Analyses

GuerreRDC
Le M23 à Goma – Analyse du discours de Félix Tshisekedi : Entre dénonciations, promesses et défis non résolus
Le discours du président congolais Félix Tshisekedi, prononcé dans un contexte de crise sécuritaire aiguë à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), a suscité des réactions mitigées. Alors que la chute de Goma, ville stratégique de plus de deux millions d’habitants, aux mains du mouvement rebelle M23 soutenu par le Rwanda, a plongé le pays dans une nouvelle phase de tension, le chef de l’État a tenté de rassembler la nation autour de l’effort de guerre. Cependant, malgré quelques annonces concrètes, comme la réduction du train de vie des institutions pour financer l’effort militaire, le discours a laissé transparaître des lacunes profondes dans la gestion des crises politiques et sociales qui minent le pays.
Contexte : Goma tombe, le pays vacille
La chute de Goma mardi 28 janvier 2025 a marqué un tournant dramatique dans la crise sécuritaire qui sévit dans l’est de la RDC depuis des décennies. Le M23, un groupe rebelle soutenu par le Rwanda selon de multiples rapports internationaux, a réussi à s’emparer de cette ville clé, malgré la présence des Forces armées de la RDC (FARDC) et de la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Congo (MONUSCO). Cet événement a non seulement exposé la vulnérabilité des institutions congolaises, mais aussi révélé les divisions profondes qui traversent la société congolaise.
Dans ce contexte, le discours de Tshisekedi était attendu comme une réponse forte et unificatrice. Pourtant, l’analyse de son allocution montre que le président a préféré s’en tenir à des dénonciations, des menaces et des promesses, sans aborder les questions de fond qui empêchent la RDC de faire face efficacement à ses défis.
Un discours en demi-teinte : Dénonciations et promesses sans fondements
Félix Tshisekedi a commencé son discours en dénonçant vigoureusement l’agression du Rwanda et les actions du M23, qualifiant ces derniers de « traîtres » et de « marionnettes » de Kigali. Cette rhétorique, bien que justifiée par les preuves accablantes de l’implication rwandaise dans le conflit, ne suffit pas à résoudre la crise. En effet, le président a omis de proposer une stratégie claire pour contrer cette ingérence étrangère, se contentant de menaces verbales à l’égard de Paul Kagame, le président rwandais.
Par ailleurs, Tshisekedi a promis de renforcer les FARDC et de mobiliser la population derrière l’effort de guerre. Cependant, ces promesses sonnent creux dans un contexte où les forces armées congolaises sont minées par des problèmes structurels : corruption, manque de formation, équipements obsolètes et faible moral des troupes. Sans une réforme en profondeur des FARDC, il est peu probable que ces annonces aient un impact significatif sur le terrain.
En outre, le président a annoncé la réduction du train de vie des institutions pour financer l’effort de guerre. Bien que cette décision soit saluée par de nombreux observateurs, elle reste insuffisante face à l’ampleur des défis. La corruption endémique qui gangrène l’administration congolaise nécessite des mesures bien plus radicales, incluant des réformes institutionnelles et une lutte sérieuse contre l’impunité.
Des problèmes de fond non abordés
L’un des principaux écueils du discours de Tshisekedi réside dans son incapacité à aborder les problèmes de fond qui fragilisent la RDC. La corruption, la « tribalisation » des institutions, le suprémacisme tribal et les débats sur le changement de la Constitution ont contribué à saper la cohésion nationale. Ces questions, pourtant centrales, ont été largement ignorées par le président, qui a préféré se concentrer sur la menace extérieure.
Or, sans une réconciliation nationale et une véritable politique de cohésion sociale, il est illusoire de demander aux Congolais de se ranger derrière l’État. La majorité de la population, bien que hostile au M23 et au Rwanda, ne soutient pas le régime de Tshisekedi. Ce rejet s’explique en partie par le sentiment que le pouvoir en place ne représente pas leurs intérêts et ne fait pas assez pour lutter contre les injustices et les inégalités.
De plus, la « tribalisation » des institutions et le débat sur le changement de la Constitution ont exacerbé les divisions au sein de la société congolaise. En qualifiant de « traîtres » ceux qui ne soutiennent pas son discours, Tshisekedi risque d’approfondir ces clivages, plutôt que de les apaiser. Une véritable réconciliation nationale nécessiterait des mesures concrètes, telles que la mise en place d’un dialogue inclusif et la promotion d’une gouvernance transparente et équitable.
Le dilemme congolais : Entre rejet du régime et opposition au M23
La situation à l’est de la RDC met en lumière un dilemme complexe pour les Congolais. D’un côté, le régime de Tshisekedi est largement rejeté pour son incapacité à répondre aux aspirations de la population. De l’autre, le M23 et son soutien rwandais sont perçus comme une menace à la souveraineté nationale. Dans ce contexte, la majorité des Congolais se retrouvent pris entre deux feux, refusant de soutenir l’un ou l’autre camp.
Cette situation explique en partie pourquoi la population de Goma n’a pas résisté massivement à l’avancée du M23. Bien que hostile au mouvement rebelle, elle ne porte pas non plus Tshisekedi dans son cœur. Ce rejet du pouvoir central a été habilement exploité par le M23 et le Rwanda, qui savent pertinemment que le régime de Kinshasa est isolé.
Conclusion : Un discours qui ne répond pas aux attentes
Le discours de Félix Tshisekedi, bien qu’il contienne quelques éléments positifs, ne répond pas aux attentes des Congolais. En évitant d’aborder les problèmes de fond qui minent la cohésion nationale et en se contentant de dénonciations et de promesses vagues, le président a manqué une occasion de rassembler la nation autour d’un projet commun.
Pour sortir de cette crise, la RDC a besoin de plus que des discours. Elle a besoin d’une réforme en profondeur de ses institutions, d’une lutte sérieuse contre la corruption et d’une véritable politique de réconciliation nationale. Sans ces mesures, toute tentative de mobilisation de la population derrière l’effort de guerre sera vouée à l’échec.
Enfin, il est essentiel que les dirigeants congolais comprennent que la résolution de la crise à l’est du pays ne passe pas uniquement par une réponse militaire. Elle nécessite également une approche politique et diplomatique, incluant un dialogue inclusif avec toutes les parties prenantes, y compris les groupes armés et les pays voisins. Sans cela, la RDC risque de sombrer dans un cycle de violence sans fin, avec des conséquences désastreuses pour sa population et sa stabilité régionale.
Oeil d'Afrique
Analyses
Suivre Oeil d'Afrique