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L’Europe, l’Afrique et l’euro : les enjeux du raccordement des Etats-membres du F CFA à l’union économique et monétaire européenne

En plus des 19 Etats-membres de l’eurozone, deux monnaies nationales d’Etats européens ont une parité fixe avec l’euro : le mark de Bosnie-Herzégovine et le lev de Bulgarie. Hors d’Europe, ce situation concerne le franc Pacifique et ses trois collectivités territoriales, le franc comorien, le dobra de Sao-Tomé-Et-Principe, l’escudo du Cap-Vert et enfin les quatorze Etats-membres des deux zones FCFA. C’est sur ces derniers que nous allons axer notre discussion. 

Se ranger à une devise internationale : un choix pour les pays riches, une contrainte pour les pays pauvres ?   

A maints égards, l’adoption par un Etat d’une monnaie étrangère ou l’arrimage d’une monnaie nationale à une devise internationale est bien plus un acte politique, celui par lequel il aligne ses orientations macroéconomiques à celles d’une zone de prospérité plus puissante que celle à laquelle il appartient, qu’un pari économique sur des gains futurs. Ou bien ce pari serait très risqué car il suppose de lier le destin d’un ou de plusieurs Etats à un espace macroéconomique dominé par des Etats plus puissants, de s’inscrire dans une interdépendance très forte avec eux en temps de prospérité comme en temps de crise, en échange de l’abandon du principal outil de protection et de relance de l’activité économique, la compétence monétaire. On notera que pour certains Etats comme la France, ce choix a revêtu la forme du consentement, et l’abandon du franc pour l’euro a été accepté avec le référendum sur le traité de Maastricht en 1992 ; tandis que pour les quatorze Etats africains concernés, l’arrimage du FCFA au franc puis à l’euro semble avoir été davantage imposé par les circonstances, la nécessité, c’est-à-dire par une dépendance économique à la métropole puis au monde extérieur de plus en plus croissante.

L’arrimage du FCFA à l’Euro est le résultat de luttes d’influence entre puissances ;

Adopter une monnaie unique dont la gestion est transférée à des institutions supranationales ou arrimer la valeur de sa monnaie sur celle d’une devise de référence via des accords de convertibilité sont des choix politiques très lourds qui concernent tous les Etats-membres des deux zones FCFA et de la zone euro. D’un côté l’Etat qui arrime sa monnaie à une devise internationale étrangère perd sa compétence monétaire et devient tributaire de la politique monétaire et des nouvelles orientations macroéconomiques des institutions de la devise d’arrimage ; il lui est désormais impossible de dévaluer sa monnaie pour rendre immédiatement les exportations de ses entreprises plus compétitives. De l’autre, il bénéficie de la crédibilité, de la stabilité de la devise de référence et de l’attractivité de l’espace économique dans lequel elle circule et qu’il n’a plus à chercher à concurrencer puisqu’il en est membre. Aussi pour sortir des contraintes de la monnaie unique, il ne suffit pas de sortir unilatéralement des traités de coopération monétaire, il faut encore avoir la capacité de soutenir une monnaie crédible pour l’activité économique, c’est-à-dire de pouvoir rentrer en compétition avec les économies desquelles on se dissocie, ou à défaut, pouvoir se protéger de leur puissance industrielle et commerciale en trouvant d’autres partenaires ou en créant de nouvelles unions monétaires. 

Les Etats-membres d’une même union monétaire sont portés à adapter l’orientation de leurs politiques économiques aux contraintes de la monnaie de référence ;

Le partage d’une même monnaie sur des territoires et des tissus économiques différents ne va pas sans créer des désavantages parmi les Etat-membres d’une même union monétaire. Ils sont nombreux à se retrouver avec une monnaie dont la quantité en circulation et la valeur ne sont pas ajustées à la réalité de leurs économies. Il en résulte un renchérissement artificiel des prix de leurs productions de base, sans que ces Etats puissent réaliser de relance en agissant sur les prix, en faisant baisser le cours de leur monnaie par le biais de la dévaluation compétitive. Mais le plus gros handicap des membres du CFA est la libre-transférabilité des capitaux vers la zone euro, qui constitue un des quatre principes fondamentaux de la coopération monétaire avec la France.  Il en résulte un rapatriement massif dans les banques européennes des bénéfices engrangés en Afrique, qui n’y sont pas investis. 

Des politiques budgétaires contre-nature ? Quand les critères de Maastricht s’appliquent à la Côte d’Ivoire, au Tchad, au Mali…

Les unions monétaires dont les devises, comme les deux franc CFA, étaient liées au franc via des accords de coopération monétaire ave le Trésor français, le sont désormais avec l’euro et se doivent de respecter les règles de son union monétaire depuis 1999. D’un point de vue africain, l’arrimage du Franc CFA à l’€, monnaie de puissances européennes industrialisées qui ont un rôle majeur dans la conduite de la mondialisation, n’est pas sans créer de violents paradoxes pour des Etats et des économies sous-développées ou en voie de développement. Sans doute le plus aggravant d’entre eux est-il le partage arbitraire d’une discipline budgétaire, c’est-à-dire de règles communes à des économies qui ne connaissent pas le même niveau de développement, et à des Etats ne partagent pas le même niveau de ressources et de charges pour fonctionner correctement. A cet égard, les pays-membres du FCFA sont tenus de respecter un déficit public inférieur à 3% du PIB, comme en Allemagne ou en France, sans quoi ils encourent des sanctions.

La stabilité monétaire au prix de l’atrophie des Etats africains : les restrictions au financement des politiques publiques marginalisent le rôle des Etats dans la régulation et la participation à l’activité économique.

Ce plafonnement arbitraire des dépenses publiques a pour effet de brider le financement des politiques publiques d’Etats encore peu solides, où les ressources fiscales sont faibles, réduisant, en même temps que leur périmètre de leur puissance publique et leurs capacités d’intervention, leur importance politique, économique et sociale. Pour donner un exemple, Le budget de l’Etat ivoirien pour 2018, qui est l’un des plus élevés d’Afrique francophone, est de 10,2 milliards d’€ pour une population de 23,7 millions d’habitants, où trois personnes sur quatre ont moins de 35 ans, pour un taux de pauvreté de 46,3% (2015, Institut Nationale de la Statistique). Il correspond à 1/10e du déficit de l’Etat français pour 2017. Contraints de faire financer plus ou moins exclusivement leurs politiques publiques économiques et sociales par de l’aide publique au développement donnée ou prêtée par des bailleurs de fonds internationaux, il semble impossible pour les pays-membres du FCFA de bâtir des administrations modernes et de mettre leur puissance au service de leur économie et du bien-être de leurs populations, selon le modèle de l’Etat-stratège ou de l’Etat-providence. Cela est en partie la conséquence d’une discipline budgétaire pensée pour limiter les dépenses d’Etats très développés comme l’Allemagne (328,7 Md € de dépenses publiques en 2017) ou la France (381,7 Md€ de dépenses publiques en 2017), bien que la pertinence de cette règle fasse l’objet de nombreuses critiques et discussions en Europe.

Par Loup Viallet, auteur du blog « Questions africaines »

 

 



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