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L’histoire de la traite transatlantique des esclaves africains retracée dans l’ADN de dizaines de milliers d’Américains

L’entreprise américaine spécialisée dans les tests génétiques "23andMe" et l’université de Leicester, au Royaume-Uni, ont analysé les données génétiques de plus de 50 000 personnes des deux côtés de l’Atlantique, en étroite collaboration avec des historiens, des spécialistes des études afro-américaines et d’autres généticiens. 

Cette étude génétique, publiée dans l'American Journal of Human Genetics, confrontée aux données historiques recueillies dans la grande base de données sur la traite des esclaves de l’université Emory (États-Unis), apportent quelques éléments nouveaux sur l'exploitation économique et sexuelle de ces millions d'hommes et de femmes jusqu'au 19e siècle. 12,5 millions d'hommes, de femmes et d'enfants ont été transportés sur des bateaux négriers entre 1515 et 1865, dont 70% ont été débarqués en Amérique latine, et entre 300 000 et 500 000 en Amérique du Nord continentale. Plus de deux millions sont morts durant le voyage.

"Nous voulions comparer nos résultats génétiques aux manifestes de transports pour trouver d'éventuels désaccords, ce qui est apparu dans certains cas de façon assez flagrante", explique à l'AFP Steven Micheletti, généticien de la société 23andMe.

Surreprésentation du Nigeria et du Bénin

L'étude révèle que les Afro-Américains (des Etats-Unis) sont majoritairement reliés génétiquement aux populations qui habitaient dans une région d'Afrique correspondant au Nigeria et au Bénin actuels, alors qu'à l'époque, ces populations ne représentaient qu'une minorité des esclaves envoyés aux Etats-Unis.

En fait, ils étaient arrivés aux Caraïbes, puis ont été retransportés vers les Etats-Unis, une phase interaméricaine du commerce d'esclaves qui commence à peine à être redécouverte. Les voyages intra-américains documentés indiquent que la grande majorité des esclaves ont été transportés des Caraïbes britanniques vers d'autres parties des Amériques, vraisemblablement pour maintenir l'économie esclavagiste, car la traite transatlantique des esclaves était interdite depuis 1833 dans les colonies britanniques.

La sous-représentation de l'héritage génétique de la Sénégambie (Sénégal, Gambie, Guinée) aux Etats-Unis a quant à elle une explication sinistre : "Comme les Sénégambiens étaient souvent cultivateurs de riz en Afrique, ils étaient souvent transportés dans les plantations de riz aux Etats-Unis. Ces plantations étaient souvent envahies par le paludisme et avaient un taux de mortalité élevé, ce qui a sans doute conduit à la sous-représentation génétique de la Sénégambie dans les Afro-Américains aujourd'hui", écrit Steven Micheletti principal auteur de cette étude.

"Blanchissement racial" au Brésil

Autre enseignement de cette étude, "les femmes africaines, se reproduisaient plus que les hommes africains", et ce alors que plus de 60% des esclaves étaient de sexe masculin.
Pour chaque homme africain d’Amérique centrale et du sud et des Caraïbes, l’analyse a montré qu’environ 15 femmes africaines avaient des enfants.

"Bien que les esclaves étaient majoritairement des hommes, les femmes africaines ont, au fil des siècles, beaucoup plus contribué génétiquement à la population actuelle, ce qu'ils ont observé en analysant les gènes du chromosome X, que les femmes ont en double" Steven Micheletti généticien à l'AFP

"Dans certaines régions, nous estimons que 17 femmes africaines se reproduisaient pour chaque homme africain, nous n'aurions jamais pensé que ce ratio était aussi élevé", poursuit le chercheur.

Cela s'explique par la politique de "dilution" ou de "blanchissement racial" pratiquée alors en Amérique latine : la politique était de "blanchir" la population en encourageant la reproduction entre colons et esclaves, notamment au Brésil au début du 19e siècle, rappellent les auteurs de l'étude, publiée dans l'American Journal of Human Genetics.
Le Brésil et Cuba, ont encouragé le blanchiment racial par le biais de programmes d’immigration visant à favoriser l’accouplement des hommes européens blancs avec des femmes africaines à la peau foncée afin de produire des enfants à la peau plus claire et de diluer l’héritage africain.

A l'inverse, aux États-Unis, les personnes réduites en esclavage étaient séparées des blancs et autorisées à avoir des enfants, un moyen probable de maintenir une main-d’œuvre esclave.

"La tendance était d'encourager la procréation entre les esclaves afin de produire plus d'esclaves", dit Joanna Mountain, directrice de recherche à 23andMe, "même si les viols d'esclaves par leurs propriétaires étaient également courants". Une contribution de la génétique à la tragique histoire de la traite transatlantique.



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