L’essentiel de l’actualité
Un épisode tumultueux s’achève entre la RDC et le Rwanda à la suite des propos polémiques de Paul Kagame rejetant toute idée de massacres commis chez son voisin. Même si le dirigeant rwandais a tenté de désamorcer l’escalade, la colère dans l’opinion congolaise n’a pas baissé et beaucoup invitent le président Tshisekedi à prendre ses distances vis-à-vis de son homologue.
On tente d’inventer un génocide du Congo… comme au Rwanda, selon Paul Kagame
« Des rapports existent indiquant qu’il n’y a jamais eu des crimes commis au Congo. Absolument pas ». Par ces mots prononcés sur France 24 et RFI, Paul Kagame a plus choqué des consciences alors qu’il a cru uniquement récuser le Rapport mapping. L’enquête des experts de l’ONU est sans appel : « le nombre de violations atteignant le seuil des crimes internationaux est tellement élevé qu’un système judiciaire fonctionnant au mieux de ses capacités n’aurait pas la capacité de traiter un aussi grand nombre de cas. Les auteurs de ces crimes se comptent par milliers, voire dizaines de milliers, et leurs victimes par centaines de milliers ». Ce tableau est tout juste semblable à celui du génocide. Des rwandais comme des étrangers continuent à être jugés depuis… 27 ans. Et Kagame dont le pays est catalogué dans le Rapport mapping n’y accorde aucune créance : « on essaie de dupliquer ce qui s’était passé au Rwanda. Comme le génocide contre les tutsi avait suscité une grande compassion de par le monde en impliquant des responsabilités à plusieurs niveaux, les gens se disent mais ils ne sont pas les seuls à avoir péri, il y a eu des morts dans d’autres camps. Donc, il y a eu deux génocides. Au Rwanda d’abord, ensuite au Congo ».
La société civile congolaise mettra du temps à avaler cette pilule amère. A l’instar du président de la Nouvelle Dynamique de la Société Civile, Jean-Chrysostome Kijana qui secoue les forces vives du pays : « de nombreuses femmes ont été mutilées. Il y en a des femmes qui ont été enterrées vivantes à Kasika, Makobola et ailleurs ici à l’est. Et dire aujourd’hui que ces crimes n’ont jamais été commis est intolérable et comme citoyens, les congolais nous devons nous lever comme un seul homme pour dire non à ce négationnisme ahurissant qui caractérise depuis toujours les dirigeants et le gouvernement rwandais ».
En validant les rapports parallèles au Rapport mapping, Paul Kagame ne se cache pas. Il n’y aura pas de récit authentique de la guerre au Congo si le Rwanda y est cité comme acteur. Cette posture est tout l’inverse de celle de son homologue congolais. Pendant que ce dernier s’en remet à la justice internationale en refusant d’enjamber sur les responsabilités des parties dans les atrocités de la décennie 1993-2003, Kigali ne devrait pas collaborer avec la justice quand débuteront les procès fondés sur un document qu’il rejette.
Kagame se rétracte, en vain
Pour rattraper son fiasco, le président rwandais a donné une interview à Jeune Afrique affirmant, entre autres : « de nombreuses personnes sont mortes au Rwanda et au Congo, il n’y a aucun doute là-dessus. Le fait est que mon pays et le Congo ont beaucoup souffert ensemble. Il y a eu trop de morts ». Mais, ce n’est pas de cette façon qu’il obtiendra sa rémission.
« La volte-face de Kagame est la résultante de notre colère comme peuple congolais », l’activiste Jean-Chrysostome Kijana ne s’est pas laissé impressionner. Comme lui, d’ailleurs, le politologue Jean-Claude Mputu : « je suis persuadé que sans la réaction forte des congolais, il n’aurait pas concédé le fait que le Congo a aussi souffert. Le vrai problème n’est pas cependant dans la souffrance du Congo mais dans la responsabilité de l’armée rwandaise dans cette souffrance. Et là, aucune concession ».
Pour ce dernier, la préoccupation n’est pas à la reconnaissance des crimes : « je ne vois aucun recul, juste une tactique pour calmer le jeu. La seule chose qui compte c’est la vérité, la justice et la réparation pour les victimes. Et ça ce n’est pas Kagame le problème mais la RDC ».
En d’autres termes, le Congo doit saisir l’occasion pour maintenir le débat, à l’échelle mondiale. Enthousiaste après l’entretien de Jeune Afrique, le chef de l’UDPS à Lubumbashi, Bruno Tshibangu rêve déjà plus grand : « pourquoi il se dédit ? C’est vrai que Kagame était soutenu par l’extérieur pour asseoir le leadershipqu’il voulait incarner en Afrique centrale. Mais aujourd’hui, son influence aux Nations Unies, à l’Union Africaine et dans les Grands-Lacs commence à diminuer ; il faudrait maintenant l’écarter pour que le président Tshisekedi puisse assumer ce leadership avec exemplarité et modestie ».
Mais halte à l’illusion sur la fragilisation du régime de Kigali, prévient le chercheur J.-C. Mputu : « pour moi, il n’y a rien de nouveau. Kagame c’est un fin calculateur et rien de ce qui se passe au Congo ne lui échappe et sans doute ses fervents soutiens à travers le monde lui ont dit qu’il était allé trop loin. En grand Seigneur, il dit autre chose sans s’amender ».
Les controverses sur le Rapport mapping ne méritent pas qu’on nie les crimes en RDC
Dans la lignée de sa méfiance à l’endroit de la mission onusienne qui opère en RDC, Kagame a critiqué la Monusco. Il déplore que le Rapport mapping n’interroge pas le rôle de l’Onu qui a échoué de ramener la paix au Congo malgré la présence des 17 mille casques bleus. A ce niveau, certains congolais seraient d’accord avec lui. Mais la controverse sur les rôles des acteurs dans les crimes du Congo ne justifie pas ses propos : « renier l’existence des crimes dans notre pays constitue ni plus ni moins qu’un grand affront à tout un peuple et contre toute la nation congolaise… Le président Kagame a remué le couteau dans nos plaies qui sont encore fraîches », a déploré le président de la NDSCI.
Le gouvernement congolais pouvait interpeller son allié non pas en affirmant la responsabilité du Rwanda mais en fustigeant la légèreté devant la douleur de son peuple. « Mais au final il n’appartient pas à Kagame de défendre les victimes congolaises et de les honorer. Malheureusement les autorités congolaises sont assez absentes sur le sujet et disposent d’autres canaux auxquels nous n’avons pas accès ». Jean-Claude Mputu qui a fait le constat a insisté par ailleurs sur la mémoire des victimes : « Les morts congolais méritent le respect. Les femmes violées méritent le respect. Les familles endeuillées, les enfants traumatisés et les communautés désarticulées méritent respect, justice et réparation. L’indifférence a trop ».
Sur quoi repose la suffisance de Paul Kagame ?
La sortie polémique du dirigeant rwandais a été calculée. Le timing et le créneau n’ont rien d’un hasard. « Evidemment, Kagame est un opportuniste qui est dans un management de contingence. Il veut saisir les bonnes opportunités pour clamer son innocence et le Sommet économique sur l’Afrique est un forum dans lequel il y a de grands enjeux, les pays y portent leur attention sur les résolutions de ce sommet », assure Jeef Mudimbi. Mais pour tenir un discours si poignant, il faut avoir des assurances. Au pays des mille collines, la RDC est vue comme un acteur inoffensif : « si aujourd’hui Kigali paraît en position de force, c’est uniquement à cause de la faiblesse de nos dirigeants et de l’absence d’une réelle légitimité des différents pouvoirs qui se sont succédé à la tête du Congo. Ce temps est appelé à prendre fin un jour », soutient Jean-Claude Mputu.
Et pour une fois, son point de vue est partagé par l’autre politologue, Jeef Mudimbi qui avait jusque-là prôné la voie douce : « les relations diplomatiques sont des relations de force… Il faut avoir une armée qui offre des garanties pour défendre le territoire et attaquer quand il le faut mais aussi avoir une économie solide qui n’est pas désarticulée ». Il s’explique le réflexe de Kagame à défendre son pays : « les congolais ne doivent pas s’attendre à ce qu’il puisse reconnaître sa culpabilité ». Les congolais, eux, devront s’en charger puisque s’il faut le défendre ses intérêts, le Rwanda ne craindra pas d’être qualifié de négationniste des massacres en RDC.
La réaction trop médiane du président congolais
A l’échelle internationale, le ton équilibriste de Tshisekedi a fait bonne impression. Le Sommet à Kinshasa sur les eaux du Nil avec l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie, sa présence aux obsèques d’Idriss Déby et le fait d’exiger la libération des autorités de transition au Mali montrent un homme qui veut jouer un rôle de médiateur. Dans son interview à RFI, il n’assume pas la position générale de son peuple : « ensuite, je dirais que le Rapport mapping c’est quelque chose qui a été fait par des experts de l’ONU. Ce ne sont pas les congolais qui accusent ».
Pourtant, avant même l’enquête onusienne de 2010, des organisations locales réclamaient justice en dénonçant le Rwanda. Mais, le président congolais qui attend une justice « pour toutes les victimes au Congo et ailleurs dans la région » n’a pas convaincu dans son pays. Des responsables de son parti, Jean-Marc Kabund et Jacquemain Shabani ont dénoncé « mépris » et « injures ». Mais il en fallait plus. « Si au moins le président de leur parti (Félix Tshisekedi, ndlr) pouvait ne fut-ce que les suivre, ça sera déjà un bon début. Presque 30 ans après le début des massacres, nos victimes n’ont jamais été honorées, elles n’ont obtenu aucune compensation. L’Etat ne les défend pas, bien au contraire elles sont sacrifiées au nom d’une politique de bon voisinage à sens unique », s’est exaspéré Jean-Claude Mputu avant de vider son sac : « sa réaction est effectivement timide. Il suffit de voir les réactions rwandaises quand on s’en prend aux victimes du génocide pour mesurer le fossé qui sépare les deux pays. Je pense qu’au-delà des questions matérielles, une Nation, un pays c’est aussi une idée, un esprit, une dignité ».
Mais si Kagame s’est ravisé dans sa seconde interview, c’est une réussite pour l’approche de Tshisekedi. « La nature du président de la République, c’est de ne pas être très émotif. Il analyse avec beaucoup d’intelligence devant n’importe quelle situation et quelle que soit sa portée. Il a laissé à Kagame le temps de se remettre en question et se demander s’il avait bien parlé oui ou non », affirme Bruno Tshibangu, président de l’UDPS dans la province du Haut-Katanga.
Tout de même, Félix Tshisekedi se serait passé d’un tel épisode. Mais, il est patient et stratège. Il n’a pas lâché son allié, il espère en tirer profit : « et donc, pour moi, ce serait plutôt une attitude positive que le président Kagame aurait de collaborer à cela. Parce que à ce stade, il y a pas encore de condamnation. Il faut se mettre au service de la justice. Si ces gens-là qu’il défend sont innocents, la justice les innocentera ».
Si les procès des crimes documentés dans le Rapport mapping débutent et que le Rwanda coopère, Tshisekedi sera gagnant seul, comme il encaisse seul aujourd’hui.
La paix puis la justice, Félix Tshisekedi a son idée
Le président Tshisekedi a pris à contre-pied la masse populaire. En accordant une interview à RFI, il a insisté qu’il ne « répliquait » pas aux propos de Kagame mais aussi qu’il ne souhaitait pas encore ouvrir la boîte de Pandorre : « demain, lorsque cette paix sera une réalité, nous allons ouvrir ces pages aussi sombres avec la justice congolaise et voir dans quelle mesure nous pouvons régler les méfaits du passé, par une justice transitionnelle ou par une justice pénale, enfin ».
Contrairement à ce que la plupart de ses compatriotes souhaitaient, il s’est mis au-dessus de la mêlée. Et pour deux raisons, analyse le politologue Jeef Mudimbi : « d’une part, il veut que les tueries à l’est cessent. Dans la mesure où le président Tshisekedi pense que le Rwanda peut jouer un rôle dans l’instauration de la paix, il préfère éviter de faire la guerre au Rwanda. En outre, il y a un enjeu statutaire vu sa position. Il est président de la RDC mais aussi président de l’Union Africaine. A ce niveau-là, il doit prendre de la hauteur ».
Malheureusement, malgré son élégance, Tshisekedi mise probablement sur le mauvais partenaire et le Rwanda de Kagame pourrait ne jamais collaborer à restaurer ni la paix ni la vérité sur les tueries à l’est de la RDC.
Le président de la France est d’abord le président des français. Les autres présidents parlent « avant tout » pour la Russie, pour la Chine, pour l’Amérique lorsque leurs intérêts ou leur intégrité sont en jeu. Le président congolais s’est montré altruiste en affirmant : « quant à nous, je veux la paix pour mon peuple mais pour les peuples voisins aussi ».
Opérations militaires conjointes, les congolais crachent sur la main tendue par Kagame
Au moment où la RDC s’affaire à mater les groupes armés à l’est du pays, le chef de l’Etat rwandais a révélé : « nous envisageons avec la RDC des opérations conjointes, d’une part pour identifier la source du problème et son ampleur avant de s’avancer en définissant les mesures qu’il faut prendre en priorité ».
Détendu et prolixe comme il l’est rarement au sujet de la RDC, Kagame s’est montré disposé à intervenir, immédiatement, aux côtés de son voisin dans la traque des rebelles : « si les deux pays jugent une telle collaboration utile en évaluant les coûts et les retombées ; je pense que nous devons nous montrer flexibles… Je ne vois pas de mal si la RDC décidait de travailler avec un de ses voisins pour régler un problème (comme l’insécurité à l’est, ndlr). Ça peut être l’Ouganda, le Rwanda, l’Angola, le Congo-Brazzaville, la Zambie, la Tanzanie, le Burundi,… autant qu’il a des voisins ».
Hélas ! La dernière fois que les armées des deux premiers pays cités avaient séjourné simultanément sur le territoire congolais, l’Uganda People’s Defence Force et l’Armée Patriotique Rwandaise s’étaient affrontées au cours de la guerre des six jours provoquant un millier de morts. « Alors que Kisangani pleure encore ses morts et sa ville détruite, les mêmes armées à l’origine de leurs drames viendront mettre la paix ? » interroge JC Mputu
A l’inverse de son homologue, le professeur Jeef Mudimbi, chercheur à l’Université de Lubumbashi met en avant la position stratégique des deux amis-ennemis qu’il juge indispensables : « malgré cet incident, je pense que l’aide du Rwanda comme de l’Ouganda est toujours d’actualité pour les opérations militaires conjointes à l’est du pays parce qu’ils peuvent servir d’arrière-garde pour des groupes rebelles ».
Pourtant, même notre source au parti présidentiel n’agrée pas cette coopération : « j’entends qu’en Ituri les militaires ougandais sont déjà entrés. Très personnellement, je ne suis pas d’accord pour l’entrée des troupes rwandaises et ougandaises. Ce sont eux qui causent déjà l’insécurité dans notre pays par le biais de tous ces groupes armés. Mais s’ils viennent, ils vont encore consolider la position des rebelles dans le dos de notre Armée. Ils doivent rester à l’écart et nous allons travailler avec des pays en qui nous avons confiance comme le Kenya ».
Le Kenya, une autre puissance de la région a négocié avec le président Tshisekedi l’envoi de ses troupes à l’est du pays pour officiellement combattre les ADF. Mais certains observateurs notent que le Kenya veut s’engouffrer dans le juteux circuit de l’exploitation et du trafic des minerais du Kivu et de l’Ituri, vrais nerfs du conflit. Pourtant, les Forces Armées de la République démocratique du Congo inspirent de plus en plus confiance aux citoyens.
« C’est une armée courageuse avec des hommes et des femmes très engagés avec un esprit patriotique et qui sont prêts à mourir pour leur pays », rappelle le président de la NDSCI, Jean-Chrysostome Kijana. Face à la duperie qui a endeuillé et appauvri la RDC avec la Monusco et des armées alliées qui pillent les ressources en laissant souvent plus de problèmes qu’elles n’en avaient trouvé, notre source exhorte les autorités à faire confiance à l’Armée : « il suffit seulement au gouvernement de faire preuve de beaucoup plus de responsabilité et de doter nos services de sécurité d’équipements adéquats et les FARDC sont capables, à elles seules, de venir à bout de tous ces groupes armés ».
Rapprochement RDC – Rwanda, les congolais s’en trouvent floués
A son arrivée au pouvoir en 2019, Félix Tshisekedi avait promis de réconcilier la RDC avec le concert des nations, à commencer par ses voisins. Sans doute, l’ancien opposant a réussi à dissiper l’antagonisme avec le voisin le plus méfiant, le Rwanda. En froid avec le régime Kabila sur ses cinq dernières années, Kagame était l’hôte de marque pour les obsèques officielles du père de l’actuel président congolais. Sur ce rapprochement, il s’est montré enthousiaste : « ce qui est important et nouveau dans les rapports entre nos deux pays, c’est que le climat est tel qu’on peut s’asseoir et discuter. Ce n’était pas le cas avant », a-t-il dit à France 24 et RFI. Et ce sentiment va dans les deux sens. Devant l’indignation générale dans son pays, Félix Tshisekedi a calmé le jeu : « c’est quelqu’un avec qui j’ai de bonnes relations, je saurai comment passer le message autrement ».
Si seulement son interlocuteur avait les mêmes scrupules ! Tshisekedi n’aurait pas à gérer la colère des congolais qui se sont sentis humiliés et insultés par un homme à qui ils pensaient pardonner pour le bien de tous : « nous ne pouvons pas ne pas encourager les initiatives du président Tshisekedi visant à promouvoir le rapprochement entre le Congo et ses voisins ; c’est une bonne approche parce qu’aujourd’hui, aucun pays au monde ne peut vivre se suffire seul » mais le vice-président de la plateforme Tournons La Page, Jean-Claude Kijana n’entend pas donner un chèque en blanc : « mais, cette approche doit se faire dans le respect mutuel des deux peuples ».
Une réciprocité qui n’est pas encore au rendez-vous. Il y a environ une année, l’ambassadeur rwandais à Kinshasa, Vincent Karega avait manqué de délicatesse. Est-ce une coïncidence si le diplomate avait abordé le même sujet que son patron ?
A l’époque, il réfutait toute implication de son pays dans des massacres au Congo. Des manifestations avaient été organisées pour demander au chef de l’Etat congolais de l’expulser mais l’émissaire de Kagame avait réagi en assurant qu’il ne serait pas expulsé. Il ne l’a jamais été. Il n’a pas été rappelé non plus parce que son discours correspondait à la position officielle de son pays. Notre source précitée met en garde : « le peuple congolais ne doit pas négocier l’amélioration des relations avec ses voisins en étant à genoux. Le Congo c’est un grand pays »
Bon jongleur avec ses adversaires internes, qui lui faisaient l’ombre et qu’il a écartés, les uns après les autres, sans heurts, Félix Tshisekedi ne devra pas attendre de subir un affront de plus au risque de renvoyer à son peuple l’image d’une diplomatie courtisane qui pourrait ternir un axe essentiel de sa politique.
Mukwege, « un symbole » de courage qui gêne Kagame
Le dirigeant rwandais a mentionné le célèbre Docteur Denis Mukwege pour illustrer le jeu de grandes puissances qui organisent et tirent bénéfice de l’instabilité dans la région : « Mukwege est devenu juste un symbole ou l’instrument de toutes ces forces invisibles. Il a reçu le Nobel et il doit dire ce qu’on lui dit de dire pour influencer l’opinion ». C’est peu de dire que les deux hommes entretiennent des rapports tendus.
Dans son Hôpital de Panzi, le gynécologue de Bukavu prend en charge des femmes victimes des violences sexuelles. Au-delà de les soigner, il dénonce constamment les auteurs de ces tragédies et le Rwanda en tête. Seulement, le prix Nobel 2018 n’aura pas besoin de se défendre. « Ça aurait pu être risible si ce n’était pas si dramatique car le travail du Docteur Mukwege et son indépendance sont connus et respectés de tous », a réagi Jean-Claude Mputu avant d’ajouter : «Le Docteur est la mauvaise conscience du président Kagame car ce dernier aurait voulu que les congolais se taisent comme leurs dirigeants pour que lui trône ».
Instrumentalisé par « des forces invisibles », avec les journalistes français, Kagame invoque péjorativement un symbole. Mais, Denis Mukwege est peut-être un vrai symbole de résistance. En tant qu’avocat, Jean-Chrysostome Kijana avait vaillamment affronté la puissante famille de Joseph Kabila en justice dans une affaire de spoliation. Pourtant, il salue la lutte de son aîné : « le Docteur Mukwege n’est pas une fierté seulement pour la RDC ; il l’est pour toute l’Afrique. Les propos du président Kagame ne lui enlèvent pas sa crédibilité. Tout ce qu’il fait c’est dans le cadre d’un combat juste, loyal et qui mérite d’être mené ».
Les congolais ont abondamment réagi à la déclaration du président rwandais. Dans un pays où la divergence politique très prononcée était le principal sujet dans la place publique, le discours de Kagame est devenu une préoccupation commune.
A Bukavu, la société civile avait appelé à boycotter les produits rwandais tandis que des politiques, artistes, scientifiques,… au pays et de la diaspora réagissaient via un communiqué. Mais, il se pourrait que cela ne suffise, à l’avis du Professeur Jeef Mudimbi : « s’il s’agit seulement de faire des déclarations que les milieux politiques nationaux et internationaux ne capitalisent pas, je pense que toutes ces déclarations ne seront considérées aux yeux du Rwanda que comme des faits anodins ».
D’où sa recommandation : « les sit-in, les marches que les congolais ont organisé çà et là, c’est bien. Mais, ce n’est pas nouveau. En principe, ces choses-là n’ont d’effet diplomatique que dans la mesure où Kagame se sent coincé. Lorsque le Rwanda se sent exposé à un danger imminent comme un embargo ou des sanctions internationales ».
Pour mener des lobbyings aussi porteurs, la RDC a besoin que ses citoyens prennent conscience des enjeux ainsi que l’a souligné le politologue Jean-Claude Mputu : « encore une fois, il nous appartient en tant que Nation de défendre notre honneur et notre dignité ».
Maghene Deba, Kinshasa - Oeil d'Afrique
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