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RDC : Théophile Matondo, victime collatérale de l’affaire Bukanga-Lonzo

Depuis plusieurs mois, la République Démocratique du Congo vit au rythme de l’Affaire Bukanga-Lonzo qui vire au combat d’éléphant entre l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo et l’actuel chef de l’État Felix Tshisekedi. Au cœur de ce feuilleton mediatico-politique : le projet de parc agro-industriel de Bukanga Lonzo lancé en 2014 par l’ancien Premier ministre. Alors que ce projet pilote devait développer une zone agricole et des activités de transformation agro-industrielle pour répondre aux enjeux de sécurité alimentaire, il est aujourd’hui le symbole de gabegie et de mauvaise gouvernance. Pour l’opinion publique congolaise, Bukanga-Lonzo est un éléphant blanc qui a servi à enrichir Augustin Matata Ponyo. C’est aussi ce que semble penser l’Inspection générale des finances (IGF) qui a saisi le parquet général près de la Cour constitutionnelle. C’est le premier épisode du feuilleton Bukanga-Lonzo. 

État de droit vs. Justice politique

L’enquête menée par l’autorité administrative et l’autorité judiciaire semble déboucher sur une accusation de faux et d’usage de faux, de détournements de deniers publics et d’abstention coupable de fonctionnaires envers Augustin Matata Ponyo et certains de ses anciens collaborateurs. Toutefois, au-delà de c’est fait, c’est bien la lecture faite de cette affaire qui cristallise les deux camps. D’un côté, une partie non-négligeable d’acteurs soulignent la consolidation de l’État de droit puisque les décideurs publics doivent répondre de leurs actes.

De l’autre, les soutiens de l’ancien Premier ministre voient dans la tournure de ces enquêtes une politisation de la justice dont l'objectif est d'écarter un adversaire sérieux et déclaré pour la prochaine élection présidentielle. Dans ce premier épisode, le dénouement tourne en faveur de l’ancien Premier ministre comme les demandes de levée d’immunité parlementaire formulées par le parquet général près de la Cour constitutionnelle ont, jusqu'à ce jour, toutes été rejetées. 

À défaut de battre l’adversaire, l’isoler pour l’affaiblir 

Parallèlement à une approche directe qui semble patiner, le pouvoir judiciaire parait avoir adopter une stratégie qui vise multiplier les fronts en créant le plus de ramification possible avec l’affaire principale. C’est le deuxième épisode du feuilleton Bukanga-Lonzo.

Le cas Théophile Matondo, directeur général du Bureau central de coordination (BCeCo) qui gère les projets financés par les bailleurs de fonds, entrait en droite ligne avec cette nouvelle approche. Convoqué lundi 28 juin 2021, il a directement été conduit à la prison centrale de Makala accusé de surfacturation dans la construction de la centrale hydroélectrique de Bukanga-Lonzo et de détournement présumé de 7 millions de dollars américains qui auraient dû revenir à l’État au titre de la TVA. 

Si le dossier de la ferme agro-industrielle possède de nombreuses zones d’ombre, celui qui a conduit Théophile Matondo à la prison centrale semble étrangement vide. 

Sur le paiement de la TVA tout d’abord. Comment reprocher à une entité administrative le non-paiement de la TVA par un acteur privé ? Si la société espagnole AEE Power n’a effectivement pas honoré ce qu’elle doit à l’administration fiscale, c’est auprès de ses mandataires sociaux qu’il faudrait trouver des réponses. 

D’après nos investigations, l’accusation de surfacturation risque également d’accoucher d’une souris. Plusieurs témoignages que nous avons pu recueillir affirment que la procédure de sélection était compétitive et que le choix s’est fait au moins disant. Sur les deux lots mis en compétition 5 entreprises auraient candidaté et AEE Power serait sortie moins cher de 2 millions USD pour le lot 1 et de 1,5 millions USD pour le lot 2. 

De plus, un acteur proche du dossier nous a rappelé que le processus de sélection s’est fait de manière collégiale entre le BCeCO, Fichtner un bureau de contrôle allemand, la SNEL et le Ministère de l’énergie, chacun partie-prenante au projet. Notre interlocuteur de rajouter : « le fait qu’AEE Power ait livré les travaux convenablement et que cette société continue d’avoir des contrats importants, notamment dans la construction d’Inga 3, démontre clairement que c’est une société sérieuse avec laquelle l’État n’a aucun problème. Imagine-t-on l’administration fiscale fermer les yeux sur un manquement aussi flagrant ? J’en doute ! ».  

Dans le contexte actuel, il est difficile de ne pas lier l’arrestation de Théophile Matondo à l’affaire qui concerne Augustin Matata Ponyo. Le pouvoir judiciaire tente-t-il de faire levier sur le Directeur général du BCeCo pour qu’il livre des informations concernant l’ancien Premier ministre dont il est réputé proche ? Si c’est le cas, la vague d’arrestation ne ferait que commencer. Après tout, l’art de la guerre nous apprend qu’un bon stratège est celui qui parvient à isoler et démoraliser son adversaire afin de conquérir la victoire sans combattre. 

Oeil d'Afrique



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