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Fermeture des Stades : un casse-tête pour la CAF

Comme une bombe, le communiqué officiel de la Confédération Africaine de Football du 04 mai 2021 est tombé sur 23 pays membres de l’organisation dont les stades ont été fermés aux éliminatoires de la Coupe du monde Qatar 2022 censées démarrer en juin. « L’instance avait déjà averti le 1er avril dernier au sujet des exigences d’homologation et la supervision des stades », pouvait-on y lire. Pour raison du Covid-19, les matches des première et deuxième journées ont été reportés à la fin d’année, une occasion possible pour les nations concernées de se mettre en ordre et solliciter une remise de la décision. Malgré tout, l’heure a sonné pour la réflexion.

La fermeture des stades non conformes est un mal nécessaire pour le foot africain

À l’entrée des éliminatoires pour la Coupe du monde 2022, les pays africains ont été mis devant les évidences avant d’accueillir des matches de haut niveau. Pour les rencontres des première et deuxième journées, un seul critère a été invoqué : « … aux associations membres qui participent aux éliminatoires de la Coupe du Monde de la FIFA, Qatar 2022, d’organiser les matchs dans des stades aux normes (pelouse avec gazon naturel ou synthétique dernière génération) ».

Cette donnée est perçue diversement soit comme une humiliation, à l’appréciation d’un dirigeant sportif qui a requis l’anonymat : « C’est toujours blessant et humiliant pour des joueurs comme Sadio Mané ou Mendy au moment où ils brillent en Europe avec de grands clubs, d’entendre que leur pays est épinglé “sans stade aux normes”. Ces joueurs sont des ambassadeurs de leurs pays. Je peux comprendre leur frustration mais la réalité ne date pas de 2021 ou de 2020 » ; soit comme un éveil « j’espère qu’en mettant les critères très haut, ça va tirer tout le monde vers le haut », a analysé de son côté Hérita Ilunga, ancien latéral gauche de Westham et Saint-Etienne.

Bien qu’aucun manque à gagner ne soit pour l’instant déploré, et cela du fait de la période de Covid-19 où les matches se jouent à huis clos, c’est davantage la fierté nationale qui est en jeu. Mais pour l’avenir du football, cette décision peut aider à secouer les dirigeants aussi bien politiques que des fédérations. Membre de la commission technique et développement de la CAF, Hérita Ilunga qui a récemment intégré le département développement de la FIFA salue cette décision : « je pense que c’est une très, très bonne chose. Quand on veut développer le football africain, on parle forcément des infrastructures et là, force est de constater qu’il y a pas mal de stades vétustes au niveau africain, ce qui met à mal la qualité de jeu. Que ce soit pour les joueurs, les spectateurs et même les téléspectateurs. C’est une bonne idée d’être ferme à propos des critères des stades »

Mais la prévoyance n’est pas le lot du leadership sportif africain. La plupart d’infrastructures sont mises en place en marge de l’organisation de grands évènements. Les cas du Cameroun ou du Rwanda sont parmi les plus récents. Yaoundé avait obtenu l’organisation d’une Coupe d’Afrique des Nations avant de construire des stades à la dimension du rendez-vous comme le Rwanda avec le CHAN 2016. Si ce dernier avait réussi le pari, le Cameroun s’était vu retirer la CAN 2019 qui s’est déroulée finalement en Egypte. Rien d’autre que la spontanéité. « (…) nous n’aimons pas les projets en Afrique. Nous n’aimons pas bâtir sur la durée. Espérons pour ceux qui sont déçus aujourd’hui par la fermeture des stades auront une réaction positive, espérons que ce coup de fouet poussera les gens à changer de paradigme parce que le foot il se bâtit du bas vers le haut, et pas le contraire. Iniesta, Messi et autres ont tous été champion chez les jeunes avant d’être ballon d'or », remarque, sous anonymat, notre source dans une fédération africaine.

La pelouse aujourd’hui, les vestiaires demain

Si la pelouse anime les premiers débats, c’est sans doute parce que le terrain, en tant que première loi du football, est la condition basique pour envisager le jeu. Mais, les stades du continent accusent des lacunes à plusieurs niveaux. Pour notre source précitée, « en Afrique nous aimons le bricolage. On peut avoir une pelouse magnifique mais dans les tribunes ça laisse à désirer ou ce sont les vestiaires qui seront bizarres ». Difficile de nier cette affirmation. Evidemment, certains stades, notamment en Afrique du Sud et au Maghreb, ont tout des stades de la première catégorie comme il y en a, par exemple, en Europe. Mais la proportion est modique. « J’ai pas envie de généraliser sur l’état des stades africains. En tant que technicien, ce qui nous préoccupait c’était la qualité de la surface de jeu. Ensuite, on pouvait aussi parler de la sécurité parce qu’on a quand même assisté à des drames. Quand on voit au bord du terrain, en guise de banc de touche, des sièges en plastique, c’est plus possible et pour certains stades encore, le sanitaire laisse à désirer alors oui, ça reste un grand chantier ».

Si l’ancien international congolais invoque furtivement la sécurité des stades, il ne reste pas moins que c’est un chapitre à part entière dans l’appréciation de la conformité des stades. Malheureusement, comme pour les autres aspects, le football africain est en retard là aussi. En 2019, l’une des premières initiatives de la présidence d’Ahmad Ahmad à la Confédération fut de créer le département chargé de la sûreté et de la sécurité de la CAF qui avait ensuite produit le premier règlement pour la sûreté et la sécurité des stades en Afrique… En 2019 seulement après 62 ans d’existence de la CAF !

Le contenu du Règlement en question prévoit la délivrance annuelle d’un certificat du stade qui doit attester de l’état du stade, de son réseau électrique, de son réseau incendie,… L’article 30 du Règlement consacre une « signalisation claire et adéquate à l’intérieur et autour du stade en vue de guider les spectateurs et autres utilisateurs du stade ». Combien y a, en Afrique aujourd’hui, des stades avec une signalétique conséquente facilitant l’entrée et la sortie aux spectateurs ou les interventions des services médicaux et de sécurité en cas de besoin ?

Le coût de la maintenance permanente des stades, un vrai casse-tête

En Afrique, de nombreux pays ont des stades avec une grande capacité d’accueil et une architecture formidable. Mais les magnifiques stades d’hier figurent sur la liste noire aussi bien de la CAF que de la FIFA. Curieusement, la raison n’est pas leur vétusté mais l’entretien. En Afrique de l’Ouest, le Samuel Kanyon Doe complex au Libéria (1986), le Stade Léopold Sédar Senghor au Sénégal (1985) et en Gambie voisine, l’Indépendance Stadium de Bakau (1984) qui ne sont pas homologués sont de la même génération que l’actuel stade Louis II ouvert en 1985 où évolue l’équipe de Monaco. Sans parler du Signal Iduna Park du Borussia Dortmund (1974), du Parc des princes (1971) ou de l’Olympico de Rome (1957). Tous ces stades ont en commun qu’ils sont bien entretenus. Or, l’entretien permanent d’un stade a un coût. « Sans public la maintenance des stades coûte cher. Combien de pays sont capables de mettre constamment la main à la poche pour entretenir des stades pour zéro rendement ? ».

Dans un document officiel sur le Programme FIFA Quality, il est mentionné à propos des pelouses naturelles « si des terrains naturels supplémentaires ne sont pas aménagés plus souvent, c’est en raison du manque de place et des coûts d’investissement et d’entretien élevés ». Et c’est alors qu’intervient la dernière technologie en la matière. Le gazon 3G que la CAF exige en alternative. Le Programme FIFA Quality invoque une pelouse « plus résistante et durable que ses devancières – à condition, encore une fois, que le terrain soit correctement entretenu et utilisé –, la troisième génération de gazon synthétique permet de disposer toute l’année d’un terrain de football de bonne qualité ». Que ce soit pour la pelouse naturelle ou synthétique, l’entretien est requis. Mais, pourquoi le gouvernement du Tchad ou de l’Eswatini devraient entretenir régulièrement leurs stades ? Des stades qui accueillent essentiellement des matches locaux avec des recettes dérisoires ?

Le dirigeant sportif anonyme a tenté d’expliquer la décadence des stades qui ont été viables par le passé : « les stades sont vides dans la plupart de pays africains en dehors du Maghreb et de l’Afrique du Sud. Asec Mimosa contre Africa Sports, sauf lorsque les artistes et les membres du gouvernement sensibilisent à travers les réseaux sociaux, on n’a pas plus de 500 ou 600 supporteurs alors que dans les années 80 quand il y avait les Ben Badi et autres, c’étaient 40 à 50 mille places remplies ». Avec une telle affluence, il y avait une raison et des ressources financières pour veiller au bon état des stades. Aujourd’hui, les grands championnats nationaux ont moins d’attrait sauf pour des rencontres mythiques telle un Asante Kotoko de Kumasi contre Hearts of Oak, au Ghana. Sur le continent, certains n’hésitent pas d’affirmer que c’est la diffusion des championnats européens qui a fait fuir le public des stades.

Un non-argument selon notre intervenant : « les gens prétendent que c’est à cause des chaînes câblées qui diffusent le championnat anglais tous les week-ends. Moi, je ne pense pas. En Afrique du Sud, les matches sont diffusés mais quand vous avez Orlando Pirates contre Kaizer Chiefs, le stade est rempli ». Pour lui, le désintérêt des fans est en lien avec la qualité des spectacles servis par les équipes. Et alors que les clubs africains sont constamment dépouillés de leurs meilleurs talents qui s’exportent au premier éclat, le jeu est devenu moins attrayant. « Pour nos stades et pour le football performant, il faut repartir à l’école. Le championnat scolaire africain lancé en Côte d’Ivoire par Gianni Infantino et Patrice Motsepe (présidents de la FIFA et de la CAF) est une bonne initiative s’il permet de créer l’émulation parce que si les enfants proposent de beaux spectacles, les parents seront obligés de repartir au stade et ainsi de suite et nous allons pouvoir retrouver du monde dans nos stades », espère-t-il.

Entretien des stades, les fédérations manquent de moyens, les Etats ont d’autres priorités

Chez les citoyens du continent, la question des infrastructures sportives est une simple affaire de programme politique. Les bons dirigeants devraient l’intégrer naturellement à leurs agendas. En février et septembre 2020, le président de la Fédération Congolaise de Football, Constant Omari avait alerté sur le risque de fermeture de l’unique stade public du pays : « le Stade des Martyrs ne répond à aucune norme d’un stade moderne. Aujourd’hui, la FIFA exige la surface de jeu hybride ou naturelle (…) Et toutes ces informations ont été mises à la disposition du premier ministre. Malheureusement, les finances n’ont toujours pas été débloquées ».

Les fédérations comme des entités techniques n’ont pas vraiment une indépendance financière. Les stades comme les autres infrastructures sportives publiques restent patrimoines des Etats. Mais lorsqu’il est question d’effectuer des dépenses, il faut calculer : « nos stades appartiennent à nos Etats mais, nos Etats ont plusieurs priorités : la santé, l’éducation,… Le sport est un loisir et pas une activité qui peut développer une nation, on considère qu’on peut s’en passer. Les stades même que nous avons sur le continent sont construits par les chinois dans le cadre des accords bilatéraux après si on n’a pas de financement extérieur pour rénover nos stades, on laisse les stades tomber. On le voit dans plusieurs pays qui ont d’autres problèmes prioritaires comme l’économie, le chômage des jeunes et les dirigeants jugent que s’ils doivent mettre autant d’argent pour construire un stade, ça ne doit pas le faire ».

Ces propos sont un aveu trop sincère de la part d’un dirigeant sportif, même en dissimulant son identité. Sur la liste des stades homologués sous analyse, seuls l’Afrique du Sud avec 13 stades, l’Egypte et le Nigeria avec sept stades chacun, le Maroc avec six et le Cameroun avec cinq, tiennent réellement leurs rangs si on prend seulement les pays ayant remporté au moins une fois la CAN.

Comme l’Algérie et la Zambie, le Ghana compte deux stades, ce qui peut sembler honorant. Mais l’Essipong Stadium n’a pas été homologué. Pourtant l’ouvrage avait été construit pour la CAN 2008 et ouvert la même année. En Tunisie, le Stade de Radès est le seul validé par la CAF. En 2004, le pays avait pourtant organisé une CAN avec six stades formidables qui ne bénéficient plus d’une maintenance nécessaire : « les Etats en Afrique démissionnent à un moment donné. Certains investissent énormément d’argent mais ils ne sont pas nombreux qui ont la possibilité de construire ».

La part des fédérations et des gouvernements

Au milieu de préoccupations sociales dans les pays africains, le sport ne devrait pas être considéré comme un secteur marginal. Hérita Ilunga refuse que les autorités se limitent à brandir des excuses : « il faut que les pays à leur niveau fassent quelque chose pour aider leur football et pour leur jeunesse ». Alors que la RDC, son pays se contentera de jouer ses matches dans le stade de l’équipe du Tout-Puissant Mazembe, il espère que l’occasion est belle pour la réfection des deux stades publics de la capitale Kinshasa : « ça reste à confirmer mais pour moi il y a une responsabilité au niveau de l’Etat parce qu’il est le propriétaire du Stade des Martyrs. Mais on sait que l’ouvrage est énormément sollicité parce qu’il y a le championnat qui se joue dessus, les matches internationaux. Donc il faut le ménager, il faut le réhabiliter de manière sérieuse en utilisant aussi le Stade Tata Raphael qui peut être fonctionnel mais actuellement c’est pas le cas ».

« Pays de foot », le Sénégal, la risée du monde

Première nation africaine au classement FIFA, le Sénégal a eu le mérite de figurer en compagnie de Zanzibar, Centrafrique et Lesotho parmi les pays sans stade aux normes. Avec le Mali, il s’agit de la principale surprise. Mais le classement FIFA est fonction des résultats sportifs. Et d’après notre source anonyme, la notion de grandes nations de foot est relative et biaisée : « nous devons éviter de croire que nous pouvons nous contenter de rassembler nos binationaux en corrompant les parents pour les convaincre de venir jouer pour nos sélections et puis on gagne une CAN qui ne reflète pas la détresse du football national, c’est l’arbre qui cache la forêt ». Il a dénoncé la conception africaine du projet football dans différents pays : « le problème de beaucoup de nos pays africains, c’est que nous bâtissons notre football au gré des résultats de nos équipes nationales : quand les éléphants gagnent, ça veut dire que le football ivoirien va bien alors que c’est faux ».

Des réformes de la CAF et des subventions de la FIFA pour le salut du foot africain

Le tout nouveau président de la CAF a donc du pain sur la planche. Notre source anonyme parle d’un « homme imposé par la FIFA » avant d’ajouter « Patrice Motsepe a été installé à la tête de la CAF, lui qui n’est même pas le patron de la fédération sud-africaine ». Il faut dire qu’à travers le continent, le désistement en dernière minutes de ses challengers à la suite d’un lobby à ciel ouvert du président de la FIFA, Gianni Infantino a été vu comme une abdication. Pour l’ancien capitaine de Léopards de la RDC, Hérita Ilunga, il faut donner la chance au successeur d’Ahmad Ahmad : « C’est pas un novice au niveau du football. D’ailleurs, il a montré quand même qu’il se débrouillait pas mal avec les réussites de Mamelodi Sundowns et surtout sa passion d’unir le football et de développer le football pour les acteurs du football africain ». Il l’exhorte à se pencher sur des aspects particuliers du football depuis la formation jusqu’aux droits : « Je sais que la volonté se situe aussi dans le développement des compétitions, dans la formation des jeunes, de leurs éducateurs, la professionnalisation des équipes, des infrastructures, le fait de multiplier les recettes avec les droits TV parce que ça va être hyper-important ».

Mais, s’il peut ramener dans les stades public et recettes, les gens pourraient oublier les manipulations : « je pense qu’il faut mettre l’humain au centre de tout. Vous avez des stades si vous n’avez pas de joueurs, ils resteront creux. Il faut des joueurs. Si la condition du joueur n’est pas améliorée, nous resterons au même point ».

Avec autant d’avis d’observateurs internes et externes, l’équipe de Motsepe peut aligner ses priorités et adopter son approche en vue d’une solution longue durée.

Mais, en l’occurrence pour les compétitions de la FIFA où elle-même gère les droits marketing comme le sponsoring, l’organisation de Zurich pourrait investir pour la construction des stades en Afrique. Après avoir annoncé régulièrement des projets en ce sens, la situation n’a jamais évolué sur le terrain. Peut-être le moment de repenser le modèle d’intervention : « aujourd’hui certains pays reçoivent jusqu’à 2 millions d’euros de subventions FIFA chaque année, c’est pas rien … Je pense que Gianni Infantino qui est habitué aux palais présidentiels trouvera une solution avec les chefs d’Etat pour trouver un point d’entente pour que la FIFA construise les stades. Ils seront chez nous et nous trouverons des mécanismes pour rembourser. Ce serait une forme de prêt ». Malgré un ton d’ironie vis-à-vis du patron de la FIFA, notre source propose une alternative afin que les financements soient orientés réellement vers des projets communautaires alors que des soupçons de détournements pèsent sur beaucoup de responsables des fédérations.

Maghene Deba, Oeil d'Afrique



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