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Felix Tshisekedi enjambe sur les affaires Vital Kamerhe et Matata Ponyo

Félix Tshisekedi a trusté l’audience nationale ces deux dernières semaines après avoir enchaîné des sorties médiatiques à Bunia, Goma et Kinshasa, notamment. Avec la presse nationale comme étrangère, le président congolais a passé en revue toute l’actualité du pays, souvent à ses dépens. Après avoir clamé l’innocence de son ancien directeur de cabinet, Vital Kamerhe condamné à 13 ans de prison au second degré, le président est surtout raillé pour avoir publiquement refusé de prendre le vaccin AstraZeneca pourtant admnistré à sa population avant d’affirmer qu’il ignorait son salaire. Depuis, sa cavalerie se mobilise : directeur de communication, porte-parole et alliés, on tente le va-tout pour retourner une opinion globalement « déçue ».

Son premier mandat à la tête du pays était « leur » mandat avec Vital Kamerhe, devenu son directeur de cabinet à la surprise générale au lendemain de leur victoire. Mais le temps a passé et avec lui, Kamerhe dans l’ombre. En prison pour détournement depuis plus d’une année, l’allié et ami du président a vu la Cour d’appel de Kinshasa confirmé son implication dans l’affaire dite des 100 jours. Bien que sa peine de 20 ans du premier degré soit commuée à 13 ans, ses partisans dénoncent une cabale orchestrée par le camp Tshisekedi qui voient en lui désormais un adversaire pour la présidentielle de 2023. Au point que le chef de l’Etat devait s’expliquer, proclamer sa sympathie, révélé des conversations d’ordre personnel avec Vital Kamerhe pour asseoir la thèse d’une entente inébranlable.

Vital Kamerhe un homme « sérieux et correct »

« C'est qui est arrivé est arrivé, nous le déplorons tous mais je continue à croire que Vital Kamerhe est non seulement quelqu'un de sérieux, de correct et en plus quelqu’un dont la République a besoin grâce à son intelligence, grâce à son expérience et je suis convaincu qu'il jouera à nouveau un rôle dans ce pays ». Avec le scrutin en vue, l’homme fort de Kinshasa envisage déjà des coalitions. Et avant d’en tisser de nouvelles, il veut rassurer à d’éventuels partenaires qu’il reste fidèle. Il veut se servir du leader du Kivu qui s’était effacé en sa faveur acceptant de jouer le rôle de directeur de campagne.

« Mais pourquoi un homme correct en prison ? » interrogent les proches de Kamerhe qui crient à un procès politique depuis douze mois. Sans le vouloir, le président a choisi son camp entre la justice qui affirme avoir dit le bon droit et l’Union pour la Nation Congolaise, le parti qui considère que son leader est victime d’un agenda politique. « Celui qui va encore douter de l’innocence de Vital Kamerhe est un sorcier », a déclaré le secrétaire général de l’Union pour la Nation Congolaise qui va longtemps exploiter le discours du chef de l’Etat. « Ce qui s’est passé aujourd’hui est un miracle de Dieu. Le premier citoyen de ce pays a eu le courage de passer à la télévision pour dire que Vital Kamerhe est un homme correct », a-t-il ajouté. Une tournure qui risque de déplaire à Tshisekedi qui ne reviendra pas de sitôt devant la presse pour clarifier ses propos.

Tâche désormais aux membres de sa coalition, à l’instar d’Yvan Simweray proche de Vidiye Tshimanga, bras droit et conseiller spécial chargé des questions stratégiques auprès du président. « Le droit positif congolais est un droit basé sur la preuve. Sans la preuve, il est difficile voire même impossible d'établir la culpabilité ou la responsabilité d'un présumé dans une affaire juridique. Dans le procès 100 jours, le Ministère public n'a pas su établir le lien entre Kamerhe et l'infraction du détournement », explique-t-il pour donner meilleure interprétation des mots du président dans l’émission diffusée à la Top Congo et à la Télévision nationale. « Donc tant que la chose demeurera ainsi, il est important pour tout congolais amoureux de l'État de droit de reconnaître la présomption d'innocence de sieur Kamerhe », affirme ce jeune juriste. Il n’y a plus chose délicate que d’habiller des allocutions si limpides sans conforter l’argument des pro-Kamerhe. 

Avant d’être récemment désigné secrétaire général de l’UNC, Billy Kambale avait été ministre de la jeunesse dans le premier gouvernement de l’ère Tshisekedi. Aujourd’hui, il doit resserrer les rangs au parti. Et la formule est toute trouvée : leur leader souffre le martyr d’un pouvoir qu’il aidé à faire exister. Alors que la Cour de cassation reste la dernière chance pour Vital Kamerhe, ses proches espèrent par ailleurs une grâce présidentielle qui, pourtant, entacherait l’image d’un Tshisekedi qui a bâti le discours de son mandat sur la lutte contre l’impunité.

L'affaire Matata Ponyo

D’ailleurs, même s’il n’est pas encore satisfait du travail de la justice, il en approuve les progrès et, il la soutient. En séjour en Ituri, dans le nord-est du pays, fin juin, Tshisekedi avait fustigé le refus du Sénat de lever les immunités de l’ancien premier ministre Matata Ponyo visé par le parquet près la Cour constitutionnelle dans une affaire de détournement qui date de son séjour au gouvernement, il y a une décennie. Et visiblement, c’est un dossier qui lui tient à cœur. Car, plus tard, chez Jeune Afrique, il l’a réitéré. « C’est indécent… ». Depuis le mois de mai, la justice essaie d’élucider l’affaire Bukanga Lonzo, le parc agro-industriel dont les fonds, s’étaient engloutis. « Mais je ne comprends pas qu'on crée cette catégorie des congolais qui peuvent, d'une part, être justiciables et rendre compte à la justice. Et d'autre part, des congolais qui peuvent, eux, être extirpés de la justice », une pression sur Matata Ponyo avant un conseil du chef de l’Etat : « C'est très mauvais (de ne pas collaborer avec la justice, ndlr), et même pour lui, l'ancien premier ministre, Augustin Matata. Même pour lui, ce n'est pas du tout quelque chose de profitable parce que c'est un acteur politique ».

Quelques jours après, le Sénat acceptait d’envoyer Matata au parquet. Mais l’implication de Félix Tshisekedi a marqué les esprits. « Le Sénat est indépendant. Félix Tshisekedi n’avait qu’à s’incliner devant cette décision », observe Janette Tshisawu. Et d’ajouter : « ce que nous déplorons. Nous voyons ce qu’il fait aujourd’hui comme une violence du principe de la séparation des pouvoirs. Compte tenu de son comportement, nous pouvons croire qu’il a une dent contre Matata Ponyo. Tshisekedi ne prône pas la séparation des pouvoirs. L’objectif lorsqu’il avait débauché tous les députés et les sénateurs du camp de Kabila c’était d’avoir la main mise sur ces deux institutions ».

Mais contrairement à la vice-présidente du Cartel des femmes politiques du Haut-Katanga, Yvan Simweray considère que, de bonne guerre, le chef de l’Etat a exhorté à une forme d’éthique. « Le Président de la République n'a pas pris une position sur l'affaire Matata Ponyo. Il n'a juste pas été d'accord avec la façon dont le Sénat, la supposée chambre de sages, a entravé le travail de la Justice au lieu de faciliter la justice dans la procédure. En prônant l'État de droit, le Président de la République est conscient que cela n'enchante pas tout le monde, surtout ceux qui ont un moment pris plaisir à dilapider les caisses de l'État ».

A la recherche des procès emblématique pour le bilan de son Etat de droit, Félix Tshisekedi ne s’est jamais montré aussi actif pour que soit ouverte une enquête sur la gestion des fonds Covid-19 par l’ancien ministre de la santé, Eteni Longondo, membre de son parti l’UDPS alors que les bailleurs déploraient une mégestion. Ces dernières semaines, la Cenco et de nombreuses ONGs ont mis en garde contre une justice employée contre les adversaires politiques.

Maghene Deba, Oeil d'Afrique



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