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La gestion de la crise institutionnelle au Kongo central est-elle la preuve  d’un Etat de droit à géométrie variable ?

Une analyse chronologique et démonstrative de la crise qui tend à l’ingouvernabilité de la province, par Aimé Gata-Kambudi.

La province du Kongo central est en train de sombrer dans un chaos politique qui, si l’on y prend garde, pourrait échapper à tout contrôle. Depuis l'affaire "Mimi gate" jusqu'à ce jour, en passant par la motion de défiance contre le Gouverneur Atou Matubuana votée par l’Assemblée provinciale le 4 décembre 2019, nous assistons à un laxisme et un désordre inouïs quant au traitement du dossier Kongo central, avec comme conséquence d'installer les conditions d’une ingouvernabilité sans précédente dans cette province pourtant réputée paisible et constituée des peuples non-conflictuels.

Le dernier cafouillage en date se trouve être le refus de monsieur Atou Matubuana à « démissionner » de son poste de Gouverneur de province - selon lui sur recommandation du Président de la République – alors qu’un arrêt de la Cour constitutionnelle sous R. Const 1171 du vendredi 29 mai 2020 – qui  lui a été valablement notifié – a déclaré recevable la requête du Président de l’Assemblée provinciale du Kongo central, tirant ainsi les conséquences de la défiance votée contre le chef de l’exécutif provincial du Kongo central. 

Nous allons, à travers ces quelques, analyser les raisons de la non-exécution de cet arrêt de la Cour constitutionnelle, alors que l’article 168 de la Constitution est claire à ce sujet. Il proclame clairement que : « Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers… ».

Cependant, hormis toutes ces considérations purement juridiques, pour bien comprendre ce qui divise réellement le Gouverneur Atou Matubuana et l’Assemblée provinciale du Kongo central, il faudrait partir du contexte initial qui a installé cette crise. Ce qui permettrait  d’élucider les conséquences politiques et juridiques à tirer de ce bras de fer entre ces deux institutions provinciales.  

 

  1. L’origine de La crise gouvernementale dans la province du Kongo central. 

 

Tout commence avec l'affaire "Mimi gate". Le 24 août 2019 les réseaux sociaux Congolais sont inondés par un sextape impliquant le Vice-gouverneur du Kongo central, monsieur Justin Luemba. Dans ces vidéos amatrices on aperçoit ce dernier en tenue d'Adam au milieu de deux hommes et une femme l’accusant de l’avoir violé. Des enquêtes seront toute suite diligentée. Pour les enquêteurs: "Monsieur Justin Luemba était encore allongé sur le lit lorsque deux personnes étrangères ont surgi et l’ont brutalisé pour ensuite le filmer et diffuser sur les réseaux sociaux des scènes où le Vice-gouverneur était nu, implorant ses interlocuteurs de ne pas l’humilier davantage". 

Après approfondissement de l'enquête, la réquisition du procureur général près la Cour de cassation est sans ambages. Il cite le Gouverneur du Kongo central, monsieur Atou Matubuana, comme le principal commanditaire de ce scandale sexuel qui a mis en scène son assistante, madame Mimi Muyita et le Vice-gouverneur Justin Luemba. C'était donc une espèce de traquenard en vue de salir le Vice-gouverneur, le jeter à la vindicte populaire pour après le pousser à la démission ou à ce que soit votée une motion de défiance à son encontre (pour des fins politiques non avouées). 

C’est cette même conclusion qui sera partagée, bien plus tard, par l’enquête menée par l’Assemblé provinciale du Kongo central qui a produit une note explicative [sous le sceau du secret] qui a été communiquée au pouvoir central et sécuritaires du pays. Nous avons pu obtenir une copie de cette note explicative. Il y est démontré sans détours l'implication de Monsieur Atou Matubuana qui a agi en coaction avec certaines autres autorités provinciales (dont notamment le Redoc de l'ANR) afin de préparer les conditions de l’éviction de son Vice-gouverneur. 

Malgré la vidéo de réconciliation entre le Gouverneur Atou Matubuana et son adjoint, Justin Luemba qui a passé deux jours en garde à vue, le Vice-premier ministre, ministre de l'intérieur de l’ancien gouvernement central Tshibala [qui expédiait des affaires courantes après les élections] avait pris la décision suspendant ces deux têtes de l'exécutif provincial du Kongo central. Ainsi, le 3 septembre 2019, dans une correspondance adressée à ces deux protagonistes, Basile Olongo les avait convoqués à Kinshasa pour qu’ils soient entendus, avant d’annoncer leur suspension pour les empêcher d’obstruer à la procédure judiciaire à leur encontre.

En effet, le procureur près la Cour de cassation avait ouvert un dossier contre le Gouverneur Atou Matubuana qui se serait rendu coupable d'outrage public aux bonnes mœurs.  Par soucis de respecter les articles 67 et 68 de la loi organique du 31 juillet 2008, le procureur a donc demandé à l’Assemblée provinciale de voter la permission des poursuites devant la Cour de cassation contre le chef de l’exécutif du Kongo central.

Faisant suite à la réquisition du procureur près la cour de cassation, l'Assemblée provinciale du Kongo central a organisé la plénière du 24 septembre 2019 avec une seule matière à l'ordre du jour : l'autorisation des poursuites judiciaires contre le Gouverneur Atou Matubuana. 

Contre toute attente, alors qu’il était déjà désavoué par sa famille politique (le FCC) qui est majoritaire au sein de l’hémicycle, l’Assemblée provinciale du Kongo central s’est paradoxalement  prononcée contre l’autorisation des poursuites judiciaires sollicitée par le procureur près la Cour de cassation à l’encontre du Gouverneur. Sur les 41 députés provinciaux que compte cette Assemblée 21 députés ont voté en faveur du Gouverneur contre 19 qui ont voté pour autoriser les poursuites à son encontre. Pour plusieurs observateurs, il y aurait des soupçons de corruption pour « acheter » les votes des députés provinciaux en faveur du Gouverneur Matubuana.

Ces événements coïncidant par ailleurs avec l'entrée du nouveau gouvernement de la coalition FCC-CACH, le nouveau Vice-premier ministre, ministre de l'intérieur, monsieur Gilbert Kakonde, a pris la décision du 30 novembre 2019 réhabilitant le gouverneur suspendu et son adjoint. 

De toute évidence, la coalition CACH n'ayant gagné que deux provinces sur les 26 (que compte la RDC), plusieurs observateurs ont estimé que c’était une occasion rêvée pour la coalition du Président de la République d’asseoir son influence sur un Gouverneur en conflit avec sa famille politique, le FCC. Ainsi, issu de la coalition CACH, le nouveau Vice-premier ministre, ministre de l’intérieur est perçu comme celui qui se positionne depuis son entrée au gouvernement comme le protecteur politique du Gouverneur Atou Matubuana. Pour preuve, on pouvait voir les drapeaux de son parti politique, l'Udps, flotter le jour de la réhabilitation du gouverneur mis en cause et son adjoint. 

Cependant, toute suite après la réhabilitation du couple gouvernoral, toujours pour les mêmes faits, une motion de défiance contre le Gouverneur Atou Matubuana sera déposée à l'Assemblée provinciale du Kongo central par le député André Masumbu Baya.

Pour faire suite à cette dernière motion de défiance, l'Assemblée provinciale du Kongo central a convoqué la plénière le 4 décembre 2019. Cette plénière de tous les enjeux et de tous les dangers a été organisée dans des conditions on ne peut plus rocambolesques. Seuls 24 députés provinciaux du Kongo-central ont voté la motion de défiance initiée contre le gouverneur Atou Matubuana. Cette plénière avait même été délocalisée pour se dérouler à l’Hôtel Bilolo Favor, après des troubles survenus dans l’hémicycle de l’Assemblée provinciale, empêchant ainsi le Gouverneur mis en cause de présenter ses moyens de défense. Les 17 autres députés provinciaux, qui n’ont pas pris part au vote, rejettent cette décision et la qualifient de nulle et de nul effet. C'est sur fond de cette contestation que le président de l'Assemblée provinciale du Kongo central, monsieur Pierre Anatole Matusila Malungeni ne Kongo, a saisi la Cour constitutionnelle en interprétation des articles 147 (al.2) et 198 (al.9) de la Constitution en vue de faire valider la régularité ou non de l’adoption de cette motion de défiance votée par son Assemblée à l’encontre du Gouverneur. 

La Cour constitutionnelle a répondu à travers l’arrêt R. Const 1171 du vendredi 29 mai 2020. Cette décision querellée et sa non-exécution jusqu’à ce jour est l'objet de notre étude.            Mais avant de l’analyser, il nous parait judicieux d’examiner tout d’abord la décision de la suspension du Gouverneur Atou Matubuana et son adjoint ainsi que la procédure qui s’est soldée à la déchéance de celui-là.

 

  1. De la suspension de l’exécutif provincial par le pouvoir central et la procédure de la déchéance du Gouverneur Atou Matubuana.

 

Comme nous l’avons évoqué ci-haut, au Kongo central, toute suite après que l’affaire "Mimi gate" se soit éclatée, le Gouverneur –sur qui pesait des soupçons de commanditer ce scandale sexuel – ainsi que son adjoint avait été suspendu par le Vice-premier ministre, ministre de l’intérieur du Gouvernement central. Monsieur Basile Olongo avait justifié sa décision par le fait que le Gouverneur Atou Matubuana et son adjoint sont les représentants du Président de la République en province et qu’ils avaient terni l’image du pays. Il a également justifié sa décision par le fait que la justice s’était déjà saisie du dossier "Mimi gate" et qu’il fallait suspendre le Gouverneur et son adjoint pour ne pas leur permettre d’obstruer à la justice.

 

En ce qui nous concerne, nous pensons que cette décision de suspension de l’exécutif provincial du Kongo central par le Vice-premier ministre, ministre de l’intérieur Basile Olongo était juridiquement contestable. Dans la mesure où elle a violé la nouvelle approche de la régionalisation consacrée dans la Constitution du 18 février 2006 et dans la loi organique du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux sur la libre administration des provinces.       

 

Selon ces deux textes précités, les animateurs des institutions provinciales sont autonomes par le fait d’être l’émanation du vote populaire par le moyen d’un suffrage indirect. Ils ne sont donc responsables que devant les Assemblées délibérantes qui les ont élus – et non pas devant le Gouvernement central qui, de surcroit, ne les a pas nommé. A ce titre, cette décision du ministre Basile Olongo suspendant le Gouverneur du Kongo central et son adjoint nous parait inappropriée. 

 

Une lecture experte de la Constitution et de la loi organique du 31 juillet 2008 aurait pourtant fait remarquer au ministre Basile Olongo que la suspension d’un Gouverneur comme mesure administrative et conservatoire n’existe pas dans l’arsenal juridique congolais. Ce dernier n’accorde au pouvoir central que deux régimes d’intervention quant à la déchéance d’un Gouverneur de province. Le pouvoir central peut faire prévaloir soit les articles 197 (al.7) et 198 (al.9) de la Constitution ; soit faire prévaloir les articles 63, 65, 67 et 68 de la loi organique du 31 juillet 2008 portant sur la libre administration des provinces.

 

  • Le premier régime (articles 197 et 198 de la Constitution) c’est la possibilité accordée au Président de la République de «dissoudre l’Assemblée provinciale » ou de « relever de ses fonctions le Gouverneur d’une province (…) lorsqu’une crise politique grave et persistante menace d’interrompre le fonctionnement régulier des institutions provinciales ». Et surtout que ces deux dispositions (donc les articles 197 et 198 de la Constitution) sont l’œuvre d’une révision constitutionnelle tout aussi contestable de la loi du 20 juillet 2011 que nous avons déjà critiqué dans une analyse précédente, considérant que c’est un recul démocratique énorme et une entorse au droit et au processus de la décentralisation tels que voulus par le pouvoir constituant originaire de 2006. 

 

  • Le deuxième régime par contre – ce qui nous intéresse dans ce dossier Kongo central – fonde sa matrice dans les articles 63 et 65 de la loi du 31 juillet 2008. Alors que la première disposition fait du Gouverneur de province un représentant et un organe déconcentré par exception du Gouvernement central, la deuxième disposition stipule que « dans l'exercice de sa mission de représentation du Gouvernement central et de coordination des services publics déconcentrés en province, le Gouverneur de province répond de ses actes devant le Gouvernement central ». A ce titre, selon l’article 67 de la même loi, en cas de fautes graves commises par le Gouverneur de province dans l'exercice des missions des services publics déconcentrés, le pouvoir central peut: soit saisir l'Assemblée provinciale pour [lui demander de diligenter une motion de censure ou de défiance en faisant application des articles 41 et 42 de la même loi; soit en matière pénale, demander à l’Assemblée provinciale de voter à la majorité des voix afin de déférer le Gouverneur devant la Cour de cassation (combinaison des articles 67 et 68 de la loi du 31 juillet 2008).

 

Comme on peut le remarquer, le couple exécutif du Kongo central avait donc fait l’objet de ce deuxième régime. Les enquêtes préliminaires sur l’affaire "Mimi gate" avaient conduit à la saisine du procureur près la Cour de cassation qui a demandé à son tour à l’Assemblée provinciale du Kongo central que soit votée l’autorisation des poursuites judiciaires contre le Gouverneur Atou Matubuana pour l’infraction d'outrage public aux bonnes mœurs. 

 

Et comme il a été rappelé dans les lignes précédentes, la majorité à l’Assemblée provinciale du Kongo centrale avait voté contre cette réquisition du procureur durant la plénière du 24 septembre 2019. Cette procédure était donc régulière. En conséquence, l’Assemblée provinciale n’ayant pas voté en faveur des poursuites du Gouverneur Atou Matubuana ainsi que son adjoint, ils ont dû être réhabilités par décision du nouveau Vice-premier ministre, ministre de l’intérieur, monsieur Gilbert Kankonde, le 30 novembre 2019.

 

Cependant, le problème qui oppose actuellement l’exécutif provincial d’un côté et l’Assemblée du Kongo central de l’autre, se trouve être la suite du même dossier "Mimi gate". Car, après leur réhabilitation, l’Assemblée provinciale va voter à nouveau une motion de défiance contre le Gouverneur Matubuana, le 4 décembre 2019. 

 

La position du Gouverneur défié et de ses soutiens est celle de penser que le vote de cette motion de défiance doit être nul et de nul effet par le fait que la plénière du 4 décembre 2019 avait été délocalisée suite aux troubles survenus dans l’hémicycle. Ils expliquent aussi la nullité de ce vote de défiance par le défaut pour le Gouverneur d’avoir présenté ses moyens de défense.

 

Sans surprise, cette thèse est contestée par le Président de l’Assemblée provinciale ainsi que les 24 députés qui ont voté majoritairement pour la délocalisation de la plénière et pour la motion de défiance contre le Gouverneur Atou Matubuana. Une question est donc importante à ce niveau : quelle est la régularité de cette plénière du 4 décembre 2019 et de ce vote de l’adoption de la motion de défiance ? 

 

  1. Quid de la régularité de la plénière du 4 décembre 2019 et du vote de la motion de défiance contre le Gouverneur Atou Matubuana par l’Assemblée provinciale du Kongo central.

 

Il convient de rappeler que, selon le Bureau de l’Assemblée provinciale, la délocalisation de la plénière du 4 décembre 2019 a été la conséquence de l’impraticabilité de la salle des plénières provoquée par un groupe de députés provinciaux –visiblement acquis à la cause du Gouverneur Atou Matubuana – qui avaient commis des voies de faits et des destructions dans l’hémicycle. A cet effet, le Président de l’Assemblée provinciale n’avait d’autres alternatives que de soumettre au vote la décision de la délocalisation de la plénière, procédure dument autorisée par l’article 5 (al.2) du Règlement intérieur de l’Assemblée provinciale du Kongo central.

 

Cependant, un petit détour semble important pour préciser et comprendre la raison évoquée par ces députés provinciaux à l’origine des troubles qui soutiennent la thèse de l’irrégularité de la plénière du 4 décembre 2019. 

 

En effet, deux députés ont été les principaux acteurs ou instigateurs de ces troubles. Il s’agit de madame Mvibudulu Kulutisa Pauline et de monsieur Kuebena Ntanda Serge. Ces deux protagonistes avaient d’abord été votés comme députés provinciaux lors des élections du 30 décembre 2018. Après l’élection du Gouverneur Atou Matubuana, ces deux députés seront ensuite nommés comme membres du gouvernement provincial par arrêté n° 090/BIS/CAB. Gouv/K C/012/2019 du 22 mai 2019, les contraignant ainsi à respecter l’article 110 de la Constitution qui exige que le suppléant remplace un député qui a accepté une fonction incompatible avec le mandat parlementaire (…).

 

Le problème a surgit lorsque, à un jour de la plénière qui allait statuer sur la motion de défiance contre le Gouverneur, les ministres provinciaux Mvibudulu Kulutisa Pauline et Kuebena Ntanda Serge ont démissionné du gouvernement provincial. Monsieur Atou Matubuana en a pris acte le même jour, le 3 décembre 2019. Sauf que, lors de la plénière du 4 décembre 2019, madame Mvibudulu Kulutisa Pauline et monsieur Kuebena Ntanda Serge se sont retrouvés dans l’hémicycle de l’Assemblée provinciale, au banc des députés, exigeant leur réintégration manu militari à l’Assemblée et voulant participer au vote, sans avoir préalablement  prévenus le Bureau de l’Assemblée ainsi que leurs suppléants. Les troubles se sont donc invités quand le Président de l’Assemblée provinciale, monsieur Pierre Anatole Matusila Malungeni ne Kongo a tenté de corriger cette irrégularité. D’où le désordre et la dégradation de la salle des plénières, ce qui a nécessité la délocalisation. 

 

Il va sans dire qu’après la délocalisation de la plénière et le vote de défiance contre le Gouverneur (avec la participation des députés suppléants bien sûr), la députée Mvibudulu Kulutisa Pauline a saisi le tribunal de paix de Matadi contre son suppléant, le député Lusiama Mulumbu Celestin pour usurpation des fonctions publiques et faux en écriture. L’argument de madame Mvibudulu était celui d’invoquer l’article 110 (al.2 et 3) de la Constitution qui consacre que : « lorsqu’un député national ou un sénateur est nommé à une fonction politique incompatible avec l’exercice de son mandat parlementaire, celui-ci est suspendu. Il reprend de plein droit son mandat parlementaire après la cessation de cette fonction politique incompatible ». A cet effet, pour la députée plaignante, sa seule lettre de démission qui a été déposée au Gouverneur qui en a pris acte (par lettre n°090/ BIS/CAB. Gouv/KC/1635/2019) suffisait pour reprendre son siège à l’Assemblée provinciale et votée lors de la plénière du 4 décembre 2019.

 

Au contraire, de leur côté, l’interprétation de l’article 110 (al. 2 et 3) du Président de l’Assemblée provinciale ainsi que du député suppléant Lusiama Mulumbu était toute autre. Pour ces derniers, même si la Constitution pose le principe de « retour de plein droit » à l’Assemblée provinciale d’un député qui s’est défait des conditions d’incompatibilité, il est néanmoins important que soient respectées les formalités qui relèvent des usages parlementaires, notamment la présentation du député manifestant son droit de retour par le Bureau de l’Assemblée provinciale qui devrait prendre acte de ce retour et en informer le député suppléant. Ce qui ne fut pas fait selon le député suppléant Lusiama Mulumbu et selon Pierre Anatole Matusila, le Président du Bureau de l’Assemblée provinciale.

 

Nous avons analysé chronologiquement cette sous-crise (de la délocalisation de la plénière et des votes des députés suppléants contestés par leurs titulaires) que pour des raisons strictement pédagogiques. Car, cette divergence entre le Président du Bureau de l’Assemblée provinciale et la députée Mvibudulu Kulutisa Pauline avait déjà été épuisée par l’arrêt de la Cour constitutionnelle R.Const.1167 qui a déclaré recevable la requête du Président du Bureau de l’Assemblée provinciale du Kongo central qui l’avait saisi en interprétation de l’article 110 (al.3) de la Constitution, appliqué mutatis mutandis aux députés provinciaux, conformément à l’article 197 (al.6) de la Constitution. Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle a rappelé que : « la cessation de la fonction politique incompatible avec le mandat parlementaire donne au député national, député provincial ou sénateur, dont le mandat était suspendu, le droit de reprendre ledit mandat, sans aucune condition, à charge pour lui (ou pour elle, ndlr) d’en informer le Bureau qui l’invitera sans délai, à prendre part aux travaux de la chambre parlementaire, conformément à la pratique administrative et aux usages de ladite chambre ». Par conséquent, n’ayant pas respecté cette procédure liée à la pratique administrative et aux usages parlementaires de leur Assemblée, les députés Mvibudulu Kulutisa Pauline et Kuebena Ntanda Serge étaient en tort de considérer qu’ils pouvaient débarquer à la salle des plénières le 4 décembre 2019 pour voter alors qu’ils venaient de déposer leur démission que la veille de la plénière et en totale méconnaissance du Bureau de l’Assemblée provinciale.  

 

Il faut reconnaitre cependant que monsieur Atou Matubuana et ses soutiens ont commis la faute de ne pas attaquer l’adoption de cette motion de défiance du 4 décembre 2019 devant les instances judiciaires. Ils ont cristallisé toute leur stratégie et leurs énergies sur ces arguments avancés par la députée Mvibudulu Kulutisa Pauline, allant jusqu’à refuser de respecter l’article 42 (al.3) de la loi organique du 31 juillet 2008 qui dispose : « Lorsqu'une motion de défiance contre le Gouverneur est adoptée, le Gouvernement provincial est réputé démissionnaire »

 

Donc, la faute du Gouverneur Atou Matubuana et ses soutiens était de penser qu’il pouvait continuer à diriger et à engager la province, malgré ce vote de défiance. 

 

Comme on peut s’y attendre, cette thèse des soutiens du Gouverneur n’est pas partagée par le Bureau de l’Assemblée provinciale qui estime que le gouvernement provincial devrait être réputé démissionnaire.

 

Ce statu quo a demeuré ainsi depuis l’adoption de cette motion de défiance contre le Gouverneur Atou Matubuana, le 4 décembre 2019, jusqu’au dernier arrêt de la Cour constitutionnelle sous R. Const 1171 du vendredi 29 mai 2020. 

 

La Cour avait été saisie, une fois de plus, par le Président du Bureau de l’Assemblée provinciale en interprétation de l’article 147 (al.2) de la Constitution, appliqué mutatis mutandis aux membres du gouvernement provincial, conformément à l’article 198 (a.9) de la Constitution. En effet, monsieur Pierre Anatole Matusila a, dans sa requête, demandé à la Cour d’interpréter les articles de la Constitution précités en rapport avec la portée juridique du vote de la motion de défiance intervenu en date du 4 décembre 2019, dans le cadre d’une plénière organisée dans un contexte des troubles et délocalisée après vote pour se tenir à l’hotel Bilolo Favor à Matadi.

 

En réponse, la Cour constitutionnelle a d’abord rappelé l’article 1er de la Constitution qui proclame l’Etat de droit au Congo, faisant jonction avec l’article 62 de la Constitution qui proclame que « Nul n’est censé ignorer la loi. Toute personne est tenue de respecter la Constitution et de se conformer aux lois de la République ». Ensuite la Cour a déclaré recevable la requête du Président du Bureau de l’Assemblée provinciale. La Cour a enfin estimé que : « l’adoption d’une motion de défiance contre un membre du gouvernement provincial oblige ce dernier à cesser immédiatement d’exercer ses fonctions et de remettre sa démission, pour le Gouverneur et le Vice-gouverneur, au Président de la République, et pour les ministres provinciaux, au gouverneur de province ».  

 

 

 

Conclusion

 

Durant cette analyse chronologique d’un côté, et non moins démonstratif de l’autre côté, nous nous sommes efforcés de brosser la situation de la crise du Kongo central dans sa vue politico-juridique la plus panoramique. L’intérêt de ce texte est double. Il est premièrement pédagogique car nous visons à sensibiliser l’opinion publique ainsi que les autorités politiques sur la situation qui prévaut réellement dans la province du Kongo central. Il est aussi politique dans le sens que nous comptons, par ces lignes, mettre la pression sur l’actuel Gouverneur Atou Matubuana de qui nous exigeons le respect de la Constitution, de la loi organique du 31 juillet 2008 et des arrêts de la Cour constitutionnelle.

 

Point n’est besoin de rappeler que l’article 168 de la Constitution proclame que : « Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers… »

 

Pourtant, malgré qu’il a déjà été notifié, depuis le 6 juin 2020, du dernier arrêt de la Cour constitutionnelle sous R. Const 1171, le Gouverneur Matubuana fait preuve d’un comportement rebelle et récalcitrant, allant jusqu’à faire signer aux services du gouvernorat un Communiqué invitant tous les Né-Kongo à un dialogue pour la paix et la réconciliation sur recommandation du Président de la République, monsieur Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. Cette attitude de l’autorité provinciale est irresponsable dans la mesure où, pour une bonne application de l’Etat de droit, les responsables sont ceux qui doivent donner en premier l’exemple du respect des textes et des décisions de justice. Les escaliers commencent toujours par se balayer d’en haut, dit-on.

 

Par Aimé Gata-Kambudi

Juriste spécialisé en Droit Public Approfondi

 


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