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Quels défis après la mort d’Idriss Déby Itno ?

Le Professeur Zacharia Ousmane Ramadan, président du centre Tchadien d'études stratégiques et analyses prospectives décrypte le bilan des trente ans de pouvoir du président tchadien Idriss Déby Itno, les conséquences de sa mort sur la stabilité du Tchad et son engagement dans la lutte contre le jihadisme au Sahel.

Quel bilan Idriss Déby Itno, dont la mort a été annoncée mardi 20 avril. Laisse-t-il après 30 ans de règne sur le Tchad?

Le président Idriss Déby Itno laisse un bilan à la fois exceptionnel et controversé. Quand il était arrivé au pouvoir, le pays et la sous région étaient le théâtre de graves crises politiques qui paraissaient insolubles. Le Tchad était le théâtre d’une multitude de rébellions et beaucoup de pays voisins connaissaient de graves tensions. Idriss Déby est parvenu à la fois à stabiliser le Tchad.

On peut distinguer plusieurs périodes dans le long règne de Déby. De sa prise du pouvoir en 1990, jusqu'au début des années 2000, il s'était attelé à juguler les différentes rebellions et à stabiliser le pays. C’est dans ce contexte qu’il avait permis l'organisation d’une conférence nationale souveraine. Il avait jeté les bases d’un processus démocratique qui a permis l'organisation régulière d’élections. Transparentes ou pas, ces élections ont largement contribué à stabiliser le pays.

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De 2000 à 2010

Période qui a coïncidé avec les premiers revenus de l’exploitation du pétrole, Déby a eu les moyens financiers pour se lancer dans un important programme d'infrastructures. Il a largement transformé le pays. Il en a tiré un bénéfice certain en termes d’image au sein de l’opinion.

Plus tard, l'émergence de nouveaux foyers de tensions à partir de 2010. C'est en Centrafrique, au Nigeria avec Boko Haram, en Libye après la chute du colonel Mouammar Kadhafi. Puis au Sahel avec l’apparition de groupes jihadistes au Mali et dans la région. C'est cela qui a poussé Déby à s’engager sur plusieurs fronts militaires.

Cet engagement lui a valu d’être considéré comme le meilleur allié de la France et des puissances occidentales dans la lutte contre le jihadisme au Sahel. Ce qui l’a progressivement détourné des réalités du pays. D’où les tensions qui ont émaillé le Tchad juste avant l’élection présidentielle du 11 avril dernier. Des élections dont il a été déclaré vainqueur quelques heures seulement avant l’annonce de sa mort.

La stabilité du pays

Quelles pourraient être les conséquences de la mort d’Idriss Déby Itno sur la stabilité du Tchad?

Les premiers pas de la junte qui a pris le pouvoir immédiatement après l’annonce de la mort d’Idriss Déby influenceront sans doute l’avenir immédiat du Tchad. Elle est confrontée à des défis variés et complexes. Mais l’un d'entre eux devrait compter plus que les autres. Il est d’ailleurs le premier auquel la nouvelle équipe au pouvoir sera confrontée.

C’est la cohésion et l’unité au sommet de l’Etat. Les successeurs de Déby devront rester soudés afin de conduire le pays vers une transition pacifique. Ils doivent veiller à échapper aux luttes intestines qui sont souvent, dans ce genre de situation, fatales pour les hommes au pouvoir et le pays aussi.

Le défi

Le défi est d’autant plus énorme que le système d'Idriss Déby Itno avait réussi à gérer le pays durant trois décennies avait été conçu et organisé entièrement autour de sa propre personne. Ce n'est pas une situation propre au Tchad.

Beaucoup de pays africains connaissent ou ont connu ce genre de situation. Cela explique d’ailleurs ce perpétuel casse-tête qu’est la construction toujours inachevée des Etats et des nations sur le continent. Le Tchad n’échappe pas à cette réalité, malgré le leadership exceptionnel d'Idriss Déby itno, reconnu d’ailleurs dans toute l’Afrique.

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Il faut donc espérer que le nouveau pouvoir se montre ouvert envers le reste de la classe politique et la société civile. Il devra éviter coûte que coûte les tiraillements fratricides et la tentation d'une gestion solitaire des affaires de l’Etat. L’exercice ne doit pas être facile. Le Tchad, en soixante ans d'indépendance n’a connu qu’une petite période allant de sept à douze ans maximum sans grande catastrophe, comme la guerre, la sécheresse, l'invasion de criquets pèlerins qui ravagent les récoltes, etc.

Lutte contre le jihadisme

La nouvelle équipe au pouvoir pourra-t-elle maintenir les engagements du Tchad dans la lutte contre le jihadisme au Sahel ?

Il y a peu de chance de voir le Tchad se retirer de ses engagements dans la lutte contre le jihadisme. La nouvelle équipe au pouvoir étant composée des principaux collaborateurs militaires du président défunt. Elle maintiendra sans doute les engagements pris par Idriss Déby.

Les soldats engagés aux côtés de l’armée française au Mali y resteront. Ceux qui se trouvent engagés aux côtés des armées voisines contre les islamistes de Boko Haram y resteront. En fonction de l’évolution de la situation sécuritaire dans le pays, une partie de ces soldats pourrait cependant être rapatriée.

Avec APA



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