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Youssouf Fofana : « Ne pas avoir peur de prendre des risques, cela fait partie de ma mentalité »
Étonnant de voir qu’avec un emploi du temps aussi chargé Youssouf Fofana trouve toujours l’énergie d’être chaleureux et enjoué, même au sein d’un entretien téléphonique. Entre deux Ubers, le trentenaire d’origine sénégalaise se livre à Oeil d’Afrique sur ses inspirations, ses débuts en banque, et l’essor de sa marque Maison Château Rouge qui multiplie les collaborations et vient de signer sa seconde collection chez Monoprix nommée « Bonne arrivée ».
Une flambée de consécrations pour le soninké d’origine ayant grandi à Villepinte, en Seine Saint-Denis. Celui-ci semble bien avoir capté le bon filon pour se démarquer : se raconter avec authenticité. Par delà les créations colorées, les motifs formatés à « l’Art de vivre à l’africaine », se cache en réalité une multiplicité de souvenirs intimes et familiaux, une transmission culturelle précieuse et une volonté ardente de maintenir un lien avec le continent africain, terre de son inspiration.
Oeil d'Afrique : « Bonne arrivée » Youssouf. Pouvez-vous nous parler des prémisses de « Maison Château Rouge » ?
Youssouf Fofana : Je travaillais à la banque, au crédit coopératif et voyais des associations qui faisaient des choses incroyables, très inspirantes. À ce moment, j’ai eu l’idée avec mon frère Mamadou de lancer une association « Les Oiseaux Migrateurs » qui avait pour but de développer les TPE africaines notamment grâce à un de nos projets « Bana-Bana » une marque de jus d’hibiscus entièrement produite au Sénégal -la transformation et l’embouteillage se faisaient à Dakar.
Petit à petit, nous avons eu envie d’étendre le projet autour de la food (ndlr : nourriture), du textile et de l’art. Nous avions envie d’avoir un impact à Paris, et en Afrique. De fil en aiguille, Maison Château Rouge est née.
Pourquoi avoir eu l’idée des « Oiseaux migrateurs »?
Nous nous sommes pas mal documentés sur le continent, sur les différents pays et les problématiques. Ce qui ressortait le plus, c’est que l’Afrique exporte beaucoup de matières premières et importe également beaucoup de produits transformés et finis.
Le problème à cela, c’est qu’en exportant beaucoup de matières premières on exporte aussi des emplois : il n’y a donc pas de valeur ajoutée créée sur place. Notre but était de permettre la transformation de matières premières localement et de créer de l’emploi en permettant aux entreprises d’exporter les produits finis.
Nous avons aussi réalisé qu’il n’y avait pas une si belle image/réputation du produit africain. C’était pour nous une forme de « soft power », où il fallait diffuser les différentes images de la culture africaine et des produits d’une meilleure façon.
Comment avez-vous réussi à accomplir cela ?
Il fallait comprendre les codes. Nous qui avons grandi ici, nous souhaitions à la fois parler au marché africain et au marché européen. On voulait le bon équilibre sans trahir le côté authentique tout au essayant de parler à des marchés à l’international. On a donc commencé avec le jus de bissap et le plus gros projet c’était avec Monoprix où on a pu référencer des produits d’épicerie, réalisés par des entreprises sur le continent africain et tout a été référencé dans 260 magasins.
La fibre entrepreneuriale semble être une histoire de famille chez vous. Votre oncle était aussi entrepreneur au sein du quartier de Château Rouge, n’est-ce pas ?
Ce n’est pas un oncle dont je suis nécessairement très proche, mais oui bien sûr! Le mot entrepreneur peut revêtir plusieurs sens. Mon père était ouvrier, et il a toujours entrepris. Selon moi, prendre l’initiative de voyager, de venir en France et de fonder une famille, c’est une autre façon d’entreprendre. Ne pas avoir peur de prendre des risques cela fait partie de ma mentalité et cela m’a été transmis par ma famille et mes parents.
Considérez-vous qu’en tant qu’enfants d’immigrés, vous avez un effort supplémentaire à fournir ?
Certainement. Je pense que pour nous le défi se trouve au niveau de la recherche d’informations. Souvent on peut avoir très peur : il y a des barrières psychologiques qui s’ajoutent aux freins structurels, sans oublier les stéréotypes qui ne facilitent pas du tout la tâche. Il faut souvent s’accrocher et batailler. Je pense aussi que compte tenu d’où l’on vient, nous sommes psychologiquement préparés à tout ça. On a grandi avec la mentalité de ne jamais baisser les bras malgré la difficulté.
Comment pouvez-vous expliquer ce lien que vous conservez avec le continent africain, sans y être né ou y avoir grandi ?
Tout vient de mes parents qui m’ont tout transmis. Je me souviens de mon père qui nous emmenait au foyer de Belleville et qui nous encourageait à apprendre la langue et à rencontrer nos oncles.
Aujourd’hui, je réalise que c’était pour nous aider à comprendre d’où l’on venait et à ne pas couper les ponts. Une fois que la graine est plantée, chaque enfant est libre de faire ce qu’il veut et peut contribuer à faire quelque chose. Je pense aussi que le fait d’avoir vu des entrepreneurs qui ont un impact positif m’a marqué et m’a donné envie d’en avoir à Paris et sur le continent.
Quelles sont les qualités nécessaires pour être l’entrepreneur « idéal » ?
Je dirais que c’est l’intuition : il faut ressentir les choses. C’est quelque chose d’inné en nous qui ne nécessite pas d’aller à l’école ou d’accéder à un métier. Malheureusement, avec le temps, on perd un peu ce coté instinctif parce qu’on entre facilement dans la routine qui vient modifier nos façons de faire. Pourtant lorsque l’on regarde les grandes entreprises qui ont été fondées, ce sont des personnes qui ont su être autodidactes à un certain moment. Les plus grandes découvertes scientifiques ont également commencé par une intuition. En faisant des recherches, on arrive à un résultat. Je crois donc qu’il faut nourrir sa curiosité et ses rencontres et instinctivement, cela marche.
En tout cas, il semble que vous ayez une très bonne intuition, tout semble bien marcher pour vous.
Il y a des loupés pourtant! Toutefois c’est vrai qu’on essaie de faire attention à choisir les projets qui font sens pour nous. À partir du moment où on est sincères et cohérents, cela ne peut que fonctionner.
Quel sont vos principales cibles de consommation ?
Nos cibles sont très larges. On a un public très hétéroclite. Nous pouvons avoir tout aussi bien des gens de la diaspora nés ici, tout comme un public très parisien.
Après la collaboration avec Jordan sur les chaussures, nous rencontrons des cibles un peu plus street-wear. Du coup, on arrive à faire un grand écart incroyable. Je pense que c’est ce qui fait la force de Maison Château Rouge. C’est hyper inclusif et c’est cela que l’on a voulu partager.
D’après l’Institut Français de la Mode, le secteur de l’habillement aurait chuté de 55% suite à la pandémie de la Covid. Pouvez-vous dire s’il y a eu un impact de la pandémie sur vos projets? Comment est-ce que vous avez rebondi ?
Dès qu’il y a eu le covid, tout a été à l’arrêt, nos entrepôts, notre magasin… On a été impacté sur les chiffres d’affaires, mais c’est aussi à ce moment qu’ont débuté les discussions avec Monoprix.
Nous avons développé toute cette collection pendant la pandémie et c’est là où c’était très bon, car malgré ces conditions on a pu aboutir à des partenariats avec les artisans, designers et les entreprises d’agro-alimentaires africaines. C’est ce qui nous a permis de tenir car on savait que ce processus était là, et on a pu continuer à créer.
D’un point de vue bien-être, comment arrivez-vous à gérer toute cette production? Quel est votre rapport à votre cerveau, ou votre repos ?
C’est assez catastrophique. C’est vrai que je n’en parle jamais, car j’ai un rythme qui ne me permet pas de souffler. Je dors très peu et j’ai peur pour ma santé car je sais qu’il faut que je fasse attention.
Est-ce pour vous le secret de la réussite? Faut-il apprendre à se sacrifier?
C’est marrant, car je le sens comme ça. Je dis toujours : « quand c’est dur, c’est que ça va être bon après ». J’ai cette impression que l’on ne peut pas réussir sans souffrir. Tout le monde y arriverait sinon, c’est cette folie qui rend les choses différentes. C’est comme les gens qui me disent que j’ai de la chance, ils ne voient pas tout le travail qu’il y a derrière.
Quel serait le lieu idéal selon vous pour faire un break?
À vrai dire, je pense aussi que c’est parce que je l’entends autour de moi que je pense que je dois couper sinon je n’en suis pas vraiment sûr. C’est la vie que j’ai choisie.
Quels sont vos futurs projets ?
Le futur c’est de réussir à trouver un lieu plus grand pour Maison Château Rouge, on aimerait pouvoir réunir un lieu assez grand pour les projets que l’on réalise.
Propos recueillis par Aurelie Kouman, Oeil d'Afrique
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