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Mali : ce que l’on sait du coup d’Etat militaire qui a abouti à la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta

La mutinerie qui a eu lieu dans la matinée mardi 18 août dans une garnison proche de Bamako a viré au coup d'Etat militaire au Mali. Arrêté par les militaires en révolte, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta ia démissionné. "Si aujourd'hui il a plu à certains éléments de nos forces armées de conclure que cela devait se terminer par leur intervention, ai-je réellement le choix ?", a-t-il déclaré dans la nuit de mardi à mercredi à la télévision. Les militaires ont ensuite affirmé vouloir mettre en place une "transition politique civile", puis des élections générales dans un "délai raisonnable". Ibrahim Boubacar Keïta était confronté ces deux derniers mois à une contestation sans précédent depuis le coup d'Etat de 2012.

Que s'est-il passé ?

Des militaires ont pris le contrôle de la garnison de Kati, dans le camp Soundiata Keïta, à une quinzaine de kilomètres de la capitale, Bamako. Selon un correspondant de l'AFP sur place, les mutins ont ensuite bouclé les accès. L'un d'eux a affirmé qu'ils détenaient "plusieurs hauts gradés de l'armée, arrêtés par les frondeurs".

Les mutins se sont ensuite dirigés en convoi vers le centre de la capitale, selon un correspondant de l'AFP. Dans Bamako, ils ont été acclamés par des manifestants rassemblés pour réclamer le départ du chef de l'Etat aux abords de la place de l'Indépendance, épicentre de la contestation qui ébranle le Mali depuis plusieurs mois. Ils sont ensuite allés à la résidence du président Keïta. Ils l'ont arrêté, ainsi que le Premier ministre, Boubou Cissé. Ils ont emmené les deux dirigeants du pays dans le camp militaire de Kati.

"Nous pouvons vous dire que le président et le Premier ministre sont sous notre contrôle. Nous les avons arrêtés chez lui", au domicile du chef de l'Etat à Bamako, a déclaré à l'AFP un des chefs de la mutinerie, qui a requis l'anonymat. Le président et le Premier ministre "ont été conduits par les militaires révoltés dans des véhicules blindés à Kati", où se trouve le camp Soundiata Keïta, à une quinzaine de kilomètres de Bamako, a confirmé le directeur de la communication du chef du gouvernement, Boubou Doucouré.

Que sait-on de la démission du président ?

Dans la nuit de mardi à mercredi, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé sa démission. Il a expliqué n'avoir pas d'autre choix pour éviter que du sang ne soit versé. Il est apparu vers minuit sur la télévision publique ORTM, portant un masque sur la bouche.

D'une voix grave, il a déclaré avoir oeuvré depuis son élection en 2013 à redresser le pays et à "donner corps et vie" à l'armée malienne, confrontée depuis des années aux violences jihadistes. Puis il a évoqué les "manifestations diverses" qui depuis plusieurs mois ont réclamé son départ, faisant des victimes. "Le pire en a résulté", a-t-il dit.

"Si aujourd'hui il a plu à certains éléments de nos forces armées de conclure que cela devait se terminer par leur intervention, ai-je réellement le choix ? M'y soumettre, car je ne souhaite qu'aucun sang ne soit versé pour mon maintien aux affaires", a-t-il dit à la télévision, dans un discours dont des extraits ont été diffusés sur les réseaux sociaux.

"C'est pourquoi je voudrais en ce moment précis, tout en remerciant le peuple malien de son accompagnement au long de ces longues années et la chaleur de son affection, vous dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions, à partir de ce moment". "Et avec toutes les conséquences de droit : la dissolution de l'Assemblée nationale et celle du gouvernement", a-t-il ajouté.

Qu'annoncent les militaires ayant pris le pouvoir ?

Après la démission télévisée du président, des hommes en uniforme sont apparus sur la chaîne publique. "Nous, forces patriotiques regroupées au sein du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), avons décidé de prendre nos responsabilités devant le peuple et devant l'histoire", a déclaré celui qui a été présenté comme le porte-parole des militaires, le colonel-major Ismaël Wagué, chef d'état-major adjoint de l'armée de l'air.

"Notre pays, le Mali, sombre de jour en jour dans le chaos, l'anarchie et l'insécurité par la faute des hommes chargés de sa destinée", a accusé l'officier. Il a dénoncé le "clientélisme politique" et "la gestion familiale des affaires de l'Etat", ainsi que la "gabegie, le vol et l'arbitraire", une justice "en déphasage avec les citoyens", une "éducation nationale qui patauge" ou encore des massacres de villageois, le "terrorisme et l'extrémisme".

Il a conclu : "La société civile et les mouvements socio-politiques sont invités à nous rejoindre pour, ensemble, créer les meilleures conditions d'une transition politique civile conduisant à des élections générales crédibles pour l'exercice démocratique à travers une feuille de route qui jettera les bases d'un Mali nouveau". Il a demandé aux organisations internationales et sous-régionales de les "accompagner pour le bien-être du Mali".

Que sait-on du camp militaire de Kati ?

C'est déjà de ce camp qu'était parti le coup d'Etat précédent, en 2012. Le 21 mars 2012, alors que les rebelles touareg avaient lancé une offensive dans le nord du Mali et que les jihadistes affluaient des pays voisins, des soldats s'y étaient mutinés. Ils protestaient contre l'inaptitude du gouvernement à faire face à la situation. Sous la direction du capitaine Amadou Sanogo, ils avaient chassé le président Amadou Toumani Touré.

Le coup d'Etat avait précipité la chute du nord du Mali aux mains de groupes islamistes armés. Ces derniers avaient occupé cette région pendant neuf mois avant d'être en partie mis en fuite par une intervention militaire internationale lancée par la France en janvier 2013 et toujours en cours. Sous la pression internationale, la junte avait fini par céder le pouvoir à des autorités civiles intérimaires jusqu'à l'élection en 2013 d'Ibrahim Boubacar Keïta.

Quelle était la situation politique au Mali avant la mutinerie ?

Le Mali, sous la menace jihadiste au Sahel depuis 2012, traverse une grave crise sociopolitique depuis juin. L'invalidation d'une trentaine de résultats des législatives de mars-avril par la Cour constitutionnelle (dont une dizaine en faveur de la majorité du président Keïta) a fait office d'étincelle.

Une coalition hétéroclite d'opposants politiques, de guides religieux et de membres de la société civile, le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques du Mali, multiplie les manifestations pour demander au président Keïta, accusé de mauvaise gestion, de quitter le pouvoir. 

A ces revendications politiques s'ajoute une "situation sociale délétère", a souligné lundi une responsable syndicale, Sidibé Dédéou Ousmane. Le week-end du 10 juillet, une manifestation à l'appel du Mouvement du 5 juin a dégénéré en trois jours de troubles meurtriers.

Comment a réagi la communauté internationale ?

La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), médiatrice au Mali, a dit mardi dans un communiqué suivre "avec une grande préoccupation" la situation, évoquant "une mutinerie déclenchée dans un contexte sociopolitique déjà très complexe". L'organisation régionale a appelé "les militaires à regagner sans délai leurs casernes" et a rappelé "sa ferme opposition à tout changement politique anticonstitutionnel", invitant les "militaires à demeurer dans une posture républicaine".

Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a lui appelé à la "libération immédiate et sans conditions" du président malien et au "rétablissement immédiat de l'ordre constitutionnel". Le Conseil de sécurité de l'ONU se réunira mercredi en urgence au sujet de la crise au Mali, à la demande de la France et du Niger, qui préside actuellement la Cédéao.

De son côté, l'Elysée a précisé à France Télévisions, avant la nouvelle de l'arrestation d'Ibrahim Boubacar Keïta, que "le président de la République suit attentivement l'évolution de la situation au Mali et condamne la tentative de mutinerie en cours. Il s'est entretenu avec le président Ibrahim Boubacar Keïta, ainsi qu'avec les présidents Mahamadou Issoufou [Niger], Alassane Ouattara [Côte d’Ivoire] et Macky Sall [Sénégal]. Le président de la République a exprimé à ses interlocuteurs son plein soutien aux efforts de médiation en cours de la Cédéao."

Inquiets également, les Etats-Unis ont souligné, par la voix de leur émissaire pour le Sahel, Peter Pham, qu'ils "s'opposent" à tout changement de gouvernement en dehors du cadre légal, "que ce soit par ceux qui sont dans la rue ou par les forces de défense et de sécurité".



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