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Meurtre de George Floyd : Derek Chauvin condamné à 22 ans et demi de prison

Revenu vendredi devant la justice pour être fixé sur sa peine, le policier Derek Chauvin a écopé de 270 mois de prison pour le meurtre de George Floyd. Durant l’audience, il a exprimé ses condoléances mais pas de regrets ni d’excuses.

Le policier qui a tué l’Afro-Américain George Floyd a été condamné à 22 ans et demi de prison. Derek Chauvin était de retour vendredi devant la justice pour être fixé sur sa peine, deux mois après avoir été reconnu coupable du meurtre de George Floyd, qui a bouleversé l’Amérique. L’agent de 45 ans, qui est incarcéré dans une prison de haute sécurité depuis qu’il a été reconnu coupable de ce meurtre, s’exprimait pour la première fois publiquement depuis le drame qui a bouleversé l’Amérique. «A cause de questions légales en suspens, je ne suis pas en mesure de faire une déclaration formelle à ce stade mais, brièvement, je tiens à présenter mes condoléances à la famille Floyd», a-t-il dit, sans exprimer ni excuses ni regrets.

Les proches du quadragénaire, qui se sont exprimés avant lui, ont espéré qu’il écope de «la peine maximale», soit 40 ans de réclusion. «Qu’aviez-vous en tête quand vous vous êtes agenouillé sur le cou de mon frère alors que vous saviez qu’il ne représentait aucune menace ?» lui a lancé Terrence Floyd lors de cette audience. La fille de George Floyd, Gianna, 6 ans, s’est exprimée par lien vidéo. «Je t’aime et tu me manques», a-t-elle dit à l’adresse de son père, avant que l’accusation et la défense n’entament la présentation de leurs arguments.

«Une condamnation historique»

Le barème des peines dans le Minnesota prévoit un minimum de 12 ans et demi de prison. Mais le juge Peter Cahill a ouvert la voie à une peine plus lourde en retenant quatre circonstances aggravantes contre le policier. Il «a abusé de sa position de confiance et d’autorité», a traité George Floyd avec une «grande cruauté», a agi en présence de mineurs et «a commis son crime en réunion», a-t-il écrit.

«Cette condamnation historique fait franchir à la famille Floyd et à notre nation un pas de plus vers la réconciliation en leur permettant de tourner la page et en désignant des responsables», a déclaré vendredi sur Twitter Ben Crump, l‘avocat de la famille de George Floyd. Le 20 avril, à l’annonce du verdict, il avait évoqué un «tournant historique», tant il est rare qu’un policier soit jugé coupable aux Etats-Unis. Le président américain, Joe Biden, à quant à lui salué un verdict «juste».

Bien que les forces de l’ordre tuent en moyenne un millier de personnes par an dans l’exercice de leurs fonctions, seuls 110 policiers ont été inculpés pour meurtre ou homicide entre 2005 et 2015, selon un décompte réalisé à l’Université d’Etat Bowling Green. Parmi eux, seuls 42 ont été reconnus coupables, dont uniquement cinq de meurtre.

Le cadre légal est «très favorable» aux policiers américains, car il leur accorde «une grande marge d’erreur», explique à l’AFP Seth Stoughton, un ancien membre des forces de l’ordre devenu professeur de droit à l’Université de Caroline du Sud. Les agents ont en effet le droit de tuer, tant que leur usage de la force est jugé «raisonnable» face au risque perçu. De plus, l’enquête est souvent menée par leurs collègues et selon des règles «très protectrices», ajoute cet expert qui a témoigné au procès de Derek Chauvin. Au niveau judiciaire, enfin, les procureurs locaux ont «une relation de travail étroite avec la police» et sont donc réticents à engager des poursuites, d’autant qu’ils savent que les procès contre les policiers sont difficiles à gagner, les jurés ayant tendance à leur «accorder le bénéfice du doute», dit-il

Début de changement

Depuis le procès Chauvin, un changement semble s’esquisser. En avril, une policière de la banlieue de Minneapolis a été inculpée d’homicide involontaire pour avoir tué un jeune homme lors d’un banal contrôle routier. En mai, un policier de Virginie a été inculpé pour le meurtre d’un homme abattu dans son véhicule et trois policiers de l’Etat de Washington pour avoir asphyxié un homme qui, comme George Floyd, avait supplié «je ne peux pas respirer». En juin, trois policiers de Hawaï ont été accusés de meurtre ou complicité de meurtre pour avoir tiré sur un adolescent de 16 ans.

Dans les tribunaux aussi, ce frémissement est perceptible. Un jury de l’Alabama a jugé coupable de meurtre un policier qui avait abattu, trois ans plus tôt, un homme suicidaire. Et un tribunal fédéral a condamné à six ans de prison un policier de St Paul qui, sans raison, avait roué de coups un quinquagénaire.

«J’ai l’impression que les procureurs regardent ces dossiers d’un peu plus près» et que «les jurés ont peut-être moins tendance à croire les policiers», remarque Seth Stoughton. «Les procureurs sont sous pression» à cause «des preuves vidéo, des manifestations et de la couverture médiatique» des violences policières, note Gloria Browne Marshall, professeure de droit constitutionnel à l’Université de la ville de New York. Mais attention à «ne pas voir dans ces quelques dossiers la preuve d’une tendance de fond», ajoute cette Afro-Américaine en soulignant que l’immense majorité des morts causées par la police ne font toujours pas l’objet de poursuites.

Ainsi, aucune charge n’a été retenue contre les policiers qui ont abattu Andrew Brown Jr en Caroline du Nord le 21 avril, un dossier qui a pourtant suscité un fort émoi dans le pays. Pour Gloria Browne Marshall, il ne faut pas compter sur la bonne volonté de quelques procureurs mais adopter des réformes structurelles pour s’attaquer définitivement à l’impunité des forces de l’ordre. «Le système est trop corrompu, depuis trop longtemps, il nous faut une réforme de la justice pénale au niveau national», plaide-t-elle. «Les poursuites contre Derek Chauvin étaient une anomalie», souligne-t-elle : «La question est : comment pourra-t-on les répliquer dans tout le pays ?» L’ancien président Barack Obama n’avait rien dit d’autre le 20 avril : «Si nous sommes honnêtes, nous savons que la vraie justice va bien plus loin qu’un seul verdict dans un seul procès.»

Avec AFP



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