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RDC – Médecins en grève : « le gouvernement nous pousse à un suicide collectif ».

"Beaucoup de malades meurent ici parce qu’ils n’ont personne pour les soigner", témoigne Benjamin Lilonga, la trentaine, dans une allée de l’Hôpital Général de Kinshasa où les médecins sont en grève depuis le lundi, 12 juillet, à l’appel des trois syndicats professionnels, le Synamed, le Symeco et le Sylimed. Lassés des promesses, les personnels soignants du secteur public exigent une prime décente, une exonération fiscale et des promotions en grade attendues depuis deux ans. Le gouvernement congolais qui a engagé les discussions n’a que des solutions partielles, pour l’heure, à six mois d’un nouvel exercice budgétaire. Mais en pleine pandémie de Covid-19, les autorités doivent agir vite vu que le mouvement syndical se généralise à travers d’autres provinces du pays.

« Des droits acquis puis perdus ! »

Une fois encore ! Mais cette fois les médecins congolais ont décidé d’aller en grève en dépit d’une troisième vague du Covid-19 plus meurtrière qui secoue le pays. A Kinshasa, d’abord puis progressivement dans plusieurs autres provinces à l’instar du Sud-Kivu et du Lualaba, les personnels soignants veulent un juste traitement. « Nous avons déposé un préavis de grève depuis dix jours et c’est au 10e jour que le gouvernement nous a convoqués pour échanger avec nous et nous nous sommes dit malgré cela vaut mieux qu’on puisse commencer la grève entretemps le gouvernement est entrain de négocier avec nos représentants », confie Kati Ngoboka, responsable du Syndicat National des Médecins, à l’Hôpital Général de Kinshasa.

Justement, les syndicalistes y vont de main ferme et comptent bien faire entendre la voix de leurs corps. « Aujourd’hui, un médecin en République Démocratique du Congo touche moins de 600 dollars américains, toutes rubriques comprises.  A ce médecin-là, vous demandez qu’il paie le logement, qu’il nourrisse sa famille, qu’il se déplace chaque jour pour aller au service ? Je pense que ce n’est pas acceptable », déplore Fabien Nzoko, président national du Synamed qui ajoute que leurs requêtes ne sont pas que salariales. « Le gouvernement, du temps de l’ancien président, nous avait accordé une facilité à travers une exonération sur la mobilité mais, sous le régime de Tshisekedi, on nous a retiré cet avantage ».

Le gouvernement privilégie le dialogue pour un dénouement rapide

Les demandes des médecins sont entendues du côté de l’interlocuteur, le gouvernement. « Les médecins réclament, en premier lieu, un équilibre par rapport à un projet d’ordonnance présidentielle pour la nomination des médecins gradés qui n’a pas été faite (exécutée) depuis très longtemps. Egalement, la notification en lien avec un décret du premier ministre de 2019 qui n’a pas été exécuté. En plus de cela, les médecins se plaignent de la différence qu’il y a entre l’impôt professionnel qui comprend le logement et le transport », a résumé le ministre national de la Santé, Jean-Jacques Mbungani au cours d’une interview exclusive.

Pour ce faire, des pourparlers sont engagés entre les deux parties depuis le dimanche, 11 juillet 2021. S’ils n’ont pas permis d’annuler la grève qui a démarré 24 heures plus tard, au moins ils ont empêché une grève sèche qui causerait des méfaits encore énormes. Pour l’instant, Jean-Jacques Mbungani est optimiste « les rencontres entre les syndicats, et les ministères de la santé, du budget, de la fonction publique continuent et nous avons bon espoir ». Sur le terrain, les retombées sont pourtant palpables comme dans le récit de Benjamin Lilonga. « Depuis le début de la grève, beaucoup de malades meurent ici parce qu’ils n’ont personne pour les soigner. Le gouvernement doit payer les médecins pour qu’ils remettent leurs blouses et fassent leur travail comme il se doit ».

Cette alerte, c’est aussi pour les siens qu’il la lance. L’homme de la trentaine révolue a accompagné sa mère Béatrice Mulembo à l’hôpital pour un rendez-vous avec son médecin qu’elle ne rencontrera pas. « Mon fils m’a accompagnée pour un rendez-vous avec le médecin. Je viens régulièrement pour mon problème du cœur. Mais depuis que nous sommes là, nous sommes assis ici à l’extérieur sur ce banc. Ce médecin nous a dit qu’ils étaient en grève ». Une nouvelle bien déconcertante pour une personne de troisième âge, visiblement entamée par la maladie et qui a de la peine à enchaîner les mots ; avant de soupirer. « On reste un peu pour se reposer avant de rentrer. Mais on ne sait pas quoi faire par la suite ». Sa situation, des dizaines d’autres patients la vivent simultanément dans les couloirs de cet établissement, le plus vaste et le plus fréquenté de la capitale de la RDC, où l’unique alternative est d’aller dans les structures privées où les coûts des soins peuvent décupler. Et malgré leur sensibilité, les médecins admettent qu’ils ne peuvent rien y faire.

Au contraire, les choses pourraient s’empirer si les autorités ne donnent pas satisfaction à leur cahier des charges. Kati Ngoboka, comme plusieurs médecins grévistes présents à leur lieu de travail, a des échanges avec des patients qu’il reçoit habituellement. Mais aujourd’hui est un jour d’exception. « Le service minimum c’est-à-dire nous ne recevons pas de malades sauf les urgences extrêmes. Il n’y a pas de consultation externe. Nous sommes entrain de libérer ceux qui sont hospitalisés parce que même les tours de salle ne se font plus régulièrement », explique-t-il devant la curiosité d’un parterre de malades attendant désespérément que l’homme change d’avis.

Les médecins refusent de choisir entre leurs vies et celles de leurs patients

Les médecins ressentent de la peine pour leurs malades. Pourtant, ils avouent avoir mis en branle la solution ultime afin de se faire entendre. « Nous ne supportons plus la manière dont on nous traite. Si les médecins décident de prendre cette décision aujourd’hui, c’est une façon pour nous de dire à l’autorité que nous ne sommes pas contents », a dit pour sa part le docteur Lokya. Mais, la compassion est bien là. Seulement, ils sont unanimes que les autorités ont souvent fait abus de la position du médecin et de la délicatesse de son engagement pour les laisser à la dernière marche de l’escalier. Le président du Synamed Fabien Nzoko assure que c’est en respect de leur déontologie qu’ils ont aussi décidé de prendre le parti de défendre leurs propres intérêts. « On aime à nous chanter le testament d’Hyppocrate. Mais le testament d’Hyppocrate veut que le médecin soit dans les meilleures conditions sociales pour pouvoir entretenir la confiance du malade qu’il doit traiter. Il est dit dans ce testament : d’un médecin mal-présenté, on croit d’emblée qu’il ne saurait traiter le malade ». Avant de conclure « donc la même peine que j’aurais pour la population, c’est la même peine que j’aurais pour mon confrère que je vais voir mourir sans que l’Etat n’organise même ses obsèques. J’ai le sentiment d’un homme révolté ».

Dans cet épisode, la population se range d’ailleurs du côté de leurs sauveurs à qui elle ne reproche rien. « Qu’ils s’entendent, qu’ils (le gouvernement, ndlr) les paient pour que nous reprenions les soins normalement. Si les gens meurent en cascade ici à Mama Yemo, ça sera irréparable », interpelle Béatrice Lomeya qui ne s’imagine pas expérimenter une nouvelle fois une annulation d’un rendez-vous médical.

Covid-19, la crise de trop dans les rapports Gouvernement-médecins

L’Organisation Mondiale de la Santé avait alarmé Kinshasa sur les conséquences d’une éventuelle grève des personnels soignants, pendant la crise Covid-19. Le gouvernement avait emprunté d’ailleurs l’argumentaire de l’OMS pour tenter de dissuader les médecins d’aller en grève. Mais, le temps des faux-fuyants était dépassé, selon Fabien Nzoko. « En effet, Covid a commencé depuis le 10 mars 20 en RDC. Je rappelle que dans un contexte de grève, le gouvernement avait pris des engagements antérieurs à la survenue de la pandémie. C’était le 25 janvier 2020. Savez-vous qu’en ce jour, les médecins ou les personnels commis à la riposte connaissent sept mois d’arriérés (de salaire) ? ». Au lieu de les rapprocher, la crise sanitaire a renforcé le rejet entre les deux partenaires de la santé publique en RDC. « Donc, la pandémie ne peut pas être un motif parce que le gouvernement lui-même n’alloue pas assez de moyens à l’équipe qui y travaille, ne les protège même pas assez et pire, ceux qui meurent, leurs familles ne reçoivent rien ».

Le Synamed déplore la mort des 50 personnels soignants depuis que la pandémie a touché le pays, il y a 15 mois. Selon cette corporation créée en 1990, l’Etat congolais n’a même pas « enterré ses propres médecins morts en sauvant des vies au sein des équipes de la riposte ». C’est l’air amer que le président de l’organisation a conclu « le gouvernement de la République nous pousse au suicide, un suicide collectif ». Une page qui sera peut-être tournée sur un long terme.

La grève, le symbole de la rupture avec le politique congolais

Mais comment en est-on arrivé à ce point-là ? La confiance, c’est le mot qui justifie la situation actuelle. Entre le corps médical et les décideurs, ce lien a été rompu. Et le premier semble vouloir se venger. « La grève on ne la fait pas contre la population… Savez-vous que les médecins, lorsqu’ils tombent malades, ils se prennent en charge. Mais parfois il faut une dialyse, c’est coûteux et l’Etat ne paie rien. Il faut qu’on se cotise entre médecins », note Fabien Nzoko. Le gouvernement est le perdant dans ce duel et c’est bien à lui que le message de ce mouvement s’adresse. Notre source se déchaîne. « Les médecins avaient fait confiance au gouvernement (du premier ministre, ndlr) Ilunkamba parce que c’était le premier gouvernement de l’ère Tshisekedi. On croyait au changement ». En effet, en 2019, le gouvernement de la coalition formée par les camps du président actuel et de son prédécesseur suscitait tant d’enthousiasme dans la société congolaise, avant de se distinguer par des conflits partisans entre ses membres. Comme cela a été démontré plus haut, les revendications des médecins datent déjà de cette époque, d’autres même y sont antérieures. Mais les échanges avec les gouvernants se sont toujours soldés par de beaux mots, remarque le précité. « Ils nous chantent que nous sommes des demi-dieux. Nous voulons des actes qui montrent que le gouvernement congolais honore ses médecins. Pas par des discours ».

Après son renversement, le gouvernement a légué aussi bien son actif que son passif. « La grève actuelle est conséquente à des réclamations anciennes des médecins », avance l’actuel ministre. Des excuses qui risquent de ne pas passer chez des agents qui ont des requêtes claires.

Une meilleure prime, le gouvernement d’accord… mais pas immédiatement

Le gouvernement du premier ministre Sama Lukonde entend rétablir une confiance maximale avec les médecins congolais. Au point de les concerner en vue de l’élaboration de la prochaine Loi des finances. « Nous avons demandé aux syndicalistes d’être présents lors de la confection du projet du budget de l’exercice prochain », affirme Jean-Jacques Mbungani, très réaliste. Il reconnaît que la prime des médecins pour l’année en cours ne devrait pas être réajustée « parce que maintenant l’assiette salariale était fixée en lien avec le budget précédent (en pleine exécution, ndlr) ». Il a précisé que « la RDC qui a renoué avec le FMI doit respecter certaines normes c’est-à-dire que la masse salariale globale ne peut pas dépasser un certain montant. Raison pour laquelle, les améliorations telles que demandées par les médecins vont figurer dans le budget prochain ». Tout de même, pour maintenir les syndicats à la table des négociations, de premières décisions ont été prises, 72 heures après le déclenchement de leur mouvement. De nouvelles relativement importantes rapportées par le ministre de tutelle. « Pour répondre à l’attente des médecins, nous les avons rencontrés. Et l’effort qui est fait, c’est l’annulation de l’impôt professionnel sur la prime qui comprend le logement et le transport et également… ».

Ce volet est une des trois principales revendications des grévistes. En effet, depuis l’année 2019 et le début de la perception de l’Impôt Professionnel sur les Revenus, les médecins se sentaient lésés. Ils se voyaient retirer avec la main gauche ce qu’ils avaient reçu de la main droite. L’autre satisfaction concerne les promotions en grade. « … en ce moment, le secrétaire général de la santé publique, hygiène et prévention est entrain de notifier les médecins par rapport au décret de 2019 et un projet d’ordonnance est en voie de toilettage pour être présenté au président de la République », a révélé le ministre Mbungani.

Si ce dossier est mené à terme, ce sont 2342 agents de carrière qui accéderaient finalement à leurs grades et fonctions de médecins régents et médecins juniors du ministère de la Santé publique, conformément au décret du 22 janvier 2019 signé par le premier ministre de l’époque Bruno Tshibala et qui n’a jamais été mis en œuvre.

C’est donc une victoire en vue pour le corps médical qui peut desserrer l’étau autour d’un gouvernement qui ne manque pas de flexibilité dans cette affaire. « Je sais qu’on ne peut pas obtenir tout le même jour. Mais il faut qu’on nous entende et qu’on fasse quelque chose. J’espère par la grâce de Dieu, que tout reviendra bientôt dans les bonnes conditions », le souhait lucide du Dr Lokya qui a hâte à se remettre au service de ses patients de l’hôpital ex-Mama Yemo.

Revalorisations salariales à la mode : les médecins ne valent pas moins les magistrats

« Nous sommes allés à l’Université pendant sept ans pour cela mais si l’Etat ne sait pas nous reconnaître et nous rémunérer comme il faut, on n’a pas de choix même si effectivement ça nous fait mal de voir nos patients repartir chez eux sans recevoir les soins », a tancé le Dr Kati Ngoboka. Son message est une référence notamment à la revalorisation récente du salaire des magistrats qui viennent de se voir accorder une augmentation de cent pourcents environ – à partir de 2022 - par rapport à leur rémunération actuelle.

Dans un contexte où les révélations sur les avantages sociaux des animateurs des institutions ont fait scandale, durant la législature en cours, les médecins pensent que le temps le bon est venu pour eux de se faire respecter. « Même ces politiciens sont nos malades. Ne prenons pas toujours la population démunie dans la mesure où cette population ne relève pas des médecins mais du pouvoir politique. Mais ces mêmes politiciens, quand ils tombent malades, c’est nous qui les prenons en charge avant qu’ils ne soient transférés à l’étranger. Et même quand ils sont transférés à l’étranger, leurs familles c’est ici, leur base électorale, c’est ici », a souligné Fabien Nzoko. Cette mise au point risque d’en appeler à d’autres. Car non seulement cette grève a atteint une nouvelle province, toutes les 24 heures, mais elle peut également être imitée par d’autres corps professionnels surtout si les enseignants, les militaires et policiers remarquent que les uns après les autres, les hommes en toges et ceux en blouses blanches ont eu gain de cause. Un tel scénario obligerait le président Félix Tshisekedi et son premier ministre Sama Lukonde à réduire drastiquement le train de vie des institutions – cette fois, pour de vrai.

Maghene Deba - Oeil d'Afrique



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