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Comment la puissance économique états-unienne a été construite?

Après la Deuxième Guerre mondiale, les USA, dont les grandes entreprises avaient grandement soutenu l’aventure de Hitler en Europe, décident de réorganiser le système financier mondial. L’Europe, affaiblie et foutue jusqu’à la moelle, manque de capitaux et de main d’œuvre. À Washington, on craint que les communistes qu’on a combattus par Hitler interposé n’investissent plusieurs pays européens et profitent de la grogne sociale pour prendre le pouvoir. Les USA s’organisent pour casser tous les mouvements socialistes et communistes tout en remettant en selle les fascistes. Une structure ultrasecrète est créé par la CIA: le réseau Gladio, une sorte de service secret de l’OTAN, répondant directement du SHAPE (Supreme Headquarters Allied Powers Europe) et dont l’existence ne sera révélée qu’en 1990 par le Premier ministre italien Giulio Andreotti.

La Seconde Guerre mondiale a considérablement enrichi les États-Unis dont la production industrielle a doublé. Les produits doivent être écoulés, mais là tout le monde est fauché. Que faire alors? Les stratèges américains vont donc miser sur une Europe très affaiblie et débarrassée de tout mouvement socialiste ou communiste. N’était-ce pas au fond l’idée lorsqu’on a décidé de soutenir le respectable monsieur Adolf Hitler dans ses croisades européennes, dont le but ultime était la Russie? 

En tout cas, il faut écouler les produits sur le marché mondial. Bretton Woods 1944. Le Plan Marshall (PM) est mis en place - ce qu’on ne dit pas souvent, c’est qu’il comporte des clauses secrètes qui mèneront à la création d’une colonie américaine sur le continent européen dénommée « Union européenne ». Bon passons. À la suite du PM, un nouveau système est mis en place : l’étalon-or. Dorénavant, la valeur de la monnaie de chaque État membre sera fixée par rapport au billet vert américain, lui-même indexé au métal jaune, c’est-à-dire l’or. Petit détail non sans importance : le pays de l’Oncle Sam a amassé ¾ du stock mondial d’or et le dollar est la seule monnaie à avoir conservé sa valeur d’avant-guerre.

De plus, le système « étalon-or » est assorti d’un « gentleman’s agreement » qui stipule que les banques centrales devront accumuler le dollar dans leurs coffres forts plutôt que de les échanger contre l’or auprès de la Reserve « familiale » ou « fédérale » US, c’est selon- la FED étant, contrairement à ce que la majorité pense, une institution privée et non gouvernementale, créé par quelques familles. Nous avons donc une devise forte (le dollar) soutenue par l’économie la plus puissante du monde. 

Jusque-là, tout le monde est beau, tout le monde est gentil. Mais les affaires sont l’affaire, dit-on chez les Yankees. Avec le Plan Marshall, les USA prêtent à l’Europe des dollars nécessaires pour sa reconstruction. Mais chez qui les Européens vont-ils utiliser cet argent pour se procurer des biens? Bien entendu chez les mêmes Américains. Les compagnies pétrolières américaines, qui s’étaient déjà terriblement enrichies en vendant du pétrole - pompé à moindre coût au Moyen-Orient- à la machine de guerre nazie, surfacturent les « amis » européens. Après tout, bizness as usual. Tout le monde est vraiment content et gentil. Mais à partir des années 1960, des soucis apparaissent.

La croissance américaine, soutenue par la guerre et le Plan Marshall, s’essouffle. En fait, les Européens, qui ont repris du poil de la bête depuis un moment en retrouvant une certaine autonomie industrielle, importent de moins en moins des produits américains. Plus encore, les banques US, toujours à la recherche des profits à ne point finir, ont préféré massivement investir en Amérique latine, négligeant ainsi d’investir dans l’industrie nationale.

Conséquence : la machine industrielle se détériore, le pays importe plus qu’il n’exporte, et ainsi apparaît le déficit commercial qui sera à l’origine de la dette américaine, qui ira en augmentant de façon vertigineuse… Mais personne ne s’inquiète vraiment à Washington; la planche à billet va combler le déficit. Après tout, le dollar garde malgré tout sa valeur. 

Mais cela ne va durer longtemps. La guerre du Viêt-Nam éclate. Elle coûte de plus en cher au pays; le déficit du budget fédéral explose, passant de trois milliards en 1960 à neuf milliards de dollars quatre ans plus tard (1967). L’année qui suit (1968), il est de 25 milliards. Il y a péril en la demeure car la masse de dollars qui circule à l’étranger ne cesse de croître alors que les réserves d’or de la « Reserve familiale » (FED) sont en baisse.

En clair, « si les détenteurs étrangers de dollars avaient exigé d’échanger leurs billets verts contre l’or, Washington n’aurait pu répondre qu’au quart des demandes. » Il est donc devenu évident que le dollar américain n’était plus « as good as gold » comme on disait à l’époque.

Là, on ne rigole plus. En août 1971, le président Richard Nixon décide de prendre les grands moyens : fini la convertibilité du dollar en or. Cette décision, la « Nixon Shock », marque la fin de la fixité des taux de change liés au billet vert américain et instaure l’ère des taux de change flexibles, ce qui ouvre grandement les vannes de la spéculation internationale.

Bref, c’est la révocation des accords de Bretton Woods, lesquels permettaient à la « grande Amérique » de creuser son déficit extérieur sans payer les frais. Richard Nixon venait de toucher au « veau d’or » sacré qui faisait la puissance économique des États-Unis.

Plusieurs observateurs estiment que la décision de l’éjecter de son siège est partie de là; le scandale du Watergate aurait alors constitué l’occasion rêvée pour certaines forces tapies dans l’ombre du pouvoir américain (suivez mon regard) de se défaire de lui. Bon, on s’en fout. Continuons notre histoire.

Une fois le « système Bretton Woods » révoqué, il fallait trouver un autre système pour préserver la suprématie du dollar américain. Eureka! J’ai trouvé : un accord avec les pays de l’OPEP, principalement l’Arabie Saoudite, en 1971. Dorénavant l’or noir sera vendu EXCLUSIVEMENT en dollars.

Le billet vert plus puissant que jamais. La planche à billet tourne à plein régime. Le billet vert reste fort alors que l’économie US décline. Comment est-ce possible? Heuuu, mais la valeur des monnaies est basée, en grande partie, sur la confiance que les marchés internationaux leur accordent.

Or disons-nous ici, que non seulement le billet vert jouit d’une grande confiance, mais en plus il sert de monnaie d’échange pour l’une des ressources les plus stratégiques de notre époque : le pétrole. Aussi, les USA ont demandé aux principaux pays de l’OPEP de réinjecter leurs pétrodollars dans les places boursières britanniques et américaines, en plus de racheter les bons du Trésor émis par la FED pour financer la dette américaine. 

Pis survient ce qu’on appellera le « choc pétrolier » de 1973 à la suite de la guerre du Kippour. Une autre grande escroquerie, mais passons. Les pays du Golfe membres de l’OPEP ont décidé, en riposte au soutien américain à l’État raciste et terroriste d’Israël, d’utiliser le pétrole comme arme de guerre. Le prix du baril est augmenté de 70%, puis double quelques mois plus tard, passant de 3$ en 1973 à 11,50$ à l’été 1974.

Dans de nombreux pays, c’est la stupeur. Panique également aux États-Unis où la population ne sait plus à quel saint se vouer. Nixon déclare, lors d’une intervention télévisée, que « les États-Unis vont devoir affronter les restrictions d’énergie les plus sévères qu’ils n’ont jamais connues, même pendant la Seconde Guerre mondiale. » 

Fiers d’avoir coupé le robinet pétrolier aux soutiens d’Israël, les pays arabes se frottent les mains. D’autant plus que la manœuvre leur a permis d’engranger des milliards de pétrodollars; leur revenu passant de 23 à 110 milliards de dollars. Or, c’est dans les banques américaines que la plupart des ces pays investissent leur magot!! Les Arabes venaient en réalité de nourrir, sans le réaliser, leur ennemi ultime. 

Grâce au recyclage des pétrodollars, le billet vert voit son cour se redresser spectaculairement, et les pays du Golfe alliés des USA achètent quantité de bons du Trésor émis par la Fed, finançant ainsi la dette américaine. Pour autant et plus que jamais, l’économie américaine ne cesse de s’enfoncer. Mais grâce à l’afflux des capitaux étrangers, notamment des pétrodollars, le billet vert garde la confiance des marchés.

Alors même que le déficit se creuse. Ce qui veut dire que les Américains vivent au-dessus de leurs moyens : ils consomment et investissent bien plus qu’ils ne produisent de richesse. Mais les investissements étrangers aussi s’envolent. Le dollar demeure une monnaie forte alors que sa valeur ne repose plus sur rien de tangible aux États-Unis. 

Selon deux journalistes spécialisés dans les affaires géopolitiques, Michel Collon et Grégoire Lalieu, le système financier mis en place par Nixon après la révocation des accords de Bretton Woods, « est en réalité un château de cartes. »

Ils expliquent : 1) l’augmentation des capitaux à l’étranger (pétrodollars, croissance japonaise ou chinoise, etc.) provoque un flux vers les marchés financiers et boursiers américains.

2) La Bourse grimpe, l’élite américaine se remplit les poches et les banques stimulent la consommation des ménages par le crédit.

3) Pour satisfaire cette consommation, Washington doit importer beaucoup de biens- encore là, il faut nuancer car ces biens proviennent des entreprises américaines délocalisées, principalement en Asie afin de profiter de la main d’œuvre moins couteuse; tout pour les riches, pas de boulot pour le petit peuple, capitalisme oblige - puisque ses capacités de production sont faibles.

4) Grâce à ces importations - qui enrichissent tout de même les patrons de ces grandes entreprises-, les pays qui exportent vers les USA s’enrichissent et injectent de plus en plus à Wallstreet.

Au final, c’est le retour à la case départ 1) : par ce tour de passe-passe, le pays le plus endetté de la planète reste la première puissance économique mondiale. Voyez-vous l’arnaque?!

Mais rien ne dit que cela durera encore longtemps. Pourquoi? Simplement parce que « n’importe quel krach boursier peut faire plonger les bourses, fermer les robinets du crédit, bloquer la consommation des ménages. » Pis, plusieurs pays ne voient plus l’avantage de commercialiser leur pétrole en dollar.

Saddam Hussein et le colonel Kadhafi, par exemple, ont proposé de commercialiser le pétrole en utilisant une monnaie autre que le dollar. Conséquence : ils ont été tués par l’OTAN. Sarkozy, l’« Américain », n’a-t-il pas déclaré que la proposition de Kadhafi « représente un danger pour la sécurité financière mondiale ». Il aurait dû dire « occidentale ». Certainement qu’il est trompé…

Bref. La domination économique des États-Unis sur l’échiquier mondial est un grand mirage. Si la commercialisation de l’or noir ne se fait plus exclusivement en dollar, la domination US s’effondrera par manque de capitaux. Reste à savoir combien de temps durera cette énorme escroquerie? Buvons le lait et attendons…

Patrick Mbeko
Auteur du livre: Le Canada dans les guerres en Afrique Centrale.



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