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Hommage à Franco Luambo Makiadi : Bedel Baouna publie « La vie des hommes », un théâtre haletant

Il y a 30 ans (et 4 mois) s’éteignait le Grand-Maître Franco Luambo Makiadi en Belgique, l’un des papes de le Rumba congolaise moderne. Mais sa mort physique ne sonna pas le glas de son immense œuvre. Bien au contraire, elle reste d’actualité, et plus que jamais vivante. Parmi ses multiples « chroniques sociales », « La vie des hommes ». A coup de phrases dures, Franco y souligne la mécanique du drame, que vit Malelisa, femme au foyer, délaissée par un mari volage, adepte de toutes les marques de bière.

De cette chanson, Bedel Baouna, analyste politique et critique littéraire, fan indéfectible de Yorgo, a fait une pièce de théâtre. Bien sûr, en y adjoignant d’autres « chroniques sociales » de Franco, telles « Bomba Bomba Mabé », « Nakoma Mbanda ya Mama ya mobali na ngai », « Mario », etc. Le défi était immense. Mais l’auteur du roman « Brazzaville, ma mère » a su trouver les ressorts nécessaires pour nous donner à voir une tragi-comédie empreinte de réflexions existentielles et philosophiques, comme pour montrer l’universalité et, surtout, l’intemporalité de l’œuvre du Grand-Maitre. 

Trahie, malmenée par sa belle-famille, Malelisa envisage une issue fatale à ses souffrances. Elle n’a plus le temps de lutter, trop c’est trop. Pourquoi continuer à souffrir quand on a toute sa dignité et qu’on n’est pas sûre de la retrouver ? Supprimer sa progéniture, comme « Médée » de Croneille, à laquelle elle s’apparente d’ailleurs, constitue le seul dénouement de la tragédie qu’elle vit. Seulement elle est fille de pasteur et elle croit au pardon. Et puis, est-elle capable de décision ? Même quand elle veut mettre son mari à la porte, elle se ravise, remet la décision à plus tard. Dans un éclair de lucidité, Malelisa espère toujours que son mari nourrit encore quelque sentiment pour elle. 

Comme l’écrit Criss Niangouna dans sa préface, « La vie des hommes » « se joue sur un fil tendu, qui sert d’exutoire aux questions liées à l’amour charnel, fraternel, aux scènes du quotidien et de ménage, à la perversion des mœurs, d’éducation, du matriarcat qui prétend donner le pouvoir aux femmes sans réelle possibilité de l’exercer, au mensonge... » Ici « nous sommes dans une fourmilière, les personnages se croisent,   se détestent, médisent et se crachent dessus, s’invectivent dès qu’ils le peuvent. Ils aiment réellement quand il faut aimer. Ils sont entiers et vrais. Chaque personnage campe en profondeur sa psyché. Ils s’attrapent par la main, parfois même par les cheveux, conscients que leur salut (la lumière) ne peut être individuel, mais reste profondément lié à celui de l’autre ». Le rythme y est soutenu, en tout cas peu de temps mort ; un style sec. Les répliques, taillées au cordeau, sont de véritables cravaches, des échanges de balles blanches. Extrait : Malelisa : «… Quel culot ! Tu ne crains donc pas ma colère ? La guillotine de mes mots ? Le fouet de mon regard ? Je suis, pauvre petite, le fracas. » Flo : « Et moi je suis le tonnerre. » Malelisa : « Le tonnerre ! Ah ah ah… Pour l’instant le tonnerre gronde mais il ne fait aucun dégât. (…) « Toutes les fois qu’il tonne, le tonnerre ne tombe pas », proverbe français. Le tonnerre ne me fait pas peur. »  Flo : « « Celui (ou celle) que frappe la foudre n’entend pas le tonnerre », proverbe hongrois. » Malelisa : « Pauvre petite qui ne comprend toujours rien ! En plus tu sens la transpiration, laisse-moi rire ! Et de la grosse bouche qui dégage une odeur mauvaise, je n’en parle pas !!! » Flo : « Voyons, madame ! Voyons… Faut que j’appelle des juges pour nous juger, nous comparer ? Vous êtes vraiment ridicule… » Malelisa : « Si mon mari m’avait trouvé une maîtresse de la trempe de Joly Deta, une ancienne de l’OK Jazz de Franco, j’aurais courbé l’échine. Je lui aurais laissé le champ libre. Mais pas toi ! » 

« La vie des hommes » est tout simplement la vie de tous les jours. Une comédie très humaine.

FB

« La vie des hommes », Z4 éditions, Théâtre, 154 pages, 14 euros

 


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