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Fin de la force Barkhane : l’Afrique face à ses responsabilités

Avec l’annonce du président Emmanuel Macron sur la fin de l’opération Barkhane, le Mali et les pays de la région du Sahel devront maintenant prouver de quoi ils sont capables. À court et à moyen terme, on peut craindre une déstabilisation accélérée du pays, avec des conséquences insoupçonnées dans toute la région qui, faut-il le dire, est déjà assez fragile.La tournure que viennent de prendre les évènements confirme ce que j’ai toujours dit sur le rôle de la France en Afrique : l’Hexagone n’a plus les moyens de sa politique sur le continent africain. Bien entendu, les tenants du discours sur la « Françafrique » n’apprécieront pas mes propos, mais c’est un fait.

La géopolitique et la géostratégie ne s’accommodent pas les approximations et les connaissances construites à l’ombre de Wikipédia et d’un double clic sur Google. Et la réalité des réseaux sociaux n’est pas celle du terrain sahélien où l’on assiste à un enchevêtrement d’intérêts et d’objectifs de toutes sortes.Dans cette configuration compliquée, la France s’est retrouvée toute seule à porter le fardeau non sans arrière-pensée, faut-il le souligner. Les forces étrangères présentes au Mali (MINUSMA, G5 Sahel, EUTM) sont là sans être là. En fait, elles sont totalement inefficaces. De leur côté, les puissances régionales d'autrefois (Nigeria, Algérie, Libye) connaissent des crises politiques qui les empêchent d'agir. Seule la force Barkhane se débat comme elle peut sans vraiment modifier le cours des évènements.

Mais pourquoi la France s’implique-t-elle autant ? Quels sont ses intérêts au Mali ?

Au risque de choquer les tenants d’un discours fantasmatique sur la Françafrique, l’Hexagone n’a pas de grands intérêts au Mali. Mais dans la région du Sahel, oui. En outre, on intervient militairement pour éviter une situation susceptible d’emporter aussi bien le Mali que le reste de la région, avec des conséquences incalculables pour les intérêts hexagonaux. C’est de bonne guerre. Faut-il le dire également : des années de politique étrangère incohérente et illisible des autorités françaises ont fini par avoir raison de la France dans son pré-carré africain disputé par des puissances telles que la Chine, la Russie, le Qatar (très discret au Sahel) voire même les États-Unis, champions devant l’Éternel du «leading from behind» (diriger de l’arrière). Est-ce la raison pour laquelle les Américains, qui sont présents au Sahel, ont adopté une position ambivalente, soutenant la force Barkhane tout en refusant de donner des moyens conséquents aux autres forces étrangères présentes dans la région et capables de faire la différence ?Toujours est-il chaque force étrangère essaie de tirer son épingle du jeu du mieux qu’il peut et selon ses objectifs.

La France va s’en aller

Il appartiendra aux pays africains de prouver à la face du monde qu’ils sont capables de prendre leur destin en main. Il est grand temps de se comporter en responsable. L’Afrique francophone subsaharienne doit cesser avec cette politique de bouc-émissairisation et de déresponsabilisation.

Je suis contre les interventions étrangères en Afrique. Toutefois, je reste lucide face à certaines réalités africaines, surtout en Afrique subsaharienne francophone. Quand on a des armées et des services de sécurité qui servent non pas les États mais les régimes en place, peut-on être surpris par la tournure que prennent certaines situations dans certains pays africains ? Comment anticiper les menaces extérieures quand les services de sécurité passent leur temps à surveiller les opposants ? La crise au Sahel a étalé au grand jour l’incapacité des pays africains à régler leurs propres problèmes.

Et quand la France, qui est co-responsable de ce désastre pour avoir déstabilisé la Libye, débarque, on s’agite et on polémique. Aucune réflexion critique et stratégique sur les enjeux et les pistes de solution afin de sortir de cet enfer qui emporte les enfants du Mali, du Burkina Faso, du Niger et j’en passe.

Incapables de rencontrer les besoins les plus élémentaires de leurs populations, certains chefs d’État se sont mis à instrumentaliser le sentiment anti-français pour s’épargner la colère populaire.Je comprends la position de la France. Quand on se fait insulter à longueur de journée par des Africains incapables d’organiser leur propre défense, ce n’est toujours pas plaisant. Bon, qu’on se le dise : Emmanuel Macron n’a pas mis fin à Barkhane à cause des gesticulations africaines. NON.

La France n’en pouvait tout simplement plus de porter le fardeau toute seule; et à cela s’ajoute l’opinion publique intérieure française devenue très hostile à cette mission. Il avait besoin d’un prétexte et les derniers évènements survenus au Mali le lui ont donné.La suite ? Seul Allah sait. Une chose est certaine en tout cas : personne — et aucune force étrangère — ne viendra mourir pour les beaux yeux des Maliens et des Africains.

Certains, en quête permanente de maître, comptent sur la Russie. Encore faut-il connaître et comprendre la doctrine russe et surtout rappeler à ces Africains, « chercheurs » d’autorités tutélaires, pour ne pas dire de maîtres, que les Russes ne débarquent pas en Afrique par amour pour les Africains. Un père et chef de famille incapable de rencontrer les besoins de base de sa femme et de ses enfants ne doit pas reprocher au voisin de « prendre soin » de celle-ci moyennant certains « services ». Trêve de gesticulation et de faux-fuyants, l’heure d’une introspection africaine en profondeur est arrivée...

Patrick Mbeko
Géopoliticien, spécialiste de l’Afrique centrale
Auteur de plusieurs ouvrages sur les conflits armés en Afrique



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