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Mozambique: le régime mis en difficulté par l’affaire de sa « dette cachée »

Le gouvernement du Mozambique fait le gros dos depuis la mise en détention de son ex-ministre des Finances dans le scandale dit de la "dette cachée", très embarrassante alors qu'il se prépare pour les élections générales et renégocie avec ses créanciers. Dans la capitale Maputo, l'annonce de l'arrestation fin décembre de Manuel Chang à l'aéroport de Johannesburg, sur mandat de la justice américaine, a laissé les autorités sans voix. Ce n'est qu'après plusieurs jours de silence qu'un haut dignitaire du régime a lâché quelques mots prudents, à la mesure de sa gêne. "Nous suivons l'affaire", a murmuré la présidente de l'Assemblée nationale, Veronica Macamo. L'ex-grand argentier du pays, toujours député du parti au pouvoir (Frelimo), est accusé d'avoir autorisé frauduleusement des entreprises publiques à contracter des prêts secrets d'un montant de 2,2 milliards de dollars pour payer la livraison de patrouilleurs et de bateaux de pêche. L'affaire a mis au jour en 2016 un vaste système de corruption impliquant le groupe du milliardaire franco-libanais Iskandar Safa, des banques et le sommet de l'Etat mozambicain. Elle a aussi précipité le pays dans une crise financière dont il peine encore à se relever. Lui-même accusé d'avoir touché 5 millions de dollars de pots-de-vin, Manuel Chang est le premier "gros poisson" présumé du dossier pris dans les filets de la justice. Un tribunal sud-africain a refusé sa libération et doit statuer sur son extradition. La prochaine audience a lieu vendredi. - "Pas notre dette" - Si le gouvernement en place s'est montré discret sur le dossier, certains grand noms du parti au pouvoir depuis 1975, le Frelimo, se sont publiquement félicités de l'arrestation de Manuel Chang. L'ancien président Joachim Chissano (1986-2005) a réclamé que la justice se fasse. "Si des crimes ont été commis, il faut que certains soient punis", a-t-il estimé. "Il faut qu'il (M. Chang) soit jugé. Ce sera une bonne chose parce que ces affaires ne doivent plus se produire", a aussi estimé un de ses prédécesseurs au ministère des Finances, Tomaz Salomao. Pour le Mozambique, l'enjeu est crucial. Le scandale a fait bondir sa dette jusqu'à 130% de son produit intérieur brut (PIB) et contraint le pays à suspendre tout remboursement à ses créanciers. Les bailleurs internationaux ont, dans la foulée, gelé leur aide. Maputo cherche depuis désespérément à renégocier sa dette. La société civile plaide pour l'abandon pur et simple des 2,2 milliards de dollars contractés. Le prêt était illégal, relève-elle, et donc sa charge n'a pas à incomber à la population mozambicaine, une des plus pauvres du monde. "Cette dette n'est pas la nôtre, nous refusons de la payer", juge ainsi le Centre pour l'intégrité publique (CPI), une ONG. Même si l'affaire s'est produite sous le règne de son prédécesseur Armando Guebuza (2005-2015), elle n'épargne pas le président actuel Filipe Nyusi, alors ministre de la Défense. - Stratégie risquée - La justice américaine évoque un montant d'au moins 200 millions de dollars de pots-de-vin versés en marge des prêts. Un audit réalisé en 2017 par le cabinet Knoll a même chiffré à 500 millions les montants "disparus". L'opposition mozambicaine ne s'est pas privée d’accuser l'ex-président et son successeur d'en avoir profité. Probable candidat à un second mandat lors de l'élection présidentielle d'octobre, Filipe Nyusi se retrouve en position délicate. Les bailleurs exigent la levée du secret sur les fonds "disparus" de la dette en échange de la reprise de leur aide, alors que son parti attend le silence du président en échange de son soutien. "L'arrestation de Chang suggère que Nyusi est prêt à le lâcher (...) pour éviter d'être éclaboussé", a jugé l'analyste Ed Hobey-Hamsher, du cabinet Maplecroft Risk. "Mais c'est une stratégie risquée et les critiques internationales contre lui affaiblissent sa position au sein du Frelimo." Sous pression, le parquet mozambicain vient de révéler le nom de 18 personnes impliquées "financièrement" dans son enquête, dont celui de Manuel Chang. Mais il n'envisage pas, pour l'instant, de lancer des poursuites criminelles. Pas de quoi, donc, redorer le blason du parti au pouvoir avant les élections générales d'octobre. Au point de le faire perdre ? "Non", juge Adriano Nuvunga, professeur de sciences politiques à l'université de Maputo. "Nyusi sera le candidat du Frelimo et le Frelimo va l'emporter, mais la population est excédée", ajoute-t-il, "le parti fait face à la plus grave crise de son histoire". Avec AFP


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