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Les réseaux sociaux et la désinformation : quelles solutions pour l’Afrique ?

L’explosion des réseaux sociaux a radicalement transformé le paysage de l’information en Afrique. Alors que ces plateformes permettent à des millions de personnes d’accéder à des contenus divers et de participer à des débats publics, elles facilitent aussi la diffusion de la désinformation. En Afrique, ce phénomène est exacerbé par des facteurs structurels qui rendent le continent particulièrement vulnérable aux fausses nouvelles, compromettant la stabilité politique, la gestion des crises sanitaires et la cohésion sociale. Face à ce défi, plusieurs solutions émergent, portées par des experts et des acteurs de premier plan.

Une vulnérabilité amplifiée par un manque d'alphabétisation numérique

Selon un rapport de l'UNESCO publié en 2019, 87 % des élèves en Afrique subsaharienne n'ont pas accès à une formation adéquate en compétences numériques. Cette situation rend une majorité de jeunes Africains vulnérables à la désinformation, car ils ne possèdent pas les outils nécessaires pour vérifier les informations qu'ils consomment. De plus, une enquête Afrobaromètre de 2021 révèle que 57 % des Africains interrogés n'ont que peu ou pas de compétences en matière de vérification des faits, avec des chiffres atteignant 70 % dans des pays comme le Malawi ou le Niger. Ce déficit d'alphabétisation numérique renforce l’impact des réseaux sociaux dans la propagation de fausses nouvelles.

L'impact des réseaux sociaux dans la propagation des fausses nouvelles

Les plateformes telles que Facebook, WhatsApp, Twitter et TikTok sont omniprésentes sur le continent africain, avec des centaines de millions d'utilisateurs. Mais leur viralité rend difficile la modération des contenus trompeurs. Les fausses informations, notamment lors de crises politiques ou sanitaires, se propagent rapidement, créant des situations dangereuses pour la stabilité des pays. Par exemple, durant la pandémie de Covid-19, de nombreuses rumeurs ont circulé sur les réseaux sociaux, contribuant à la méfiance envers les vaccins et les autorités sanitaires.

Les efforts de Meta pour contrer la désinformation en Afrique

Kojo Boakye, directeur des politiques publiques pour l’Afrique chez Meta (anciennement Facebook), a reconnu l’ampleur de ce problème et souligné les efforts entrepris par la plateforme pour contrer la désinformation. Lors d’une récente intervention, Boakye a expliqué que Meta collabore avec des organisations locales, telles qu’Africa Check, afin de promouvoir des programmes de vérification des faits. Cependant, il admet que les algorithmes de détection doivent encore être améliorés pour répondre aux spécificités locales, notamment en intégrant plus efficacement les langues africaines. Boakye insiste également sur la nécessité de former davantage de modérateurs africains afin de mieux comprendre les contextes locaux et d’accélérer la détection de contenus problématiques​.​

En dépit de ces initiatives, les failles subsistent. Alioune Badara Fall, spécialiste des médias et des technologies à Dakar, souligne que "la désinformation trouve un terrain fertile là où l'éducation numérique fait défaut". Selon lui, "il est crucial de former les jeunes à vérifier les informations en ligne et à développer leur esprit critique". De nombreux experts estiment que les gouvernements africains, en partenariat avec les entreprises technologiques, doivent mettre en place des programmes d’éducation numérique pour améliorer l’esprit critique des utilisateurs de réseaux sociaux.

La désinformation lors des élections

Les périodes électorales représentent un autre moment critique pour la propagation de fausses nouvelles. Des campagnes de désinformation orchestrées visent à manipuler l'opinion publique ou à discréditer certains candidats. Les réseaux sociaux deviennent alors des armes politiques utilisées pour polariser les électeurs. En 2017, lors des élections au Kenya, des fausses informations ont inondé les réseaux sociaux, jetant le doute sur les résultats. Plus récemment, dans des pays comme le Nigeria ou l’Éthiopie, des rumeurs virales ont attisé des tensions ethniques et religieuses, parfois avec des conséquences violentes.

Aïcha Oumarou, chercheuse en sciences politiques au Niger, explique que les réseaux sociaux "ont décuplé la vitesse de propagation des fausses informations. Une rumeur peut, en quelques heures, toucher des millions de personnes", compliquant la tâche des gouvernements et des médias traditionnels pour rétablir la vérité.

En réponse à ces défis, des plateformes locales de vérification des faits, comme Africa Check et Dubawa, jouent un rôle crucial. Toutefois, elles manquent souvent de financements et peinent à atteindre une influence significative face aux géants des réseaux sociaux. Samira Mansour, journaliste et fact-checker basée à Lagos, estime que "la vérification des faits doit être un effort collectif en Afrique, où les contextes locaux sont essentiels pour comprendre les enjeux de la désinformation".

Un cadre législatif et des initiatives locales pour lutter contre la désinformation

Les gouvernements africains doivent également travailler à l’élaboration de cadres législatifs équilibrés pour réguler les contenus en ligne. Si certains pays ont déjà introduit des lois visant à contrôler la désinformation, ces mesures ont parfois soulevé des inquiétudes quant aux risques de censure politique. Michel Ngadeu, spécialiste en droit numérique à Yaoundé, souligne que "la régulation des contenus doit se faire dans le respect de la liberté d’expression, afin d'éviter toute dérive autoritaire".

La lutte contre la désinformation en Afrique est un défi de taille, mais des solutions existent. Il faudra une approche globale et coordonnée, impliquant les gouvernements, les entreprises technologiques, les médias locaux et la société civile. Seule une action concertée permettra de freiner la prolifération des fausses nouvelles et de garantir un usage positif des réseaux sociaux sur le continent. "L’Afrique a tout à gagner de la révolution numérique, mais elle doit aussi se protéger contre ses dérives", conclut Kojo Boakye.

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