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Compaoré et Diendéré: les assassins de Thomas Sankara condamnés pour l’histoire

L’ancien chef de l’Etat Blaise Compaoré et son fidèle officier Gilbert Diendéré ont écopé ce mercredi d’une peine de prison à vie pour le meurtre Thomas Sankara, président révolutionnaire, en 1987.

«Faites lever les armes pour la lecture des questions.» Urbain Méda, président de la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou, s’installe sur l’estrade de la salle des banquets. Cette fois-ci, pas de «bonjour, j’espère que vous allez bien», ni de boutade ou de mot d’esprit comme les affectionne le juge quadragénaire. Ton grave, concentré, s’épongeant de temps en temps le front, il déroule ses questions.

A ses côtés, les autres membres du jury : une magistrate et trois assesseurs militaires. Face à lui, douze accusés qui ont quitté leur drôle de box entre baie vitrée et barrières métalliques, en file indienne, du plus gradé au moins gradé. La salle d’environ 400 places est bondée. Comme ce fut le cas à deux reprises seulement : au premier jour de ce procès historique, le 11 octobre 2021, et lors de l’interrogatoire du principal accusé présent, Gilbert Diendéré.

«Blaise Compaoré [président du Burkina Faso de 1987 à 2014, absent de ce procès, ndlr] est-il coupable d’avoir à Ouagadougou le 15 octobre 1987, un temps non couvert par la prescription, par la force des armes, donné la mort à Thomas Sankara [et douze autres personnes], dissout le gouvernement du Conseil national de la révolution et instauré le Front populaire ? Oui, à la majorité.»

Dès la première question énoncée, les avocats de la défense saisissent que leur exposé sur la prescription des faits n’a pas convaincu. Pas plus que leur argumentaire sur la non-fiabilité de la centaine de témoins entendus. Trente-quatre ans après les faits, le «dépérissement des éléments de preuve» et «les nombreux témoins dont la mémoire flanche […] nous projettent vers un gros risque d’erreur judiciaire», avait mis en garde Me Somé, un des avocats de Gilbert Diendéré.

Mais le «oui à la majorité» clôt, l’une après l’autre, les questions du président portant sur chaque accusé et chaque chef d’accusation. Seuls deux médecins militaires accusés d’avoir délivrés de faux certificats de décès, et Bossobé Traoré sont acquittés. Ex-membre de la sécurité rapprochée de Thomas Sankara, il était soupçonné d’avoir été la taupe du commando qui a exécuté le leader de la révolution.

«L’histoire en pointillé»

Blaise Compaoré (en exil), Hyacinthe Kafando (en fuite), et Gilbert Diendéré (incarcéré) écopent de la prison à vie, pour attentat à la sûreté de l’Etat, et assassinat ou complicité. «Ce sont les trois hommes cardinaux de cette affaire», avait plaidé Me Farama, avocat des parties civiles. Le verdict est historique. Quel autre pays d’Afrique de l’Ouest a jugé l’assassinat d’un chef de l’Etat ? Quant à la vérité des faits, ce procès ne permettra «d’écrire l’histoire qu’en pointillé», avait prévenu dans sa plaidoirie Me Nzepa, autre avocat des parties civiles. Il regrettait l’absence de Blaise Compaoré et de Hyacinthe Kafando à la barre, présentés respectivement comme le commanditaire et l’exécutant du coup d’Etat du 15 octobre 1987.

A l’issue du procès, la trame des événements fait toutefois consensus. Ce jeudi de 1987, jour de «sport de masse», un commando part du domicile de Blaise Compaoré, le numéro 2 de la révolution. Il est composé d’éléments de sa garde rapprochée. Vers 16 heures, le commando pénètre au Conseil de l’entente, siège du pouvoir. Thomas Sankara vient d’y garer sa Renault 5. Il est vêtu d’un survêtement rouge et tient une réunion sur la création d’un «parti unique d’avant-garde», selon plusieurs témoins. Sa mallette et son pistolet automatique sont posés sur le bureau.

Des tirs retentissent durant une dizaine de minutes. Au moins 7 impacts de balles, tirés surtout par des kalachnikovs au niveau du thorax et de l’abdomen, ont été identifiés sur les vêtements de l’ex-président. Dans la soirée, deux forces réputées fidèles à Sankara, l’Escadron de transport et d’intervention rapide (Etir) et la Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la sécurité (Fimats) sont neutralisées. Des renforts militaires débarquent de Pô, le centre d’entraînement commando dirigé par Blaise Compaoré.

Dernier salut

Dans les mois qui ont précédé, de nombreuses tentatives de coups d’Etat visant le leader révolutionnaire avaient été déjouées. «Les années 80 ont été marquées par l’irruption de la violence en politique, a rappelé Me Somé. Des civils, kalachnikovs en mains, jonglaient avec les mots abattre” et “exécuter». Mais «ce coup d’Etat était différent de tout ce qu’on avait connu, selon Me Farama. Des hommes ont été assassinés par des supposés frères d’armes, des amis, des camarades.» Le général Diendéré, lieutenant et chef du Conseil de l’entente au moment des faits, a lui-même évoqué, entre les lignes, sa proximité avec Sankara.

Racontant le coup d’Etat du 4 août 1983, avènement de la révolution, dont ils ont réglé ensemble les derniers détails, avec «Blaise». «On me fait payer dans ce procès ma loyauté et de ma fidélité à Blaise durant vingt-sept ans [il a notamment dirigé le redoutable Régiment de sécurité présidentielle]. Mais vingt-sept ans, c’est à partir de 1987. Le 15 octobre 1987, j’étais lieutenant», s’est-il défendu le 25 mars.

Sur le ring, l’officier en long bazin bleu ciel s’est défendu avec minutie, durant près de deux heures, pour clore les plaidoiries des avocats de la défense. Rappelant qu’il maîtrisait les 20 000 pages du dossier comme personne. Citant les numéros de PV oubliés – des témoins n’ayant pas comparu. Pointant les travers de l’accusation : «Ce sont surtout des éléments subjectifs qui m’accablent. Mon caractère, ma vie privée, mon soi-disant wak [magie noire]». Dénonçant en creux un procès politique : «Je suis à la Maca [prison militaire] mais je suis au courant, madame la procureure.»

Le jury a plutôt été sensible aux arguments des parties civiles. A écouter Diendéré, seules «20 personnes [les membres de la garde rapprochée de Blaise Compaoré] se seraient levées contre toute l’armée du Burkina, ironisait Me Farama. Mais il est celui qui a sécurisé le coup d’Etat». Le «Général» a quitté la salle les deux bras levés, pouces tendus. Puis, au passage de l’escorte qui le raccompagnait à la Maca, il a baissé la fenêtre du véhicule, pour un dernier salut. «Commando ! Procès politique !» ont crié ses proches. Sur la chaussée, des klaxons retentissaient déjà pour célébrer le jugement.



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