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Pouvoir et opposition : pourquoi les anciens partis africains s’effondrent après les élections

Depuis l’avènement des démocraties multipartites dans les années 1990, le paysage politique africain a connu des bouleversements majeurs. Parmi eux, le déclin des partis autrefois dominants, incapables de se relever après une alternance électorale. Jadis omnipotents, ces colosses politiques s’effondrent, éclipsés par de nouveaux acteurs ou affaiblis par des divisions internes. Que ce soit en République Démocratique du Congo (RDC), en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou dans d’autres pays du continent, le naufrage des anciens partis au pouvoir reflète une mutation profonde des systèmes politiques africains.

Une hégémonie éphémère : Pourquoi les anciens partis s’effondrent

Le déclin des anciens partis au pouvoir s’explique par une combinaison de facteurs structurels et contextuels, qui varient d’un pays à l’autre mais révèlent des constantes. Ces formations politiques, souvent construites autour de la figure d’un chef charismatique ou d’un appareil étatique, peinent à s’adapter une fois écartées des rouages du pouvoir.

En RDC, le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), fondé et dirigé par Joseph Kabila, illustre parfaitement cette dynamique. Après deux décennies de règne, marqué par une forte emprise sur les institutions, le PPRD a subi une débâcle électorale lors des élections de 2018, perdant sa majorité parlementaire. Cette défaite a été suivie par une implosion du Front Commun pour le Congo (FCC), une coalition politique rassemblant les alliés du PPRD. En 2023, le parti a opté pour la stratégie de la « chaise vide », refusant de participer aux élections générales. Une décision qui a conduit à sa marginalisation totale : aucun député du PPRD ne siège actuellement au Parlement, écartant de fait le parti des sphères de décision politique.

En Côte d’Ivoire, le Front Populaire Ivoirien (FPI), autrefois symbole de l’opposition combative, a connu une descente aux enfers similaire. Pendant les années de détention de Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale (CPI), Pascal Affi Nguessan a pris les rênes du parti. Cependant, les choix stratégiques hasardeux de ce dernier ont plongé le FPI dans une spirale de déclin. Transformé en un parti d’opposition en manque de vision, le FPI a perdu toute crédibilité auprès des électeurs ivoiriens. À sa libération en 2019, Laurent Gbagbo a aggravé la situation en créant un nouveau parti, le PPA-CI (Parti des Peuples Africains – Côte d’Ivoire), fragilisant davantage l’image d’une organisation déjà affaiblie. Le FPI n’a remporté aucune élection depuis 2011, renforçant sa marginalisation.

Au Sénégal, le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) d’Abdoulaye Wade, qui a incarné l’opposition pendant des décennies avant d’accéder au pouvoir en 2000, a sombré dans l’ombre après sa défaite en 2012. Cependant, le paysage politique sénégalais a continué de se transformer : l’Alliance pour la République (APR) de Macky Sall, qui avait succédé au PDS, a également perdu le pouvoir, notamment lors des dernières élections législatives. Le nouveau président, Diomaye Faye, issu de la coalition Pastef, a bouleversé les équilibres politiques traditionnels.

Face à ces mutations, le PDS a choisi de s’aligner sur la Coalition Diomaye Faye (Pastef) pour l’élection présidentielle du 24 mars 2024. Dans un communiqué publie sur par Karim Wade, le parti a justifié son ralliement par un appel à la responsabilité nationale : « Dans cet esprit de responsabilité envers notre patrie, et avec la volonté inébranlable de défendre les principes de notre démocratie et l’intégrité de notre République, notre formation politique a choisi d’apporter son total soutien à la Coalition Diomaye Faye (Pastef) pour le scrutin présidentiel de dimanche prochain. » Ce repositionnement stratégique reflète les défis que doivent relever les anciens partis pour rester pertinents dans un paysage politique en constante évolution.

Ces effondrements s’expliquent en grande partie par l’incapacité de ces partis à proposer une alternative crédible. Loin de capitaliser sur leurs expériences au pouvoir pour offrir des solutions novatrices, ils se sont figés dans des stratégies de confrontation ou de boycott inefficaces. La stratégie de la chaise vide adoptée par le PPRD en RDC a non seulement privé le parti de représentation, mais également aliéné une partie de son électorat. À l’inverse, la participation aux élections du FPI en Côte d’Ivoire et du PDS au Sénégal, sans programme clair ni mobilisation efficace, a renforcé l’impression d’un vide idéologique.

Bien que certains leaders de ces partis contestent les résultats électoraux, arguant de fraudes ou de manipulations, ces accusations, même fondées, n’ont pas suffi à masquer leur incapacité à s’adapter aux attentes d’une société en mutation.

Les conséquences sur la scène politique et sociale

Le naufrage des anciens partis au pouvoir a profondément transformé le paysage politique africain. D’un côté, il a permis l’émergence de nouveaux acteurs, souvent issus de mouvements citoyens ou de coalitions plus récentes, qui incarnent l’espoir d’un renouveau. D’un autre côté, il a contribué à une fragmentation politique, rendant souvent les gouvernances instables.

En RDC, la chute du PPRD a permis à l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) de Félix Tshisekedi de consolider son emprise sur le pouvoir. Mais cette domination s’est accompagnée d’une recomposition de l’opposition, souvent marquée par des luttes internes et des rivalités personnelles. Au Sénégal, la marginalisation du PDS a renforcé l’APR, mais sans véritable hégémonie durable, ouvrant la voie à de nouvelles figures comme Ousmane Sonko et son parti Pastef.

Pour la société civile, le déclin des anciens partis est à double tranchant. Si ces effondrements ont ouvert des espaces d’expression pour des initiatives citoyennes, ils ont également exacerbé la méfiance envers les institutions politiques. Selon un rapport d’Afrobarometer en 2022, seuls 18 % des jeunes Africains déclarent faire confiance aux partis politiques traditionnels, un indicateur alarmant pour l’avenir de ces formations.

Vers une renaissance ou une disparition ?

Ces anciens partis peuvent-ils renaître de leurs cendres ? L’histoire récente semble pencher en faveur d’un déclin irréversible pour la plupart d’entre eux. La stratégie de la chaise vide, adoptée par le PPRD, a coupé le parti de tout levier institutionnel, rendant son retour au pouvoir hautement improbable. En Côte d’Ivoire et au Sénégal, la participation sans préparation efficace ou sans véritable programme de ces formations n’a fait que souligner leur incapacité à s’adapter aux nouvelles dynamiques sociopolitiques.

Pour espérer un retour, ces partis devront engager des réformes structurelles profondes. Cela passe par un renouvellement du leadership, une refonte idéologique et une véritable reconnection avec les bases militantes. Les exemples de partis ayant su se transformer avec succès sont rares en Afrique, mais pas inexistants. En Afrique du Sud, l’ANC (African National Congress) a su, malgré des crises internes, maintenir son rôle dominant. Cette résilience peut offrir des leçons pour les partis en déclin.

Cependant, l’érosion de la confiance des citoyens envers ces partis reste un défi de taille. Selon la Fondation Mo Ibrahim, seuls 20 % des Africains estiment que les partis traditionnels répondent à leurs besoins, une donnée qui illustre l’urgence d’une transformation en profondeur.

Le naufrage des anciens partis au pouvoir reflète la recomposition politique en cours sur le continent africain. Si certains partis semblent condamnés à devenir des reliques du passé, d’autres pourraient se réinventer en tirant les leçons de leurs erreurs. Mais cette renaissance nécessitera du courage, des réformes et une capacité à comprendre les attentes d’une société africaine en constante évolution.

L’Afrique est en pleine mutation, et les citoyens exigent une classe politique capable de répondre à leurs aspirations. Les anciens partis au pouvoir, s’ils souhaitent retrouver leur place, devront se poser une question cruciale : sont-ils prêts à changer pour survivre ?

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