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Quand les rythmes nigérians éclipsent la scène musicale kényane

L’industrie musicale africaine connaît un bouleversement où les rythmes nigérians, en particulier l’afrobeat et l’afropop, dominent de plus en plus la scène mondiale. Alors que des artistes nigérians comme Burna Boy, Wizkid ou encore Davido accaparent les charts internationaux, la scène musicale kényane peine à maintenir sa visibilité. Cette disparité reflète non seulement une question de popularité, mais aussi des différences structurelles et stratégiques dans l’industrie musicale des deux pays.

La montée en puissance des rythmes nigérians

L’essor de la musique nigériane repose sur plusieurs facteurs clés. Premièrement, l’afrobeat et l’afropop, genres populaires dans tout le continent, sont devenus des phénomènes mondiaux grâce à une stratégie numérique bien pensée. Les artistes nigérians exploitent habilement les réseaux sociaux et les plateformes de streaming pour diffuser leur musique. Sur Spotify et Apple Music, les morceaux nigérians comptabilisent des millions d’écoutes, propulsant des chansons comme "Essence" de Wizkid ou "Ye" de Burna Boy en tête des classements internationaux. Wizkid, par exemple, a enregistré plus d'un milliard de streams sur Spotify en 2021, une performance qui témoigne de l’influence croissante des artistes nigérians sur la scène mondiale.

En parallèle, les vidéos musicales nigérianes ont envahi les plateformes comme YouTube, TikTok et Instagram. Les artistes combinent chorégraphies entraînantes et visuels impressionnants, créant des contenus viraux qui captivent le public mondial. Burna Boy, devenu le premier artiste africain à vendre entièrement un stade à Londres en 2023, symbolise l’expansion de l'afrobeat au-delà du continent.

Contexte historique et comparaison avec le Kenya

Si le Nigeria a su s'imposer, c’est en partie grâce à une riche tradition musicale marquée par des icônes comme Fela Kuti, inventeur de l’afrobeat dans les années 1970. Ce genre musical, au croisement de la musique traditionnelle africaine, du jazz et du funk, a évolué vers l’afropop, une fusion moderne influencée par la dance music et le hip-hop. Cette flexibilité a permis aux artistes nigérians de s'adapter aux tendances mondiales tout en préservant leurs racines.

Le Kenya, pour sa part, possède également un riche patrimoine musical avec des genres comme le benga, le genge et la kapuka. Le benga, né dans les années 1960, est profondément ancré dans la culture Luo, tandis que le genge, qui a émergé au début des années 2000, est le produit de la scène urbaine kényane. Cependant, ces genres peinent à acquérir une visibilité mondiale comparable à celle de leurs homologues nigérians. L'artiste kenyan Sauti Sol, bien que populaire en Afrique de l'Est, ne bénéficie pas du même soutien global que les stars nigérianes.

Selon les données de Spotify, les artistes kényans comptent en moyenne moins de streams que leurs pairs nigérians. En 2022, Burna Boy a atteint plus de 500 millions de streams sur la plateforme, tandis que les artistes kényans les plus populaires ne franchissent souvent pas la barre des 100 millions.

Défis pour les artistes kényans

L’un des principaux obstacles pour les artistes kényans est l’accès limité aux infrastructures et aux investissements nécessaires pour atteindre un public mondial. Là où les stars nigérianes bénéficient du soutien de grands labels comme Atlantic Records, de nombreux artistes kényans restent sous-financés. De plus, l'omniprésence des stars nigérianes sur les réseaux sociaux limite la visibilité des musiciens kényans, qui doivent rivaliser pour attirer l'attention du public africain et mondial.

Un autre défi est la qualité de production. Les clips nigérians, souvent réalisés avec des budgets importants, offrent des visuels qui rivalisent avec ceux des superstars mondiales. En revanche, les artistes kényans, malgré leur talent, n’ont pas toujours accès aux mêmes ressources. L'artiste kenyan Khaligraph Jones a souligné ce problème dans une interview récente, affirmant : « Nous avons le talent, mais il manque l’investissement nécessaire pour atteindre le même niveau que nos frères nigérians. »

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Un problème de redevances

Un autre défi majeur concerne le paiement des redevances aux artistes. Bien que les radios kényanes respectent le quota de 40 % de musique locale imposé par la législation, les paiements de redevances sont souvent négligés. Peter Inyenze, à la tête de la Music Copyright Society of Kenya, a révélé que seuls 20 % des royalties sont collectés. Des litiges juridiques sont en cours depuis des années, ce qui affecte directement la viabilité financière des artistes kényans.

En réponse, des personnalités comme le comédien Eric Omondi militent pour augmenter le quota de musique kényane à 75 %. Cependant, cette initiative rencontre des résistances, les stations de radio arguant que le public préfère les sons internationaux. Omondi a d’ailleurs organisé une protestation spectaculaire en s’enfermant dans une boîte de verre devant le parlement, attirant l’attention sur la nécessité de soutenir la musique locale.

Les opportunités de collaboration

Malgré ces difficultés, la collaboration entre artistes nigérians et kényans offre des perspectives prometteuses. Les collaborations transnationales peuvent non seulement élargir l'audience des artistes kényans, mais aussi créer des fusions musicales inédites. En 2020, le groupe kényan Sauti Sol a collaboré avec Burna Boy sur le titre "Time Flies", une chanson qui a permis aux deux parties d'explorer de nouveaux territoires musicaux tout en touchant une audience plus large.

Ces partenariats peuvent également dynamiser les performances sur les réseaux sociaux et les plateformes de streaming. En effet, une simple publication commune sur Instagram entre deux stars africaines peut générer des millions d’interactions. Cette synergie entre les artistes pourrait offrir un modèle de succès pour l’industrie musicale kényane.

La domination des rythmes nigérians sur la scène musicale africaine et mondiale impose de nouveaux défis aux artistes kényans, mais elle ouvre aussi des opportunités de collaboration et d’apprentissage. Alors que l’afrobeat et l’afropop continuent de séduire le public mondial, les musiciens kényans peuvent puiser dans ces succès pour adapter leurs stratégies et capter une audience plus large. L’avenir de la musique africaine réside dans l’union de ces talents continentaux, où chaque artiste, qu'il soit du Nigeria ou du Kenya, pourra contribuer à l’essor de la musique africaine sur la scène mondiale.

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