Politique

RDCRwanda
M23, FDLR, minerais : comment la RDC a été piégée dans l’accord de Washington
L'accord de paix signé le 27 juin 2025 à Washington entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda, sous l'égide des États-Unis, laisse un goût d'inachevé et de profondes inquiétudes. Présenté comme une avancée historique, ce texte est perçu par de nombreux observateurs comme l'aboutissement d'une séquence diplomatique où Kinshasa a progressivement perdu pied face à un Rwanda méthodique, entérinant un déséquilibre stratégique majeur au cœur de l'Afrique des Grands Lacs.
Dans les salons feutrés du Département d'État américain, la signature de la ministre congolaise des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wanger, et de son homologue Olivier Nduhungirehe, devait sceller la fin d'une des crises les plus meurtrières de ces dernières années. Pourtant, à peine l'encre séchée, une évidence s'impose : cet accord est une victoire pour la diplomatie rwandaise et un recul stratégique pour la RDC. La stupeur a rapidement gagné Kinshasa, Goma et Bukavu, deux ville du Grand Kivu depuis sous l'autorité du groupe rebelle M23. Ce dénouement trouve ses racines dans une série de manœuvres où la stratégie diplomatique a primé sur la réalité du terrain, une guerre d'influence où le Rwanda a su imposer son agenda face à une RDC en manque de cohérence.
Doha : le tournant d'un déséquilibre annoncé
Le premier acte de ce déséquilibre s'est joué loin des Grands Lacs, à Doha. Sous la médiation du Qatar, connu pour sa diplomatie discrète et patiente, une rencontre a été organisée entre les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame. Historiquement, la RDC s'est toujours tenue à une ligne rouge : refuser tout dialogue direct avec l'AFC/M23, qualifié de "groupe terroriste" et considéré comme un simple supplétif de l'armée rwandaise (RDF). Pour Kinshasa, la seule discussion valable devait avoir lieu avec Kigali.
Or, à Doha, la RDC a accepté le principe de négociations indirectes avec l'AFC/M23, sous la pression de trouver une issue à une situation militaire qui s'enlisait dans l'Est, avec plus de 7 millions de déplacés internes selon le HCR. Cette concession, si minime soit-elle en apparence, fut une brèche stratégique. Elle a permis au Rwanda de réussir son coup : transformer un conflit international d'agression en une crise interne congolaise. L'AFC/M23 gagnait une légitimité d'interlocuteur, et le Rwanda pouvait officiellement se présenter comme un voisin concerné par la stabilité régionale, et non comme un belligérant.
Washington : le deal économique qui masque la défaite sécuritaire
Fort de cet avantage, le Rwanda est arrivé en position de force à Washington. La diplomatie congolaise, quant à elle, a semblé naviguer à vue. Au lieu de concentrer ses efforts sur l'obtention de garanties sécuritaires solides et le démantèlement de l'AFC/M23, une partie des négociateurs congolais a tenté de mettre dans la balance un accord économique, espérant troquer une coopération sur les minerais critiques contre la paix.
Cette approche s'est avérée être une erreur d'appréciation fondamentale. Les États-Unis, sous une administration pragmatique focalisée sur la sécurisation de ses chaînes d'approvisionnement en cobalt et en coltan, ont sauté sur l'occasion. L'accord a été maquillé en un pacte de stabilité régionale, mais son contenu révèle une asymétrie flagrante. Il met l'accent sur l'obligation pour la RDC de "neutraliser définitivement la menace des FDLR", ce groupe armé hutu rwandais présent sur son sol depuis le génocide de 1994 et constamment utilisé par Kigali comme justification de ses interventions. En retour, le Rwanda ne s'engage qu'à une vague "levée de ses mesures défensives", un euphémisme qui lui évite de reconnaître la présence de ses troupes sur le sol congolais, pourtant documentée par les experts de l'ONU. Le M23, lui, est à peine mentionné, renvoyé à un processus de dialogue interne sans calendrier ni mécanisme contraignant.
La Guerre des narratifs : le silence de Kinshasa, l'offensive de Kigali
L'échec congolais le plus visible fut peut-être celui de la communication post-accord. Tandis que la diplomatie rwandaise se déployait sur les grands médias internationaux (BBC, Jeune Afrique) pour marteler un message clair et offensif, Kinshasa était sur la défensive.
La communication autour de l'accord a révélé une faiblesse majeure du côté congolais, incarnée par la ministre Thérèse Wagner. Celle-ci n'a jamais su s'extraire de la simple lecture du texte pour en vulgariser la portée, ni en partager l'esprit et la lettre avec l'opinion publique. Son approche est restée confinée à une récitation technique, sans jamais réussir à présenter un discours diplomatique doté du sens historique nécessaire pour mieux appréhender les enjeux et la portée de l'accord.
Cette défaillance a été particulièrement flagrante lors de la conférence de presse "BRIEFING" tenue aux côtés du porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya. Face aux questions insistantes de la presse congolaise sur les contreparties concrètes obtenues par la RDC, la réponse fut évasive. Interrogée sur les "gains et pertes" pour chaque camp, la ministre s'est retranchée derrière une posture légaliste, refusant d'entrer dans des "analyses politiques et subjectives". Elle a simplement insisté sur le fait que "ce que nous avons gagné est un accord clair qui responsabilise les deux parties".
Cette posture, purement technicienne et incapable d'incarner une victoire ou même une avancée tangible pour la population, a créé un vide politique et narratif. En échouant à défendre et à valoriser l'accord, elle a laissé le champ libre au narratif rwandais, qui a pu plus facilement imposer sa propre interprétation des événements.
Le ministre rwandais, lui, martelait :
"Il faudra en premier lieu que la RDC neutralise les FDLR avant que le Rwanda retire ses mesures défensives."
Le message est simple, efficace et inverse la charge de la preuve : la clé de la paix est entre les mains de la RDC.
Kagame contre Tshisekedi
Pour parachever sa victoire, Paul Kagame n'a pas hésité à utiliser une arme redoutable : la délégitimation de son homologue. Profitant des controverses ayant entouré les élections de 2019 et 2023 en RDC, le président rwandais a publiquement sapé l'autorité de Félix Tshisekedi. Dans une déclaration faite en janvier 2025, il affirmait :
"Savez-vous comment il est devenu président ? Il a juste été appelé au bureau, et on lui a donné le pouvoir. Et vous le savez."
L'accord de Washington a peut-être instauré un silence précaire des armes, mais il n'a pas réglé la question fondamentale du conflit RDC-Rwanda. En liant la sécurité de l'Est à la question des FDLR et en ignorant le rôle central du M23 et du Rwanda, il a offert une paix de façade. Pour la RDC de Félix Tshisekedi, le plus dur commence : prouver qu'elle peut déjouer les pièges d'un accord qui, en l'état, ressemble plus à une capitulation qu'à une réconciliation.
Oeil d'Afrique
Politique
Suivre Oeil d'Afrique