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Inclusion financière des populations subsahariennes : une autre approche »

Avec un taux de bancarisation ne dépassant pas 15% en moyenne, l’Afrique noire est bel et bien la zone géographique ayant le pourcentage de particuliers détenant un compte bancaire le plus faible de la planète !

A titre de comparaison, l’Afrique du nord présente des performances quatre à cinq fois plus élevées à ce jour (plus de 60% au Maroc).

Cette immense carence en termes de bancarisation des ménages induit une utilisation toujours élevée du cash et l’omniprésence de paiements de « la main à la main » dans nos sociétés subsahariennes. L’absence de traçabilité des opérations financières qui en découle rend particulièrement complexes l’optimisation des recettes fiscales de l’état et la lutte contre la corruption ou le blanchiment d’argent, pourtant indispensables en vue de l’émergence économique.

Par ailleurs, l’importance de cette masse monétaire circulant en dehors de tout circuit formel fragilise le secteur bancaire, comme en attestent les deux exemples ci-dessous émanant de la RD Congo :

  • La somme du total du bilan de la vingtaine de banques implantées localement équivaut à moins de 1 % du total du bilan du Crédit agricole ou de la BNP.
  • Avec, en moyenne, une agence bancaire pour plus de 200 000 habitants, des dizaines de kilomètres peuvent être parcourus, dans certaines régions de la RDC, sans apercevoir le moindre distributeur automatique de billets ou guichet physique.

Pour autant, convient-il de militer pour une bancarisation « à l’européenne » et pour la réplique pure et simple, au sud du Sahara, d’organisations commerciales qui ont permis l’équipement de la quasi-totalité des ménages du nord de la Méditerranée en produits financiers de base ?

Bien sûr que non ! 

Les spécificités de l’environnement local méritent d’être appréhendées et prises en considération, au risque de se heurter à de cuisants échecs et de graves déconvenues.

La typologie de la clientèle visée, ses habitudes de consommation et ses attentes sont loin d’être identiques. A titre d’exemple :

  • Alors que la moitié des populations au sud du Sahara a moins de 18 ans, l’âge médian se situe au-dessus de 40 ans en France et de 45 ans en Allemagne.
  • Les taux d’urbanisation en Europe de l’Ouest dépassent souvent la barre symbolique des 75%, mais 60 % des populations d’Afrique noire habitent encore en zones rurales.

La conclusion s’impose d’elle-même : la très forte appétence des consommateurs africains pour les nouvelles technologies, conséquence logique de leur jeunesse ainsi que de leur très grande dispersion géographique, impose une digitalisation massive des canaux de distribution dans le secteur financier de la place.

L’inclusion financière des populations passera donc inévitablement par les smartphones, les tablettes, les réseaux sociaux et l’essor de l’internet mobile. 

A ce propos, les opérateurs télécoms ont pris, grâce au « mobile money », une vraie longueur d’avance. Cette technologie, ne nécessitant qu’un simple téléphone portable, rend possibles le transfert de fonds, le paiement de factures chez les commerçants ou l’abonnement à de grandes chaines de télévision, sans passer par l’ouverture d’un compte bancaire.  

A titre d’exemple, rappelons que 70% de la population adulte au Kenya utilisent le « mobile money » et que près de 26 millions d’Euros circulent quotidiennement par ce biais en Côte d’Ivoire à date.

En outre, les « Fintech » voient en l’inclusion financière des populations de véritables opportunités d’affaires. Ainsi, elles proposent aux établissements bancaires la mise en place d’outils permettant à leurs clients finaux de ne plus avoir à se déplacer en agence, pour consulter leur solde en temps réel ou réaliser un virement par exemple.

Le succès de la start-up « Tagpay », à l’origine « technique » du lancement des outils de Mobile Banking « Coris Money », du groupe burkinabé Coris Bank, ou « Pepele Mobile », de la Trust Merchant Bank en RD Congo, le démontre amplement.

Enfin, la défaillance de certaines infrastructures publiques rend difficiles et couteux la création et l’entretien d’un réseau physique d’agences. A titre d’exemple, les nombreuses coupures d’électricité, que connaissent bien souvent nos pays d’Afrique francophone, obligent les entreprises à se doter systématiquement de sources énergétiques de substitution (groupes électrogènes en particulier).

En conséquence, afin de proposer un service efficace de proximité et d’accroître leur visibilité, tout en conservant la maitrise de leurs coûts, certains établissements financiers sont amenés à nouer des partenariats innovants avec des commerçants totalement en dehors du secteur bancaire.

C’est le concept de « l’Agency Banking », très en vogue en Afrique noire, qui permet notamment aux titulaires de comptes courants chez Equity Bank de réaliser leurs opérations de dépôt ou de retrait d’espèces dans des épiceries informelles, des stations-service ou des cybercafés…situation parfaitement inimaginable à Paris, à Bruxelles ou à Londres.

En guise de conclusion, dans le cadre de mes activités professionnelles au Togo, au Burkina Faso et au Mali, je constate avec optimisme que l’inclusion financière des populations subsahariennes se met en marche !

Certes, elle suit des chemins bien différents de ceux empruntés par l’Europe il y a quelque temps. Mais comment s’en plaindre ? C’est de notre capacité d’innovation et d’adaptation dont dépend notre prochain développement économique.

 

Christian Kazumba

Directeur régional Afrique du nord et de l'Ouest du CMBC ("Congo Millenium Business Club")

 



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