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Scandale autour du Prix Goncourt : Kamel Daoud accusé de s’inspirer d’une histoire vraie pour Houris

Le Prix Goncourt, symbole de prestige et consécration ultime pour un écrivain francophone, est souvent accompagné de célébrations et de reconnaissance mondiale. Mais cette année, l’atmosphère festive autour du sacre de Kamel Daoud pour son roman Houris a été rapidement éclipsée par une polémique d’envergure. L’auteur franco-algérien est accusé d’avoir puisé l’essence de son récit dans un drame personnel confié par une Algérienne de 31 ans, Saâda Arbane.

Un témoignage glaçant qui bouleverse le récit

C’est sur la chaîne algérienne One TV que Saâda Arbane a révélé une histoire troublante. Soutenue par son mari et un appareil qui l’aide à parler – une conséquence des violences subies pendant son enfance –, elle accuse l’écrivain de s’être inspiré de son propre drame. Selon elle, les confidences partagées avec sa psychiatre, épouse de Kamel Daoud, auraient servi de socle au roman.

Son récit est bouleversant. Alors qu’elle était âgée de six ans, son village à Tiaret a été le théâtre d’un massacre sanglant. Toute sa famille a été décimée par des terroristes pendant la décennie noire en Algérie. Gravement blessée et laissée pour morte, elle n’a survécu que grâce au courage de sa sœur aînée, qui a sacrifié sa vie pour attirer l’attention des assaillants. « Ce sont mes souvenirs, ma souffrance. Ils ne sont pas à vendre », affirme Saâda avec une émotion palpable.

Une œuvre entre réalité et fiction

Le roman Houris, pour lequel Kamel Daoud a été couronné, explore la violence et les traumatismes de la décennie noire à travers le prisme d’une survivante. Une œuvre saluée par la critique pour sa puissance narrative et son exploration intime de l’humanité face à la barbarie. Pourtant, ces accusations viennent remettre en question la légitimité de l’inspiration de l’auteur.

Dans un communiqué, Gallimard, éditeur de Kamel Daoud a nié les allégations, affirmant que les personnages du roman sont « purement fictionnels » et que l’histoire repose sur des récits collectifs. Kamel Daoud, de son côté, est resté discret, mais des proches indiquent qu’il considère son œuvre comme une fiction indépendante. « L’écriture est une forme de miroir où chacun projette ce qu’il ressent », aurait-il confié.

Où se situe la frontière entre inspiration et appropriation ?

La polémique soulève une question récurrente dans le monde de la littérature : jusqu’où un auteur peut-il s’inspirer du réel sans s’approprier la douleur d’autrui ? Pour Saâda Arbane, il ne fait aucun doute que ses souvenirs ont été exploités à des fins littéraires. Si les accusations sont avérées, elles pourraient ouvrir la voie à des poursuites judiciaires.

En France, le droit d’auteur inclut une notion de respect des sources d’inspiration. L’avocate Marie-Christine Legeay, experte en propriété intellectuelle, explique : « Prouver une appropriation abusive demande des preuves solides de similitudes entre un témoignage et une œuvre. Cependant, ces cas restent rares, car la frontière entre fiction et réalité est souvent floue. »

Des réactions mitigées en Algérie et ailleurs

La controverse a enflammé les débats en Algérie et au-delà. Les réseaux sociaux se sont transformés en terrain de confrontation entre les partisans de l’écrivain et ceux qui soutiennent Saâda Arbane. « Les écrivains ne peuvent pas voler les blessures des autres pour créer », commente un internaute. D’autres, au contraire, défendent la liberté créative de Kamel Daoud : « Toute littérature puise dans le réel. Cela n’en fait pas un plagiat. »

Des personnalités du monde littéraire ont également pris position. Yasmina Khadra, célèbre auteur algérien, a déclaré : « La littérature est une relecture du monde. Mais si elle trahit la mémoire d’une victime, elle perd sa valeur humaine. »

Les implications pour l’œuvre et l’auteur

Chaque année, le Prix Goncourt booste les ventes du lauréat à des niveaux impressionnants. Selon le Syndicat national de l’édition (SNE), un roman primé atteint en moyenne 400 000 exemplaires vendus. Cependant, ce scandale pourrait nuire à cet élan pour Houris. La polarisation des lecteurs – entre fascination pour l’œuvre et rejet des accusations – pourrait avoir un impact durable sur la carrière de Kamel Daoud.

Une affaire qui redéfinit les enjeux littéraires

Au-delà de ce cas spécifique, cette affaire met en lumière un débat essentiel sur l’éthique dans la création littéraire. Selon une étude menée par l’Université d’Oxford, 68 % des romans basés sur des faits réels incluent des éléments inspirés de récits individuels. Si ces emprunts sont souvent tolérés, ils deviennent problématiques lorsque le consentement ou la reconnaissance de la source fait défaut.

Pour Saâda Arbane, cette bataille n’est pas une question de littérature, mais de respect. « Mon histoire a été volée par la guerre. Je ne permettrai pas qu’elle soit à nouveau volée par la plume d’un écrivain », déclare-t-elle avec une détermination émouvante.

Le scandale autour de Houris dépasse le simple cadre littéraire. Il pose des questions fondamentales sur la frontière entre fiction et réalité, sur l’éthique de la création et sur le respect dû aux victimes de drames humains. Alors que Kamel Daoud reste dans la lumière du Goncourt, son œuvre est désormais teintée d’une controverse qui pourrait redéfinir la manière dont nous lisons et jugeons la littérature.

Pour les lecteurs, Houris n’est plus seulement une œuvre primée, mais un témoignage controversé de l’interaction complexe entre mémoire, inspiration et création.

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