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L’Inde en Afrique : entre ambitions croissantes et difficile concurrence face à la Chine

Depuis quelques années, l'Inde cherche à renforcer sa présence en Afrique, un continent de plus en plus courtisé par les grandes puissances mondiales. Alors que la Chine occupe déjà une place prépondérante grâce à ses investissements massifs et son influence économique croissante, l’Inde tente, tant bien que mal, de rattraper son retard. Cependant, le défi est de taille, et la rivalité sino-indienne sur le continent africain met en lumière une compétition inégale.

L’Inde en quête de rattrapage

La présence de l'Inde en Afrique, bien que significative, reste modeste comparée à celle de la Chine. Depuis le début des années 2000, la Chine a investi des centaines de milliards de dollars dans des projets d'infrastructure à travers l'Afrique. Elle a engagé environ 51 milliards de dollars lors du sommet de la Coopération Chine-Afrique (FOCAC) de 2024, dont une grande partie (29,5 milliards de dollars) sous forme de lignes de crédit destinées aux secteurs de l'agriculture, de l'énergie verte et des minéraux critiques​. À titre de comparaison, l’Inde ne parvient pas encore à rivaliser en termes d'investissements directs, même si elle cherche à compenser ce retard par une approche plus ciblée et fondée sur la coopération sud-sud.

"L'Inde se positionne comme un partenaire alternatif, misant sur une coopération plus respectueuse des intérêts locaux," affirme Anil Sooklal, ambassadeur indien auprès des BRICS. Cette approche repose notamment sur des projets dans le secteur des énergies renouvelables, de la santé, et de l'éducation, des secteurs où l'Inde peut faire valoir son expertise.

Un retard économique et commercial difficile à combler

Malgré cette dynamique, les chiffres parlent d’eux-mêmes : le commerce entre la Chine et l’Afrique a atteint 254 milliards de dollars en 2021, contre seulement 89,5 milliards de dollars pour l’Inde. Une différence qui témoigne du fossé entre les deux puissances.

Pour autant, Narendra Modi, le Premier ministre indien, multiplie les initiatives pour tenter de renforcer ces relations. En 2015, l’Inde a accueilli le troisième sommet du Forum Inde-Afrique, réunissant plus de 40 chefs d’État africains, un record. Par ailleurs, l'Inde cherche à renforcer ses liens bilatéraux avec des pays stratégiques comme le Nigeria, l'Algérie, l'Afrique du Sud, et le Kenya.

L’Afrique : un terrain d’influence majeur pour l’Inde

L'Afrique est un continent stratégique pour l’Inde. En plus d'être un fournisseur clé de matières premières essentielles telles que le pétrole, les minerais, et les métaux rares, l'Afrique représente également un vaste marché de consommation avec plus de 1,3 milliard d’habitants et une population jeune en pleine expansion. Les économies africaines à croissance rapide, telles que celles de l'Éthiopie ou de la Côte d'Ivoire, offrent des opportunités d'investissement que l’Inde ne peut se permettre d’ignorer.

"La coopération sud-sud est au cœur de notre stratégie. Nous voyons l'Afrique non pas comme un terrain d'exploitation, mais comme un partenaire de développement à long terme," précise Arindam Bagchi, porte-parole du ministère des Affaires étrangères indien. Cette vision repose en partie sur l’histoire partagée entre l’Inde et l’Afrique, marquée par des liens politiques et culturels anciens, ainsi que sur les 3 millions de membres de la diaspora indienne installés sur le continent.

Les défis pour l’Inde : dépasser l’influence chinoise

Toutefois, la tâche n’est pas aisée pour l'Inde. Le poids de la Chine est déjà bien ancré en Afrique, notamment à travers la Belt and Road Initiative (BRI), un vaste programme de construction d'infrastructures à l'échelle mondiale. De nombreux gouvernements africains, confrontés à un manque de financement, se tournent vers la Chine pour obtenir des prêts à faible taux d’intérêt, souvent accompagnés de conditions politiques avantageuses pour Pékin.

"Nous devons nous montrer plus compétitifs, plus rapides, et surtout plus audacieux dans nos propositions," a récemment déclaré Subrahmanyam Jaishankar, ministre des Affaires étrangères indien, lors d'une conférence sur les relations indo-africaines. Cependant, certains analystes soulignent que la stratégie indienne manque de cohérence et que les moyens déployés sont encore insuffisants face à la machine chinoise.

En effet, bien que l'Inde mette en avant une approche plus humaine et coopérative, cela ne semble pas suffire à renverser la tendance. En témoigne le plan de développement éthiopien, où la Chine a financé plus de 60 % des projets d'infrastructures depuis 2015, alors que la contribution indienne reste marginale.

L’impossible rattrapage ?

À bien des égards, l'Inde semble courir après un objectif difficile à atteindre. La Chine a su capitaliser sur des décennies de relations économiques étroites avec l'Afrique, tandis que l'Inde ne fait que commencer à structurer sa politique africaine. Toutefois, l’Inde espère que sa politique fondée sur le respect mutuel et le développement durable finira par séduire davantage de partenaires africains.

"L’Afrique a besoin de choix. Nos relations avec l’Inde sont construites sur une base historique solide, mais il est clair que la Chine offre des avantages immédiats," confie un diplomate africain basé à Pretoria. Dans ce contexte, la stratégie indienne pourrait bien se heurter à un plafond de verre, même si l’avenir reste ouvert.

En conclusion, la concurrence entre l’Inde et la Chine en Afrique semble déséquilibrée, du moins à court terme. L'Inde, malgré ses efforts, peine à rivaliser avec l'énorme influence économique de la Chine. Toutefois, la question centrale est de savoir si le modèle coopératif et respectueux prôné par l’Inde pourra, à terme, séduire davantage de nations africaines face à la puissance de feu chinoise.

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