ne lui permet d'espèrer faire ses études de médecine en France, à Paris. N'eussent été sa détermination et celle de sa mère qui obtiendra gain de cause contre le père, les oncles et même les autoités religieuses de Tunis.

La jeune étudiante Tunisienne bénéficia d'un autre soutien précieux, celui d'Etienne Burnet, futur Directeur de l'Institut Pasteur de Tunis qui réside alors en Tunisie où il étudie une zoonose, la brucellose. L'homme, qui avait de l'entregent, lui ouvre les portes du microcosme médical parisien. Elle travaillera dans des hôpitaux français avant de rentrer à Tunis en 1936, son doctorat en poche. Elle y fonde son premier cabinet de généraliste avant de se spécialiser en gynécologie.

Une féministe de la première heure

Son engagement pour les femmes n'est pas que médical. Un an après son retour, la jeune praticienne s'engage dans la lutte féministe et participe aux actions du Club de la jeune fille tunisienne et de l'Union des femmes musulmanes. 1937 est aussi l'année où elle devient la première rédactrice en chef du premier magazine féminin tunisien édité en langue française Leila.

Tawhida Ben Cheikh fondera plus tard le premier service hospitalier du planning familial dont elle prendra la direction à partir de 1970, ainsi que la première clinique spécialisée dans le contrôle des naissances. Son engagement humanitaire n'a pas de genre : comme chef-adjoint du Croissant rouge tunisien, c'est aux côtés des plus démunis qu'on la retrouve.

L'infatigable activiste pour la santé des femmes tunisiennes s'est éteinte à 101 ans, le 6 décembre 2010. Son pays n'a pas attendu l'impression d'un nouveau billet pour lui rendre hommage. L'année de sa mort, la Poste Tunisienne avait édité un timbre à son effigie. Et son aura a dépassé les frontières nationales puisqu'en 2011, à l'initiative d'une autre femme médecin, Dominique Voynet, alors maire de Montreuil, la Mairie de Paris a créé un centre de santé à son nom à Montreuil, en région parisienne, dans un quartier réputé désert médical, en quête d'égalité sociale. Un choix que n'aurait sûrement pas renié Tawhida Ben Cheikh. 



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