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Gestion du covid-19 et libertés publiques en RDC

Par Aimé Gata-Kambudi

La maladie à coronavirus, Covid-19, a fait son apparition en décembre 2019 en Chine, avant de secouer quasiment toutes les nations du monde, entrainant à ce jour plus de 5 millions de décès. Pour contenir la menace dû à cette maladie qui est caractérisée par une très forte contagiosité, des nombreux pays ont pris certaines mesures et dispositions radicales pour ralentir ou stopper la propagation de la pandémie et protéger la santé des populations. Quant à eux, les dirigeants de la RDC ont aussi réagi rapidement et vigoureusement, allant jusqu’à déclarer même l'état d'urgence sanitaire. 

Prenant la parole le 24 mars 2020 pour l’annoncer à la nation, le président Félix Tshisekedi avait pris une Ordonnance qui a proclamé l’état d’urgence sanitaire et a adopté une série « des mesures nationales pour agir au quotidien, notamment par la restriction de certaines libertés, dont la liberté d’aller et venir, de réunion et d’entreprendre », afin de lutter contre « la propagation actuelle, inédite, imprévisible et rapide du Coronavirus (…) , laquelle propagation a provoqué l’interruption du fonctionnement régulier des institutions de la République et est susceptible de causer une catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ».

Il y a lieu de reconnaitre qu’on se retrouvait devant un cas inédit. Depuis l’adoption et la promulgation de la Constitution du 18 février 2006, telle que modifiée à ce jour par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011, c’était la première fois que l’on proclamait un état d’urgence au Congo, de surcroit sanitaire.  

De toute évidence, la méconnaissance de ce nouveau virus, sa contagiosité ainsi que le taux de létalité qu’on lui créditait à son apparition ont suscité une vague de panique qui a été à la base de l’adoption et de l’acceptabilité sociale de ces toutes mesures restrictives des libertés.

Cependant, il faut quand même reconnaitre qu’en RDC et dans la plupart de pays, ces mesures attentatoires aux libertés publiques ont été prises au pas de course et sans mesurer les conséquences sur les règles de la démocratie et de l’état de droit. Ainsi, deux ans après les premiers cas testés positifs en RDC, avec un peu de recul, nous nous proposons d’étudier l’état d’urgence sanitaire tel proclamé par le président Félix Tshisekedi, en abordant en premier lieu les conditions posées par la Constitution et les lois congolaises pour y recourir. Avaient-elles été respectées ? En deuxième lieu, nous analyserons la régularité de la mise en œuvre concrète de cet état urgence sanitaire. Et, en troisième lieu nous étudierons ces mesures des couvre-feux ainsi que les fermetures administratives contre certains établissements qui ont été prises pour faire face aux vagues suivantes du coronavirus. L’état d’urgence ayant été levé, ces couvre-feux instaurés dans plusieurs villes, restrictives des libertés fondamentales reposent sur quelle base juridique ? Telle est notre préoccupation;

I – Les conditions pour recourir à l’Etat d’urgence sanitaire en RDC

Jusqu’à la survenance de cette crise, la notion d’état d’urgence sanitaire était inexistante dans l’arsenal juridique congolais. Ceci dit, l’article 47 de la Constitution du 18 février 2006 fait du droit à la santé de chaque congolais un objectif à valeur constitutionnelle. De plus, cette disposition prévoit que soit adoptée une loi pour fixer les principes fondamentaux et les règles d’organisation de la santé publique. Normalement, c’est dans le cadre cette loi qu’on devrait fixer entre autres un régime clair et précis relatif à la gestion des maladies épidémiques et pandémiques, quitte à prévoir les conditions de la mise en œuvre d’un état d’urgence sanitaire pour faire face à ces types des pathologies.

Malheureusement, quand on analyse la Loi n°18/035 du 13 décembre 2018 fixant les principes fondamentaux relatifs à l'organisation de la Santé publique, on se trouve face à un texte très pauvre au sujet des maladies épidémiques et pandémiques. En lieu et place de définir concrètement des mesures à adopter en cas de ces types de maladies, les articles 105 et 106 de cette loi ne se limitent qu’à lister les arrêtés qui doivent être pris par le ministre ayant la santé publique dans ses attributions pour créer des organes et fixer des mesures de protection de la population en cas d’épidémie. D’après les recherches que nous avons menées, ces arrêtés prévus dans les articles 105 et 106 n’ont jamais été pris. Nous allons continuer des recherches pour en savoir d’avantages.

De ce fait, face à cette carence et vu l’urgence qu’imposait ce nouveau coronavirus de caractère pathogène et particulièrement contagieux, on peut comprendre que le Président Félix Tshisekedi ait recouru aux articles 85, 144 et 145 de la Constitution pour proclamer un état d’urgence sanitaire afin de protéger la population. Pourtant, si on analyse bien ces dispositions précitées, on se rend bien compte qu’elles consacrent plutôt l’état d’urgence du type sécuritaire. 

En effet, il y a une nette différence à faire entre l’état d’urgence sécuritaire et l’état d’urgence sanitaire. Succinctement, le premier est décrété, selon l’article 85 de la Constitution, « lorsque des circonstances graves menacent, d’une manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ou qu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions ». On voit bien que les termes utilisés ici sont sécuritaires et revoient à la volonté de maintenir l’ordre public en cas de menaces graves. Et, c’est non sans raison que ce même article 85 parle simultanément de l’état de siège qui, lui, a une dimension clairement militaire parce qu’il implique notamment un transfert des compétences des autorités civiles aux autorités militaires pour maintenir l’ordre public dans une situation de péril grave pour la sécurité de la nation. Tandis que, pour sa part, l’état d’urgence sanitaire est un dispositif juridique inédit créé par le gouvernement français. Bien qu’inspiré de l’état d’urgence sécuritaire issu de la loi française n° 55-385 du 3 avril 1955, l’état d’urgence sanitaire s’en distingue par ses motifs, dès lors qu’il est décrété « en cas de catastrophe sanitaire, notamment d’épidémie mettant en péril par sa nature et par sa gravité, la santé de la population ». Il s’en distingue également par son régime qui est contenu dans le code de la santé publique ainsi que par les mesures prises qui semblent bien plus restrictives pour les libertés publiques.

Fort de tous ces éléments du droit comparé, on comprend très bien que l’Ordonnance de Félix Tshisekedi du 24 mars 2020 s’est fondée sur des dispositions constitutionnelles consacrant l’état d’urgence sécuritaire pour proclamer des mesures du type sanitaire. Et pour tenter de justifier sa démarche et appliquer mordicus le régime de l’article 85 de la Constitution, cette Ordonnance a fait un raccordement frauduleux en estimant que la propagation du coronavirus était de nature à provoquer l’interruption du fonctionnement régulier des institutions de la République. 

Ce postulat est réfuté par la réalité car, bien qu’étant susceptible de causer une catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population, le covid-19 n’avait pas vraiment paralysé le fonctionnement des institutions républicaines. Simplement, les modes de travail avaient changé, avec notamment le renforcement des gestes barrières, l’introduction du télétravail et des réunions du conseil des ministres à distance. En plus, après quelques atermoiements politiques, bien qu’en nombre limité, les deux chambres du parlement avaient aussi fonctionné quasi normalement après que l’Ordonnance n°20/014 ait été modifiée par celle n°20/026 du 19 avril 2020. Les cours et tribunaux quant à eux n’avaient pas aussi arrêté leurs activités. On se rappellera même des audiences publiques qui étaient retransmises en direct comme pour le procès dit de 100 jours qui s’est déroulé pendant la période du pic épidémique. On imposait tout simplement à tous ceux qui y participaient d’observer des mesures barrières. 

En somme, il n’y a donc rien dans la propagation du coronavirus en RDC qui avait provoqué l’interruption du fonctionnement régulier des institutions républicaines. Et, s’il faut vraiment faire une interprétation stricte des articles 85, 144 et 145 de la Constitution, on conclura que l’état d’urgence sanitaire a été proclamé à tort sur ces bases. Le Gouvernement aurait dû plutôt travailler pour faire adopter la loi sur les modalités d’application de l’état d’urgence. Celle-ci aurait peut-être eu le mérite de bien définir et délimiter ces deux notions afin de se débarrasser de ce flou juridique, ne serait-ce que pour d’autres situations futures.

Mais, reconnaissons quand même que le Président Tshisekedi n’avait pas d’autres choix que d’agir et de prendre des décisions. Cette démonstration juridique que nous venons de faire n’aurait eu aucun intérêt vu le contexte sanitaire dans lequel le monde se trouvait. Il était principalement question de protéger les populations face à un virus nouveau dont on ignorait encore les conséquences et surtout que le nombre de mort et les nouvelles venant de la Chine et des pays occidentaux – où les conditions et les installations de santé semblent plutôt adéquates – n’étaient pas rassurant et étaient de nature à créer une psychose légitime dans les pays africains qui sont moins bien lotis sanitairement. Cependant, il ne faut pas perdre de vue l’équilibre légitime entre le besoin de protéger les populations et la préservation de l’état de droit et de la démocratie, ce qui requiert qu’on s’interroge sur la régularité des mesures exceptionnelles qui ont été prises dans le cadre de cet état d’urgence sanitaire.

II – La régularité des mesures prises dans le cadre l’état d’urgence sanitaire en RDC 

Comme nous l’avons rappelé plus haut, à défaut d’un régime juridique clair et précis dans la loi n°18/035 sur la santé publique au sujet des maladies épidémiques et pandémiques, le Président Félix Tshisekedi a recouru à la Constitution pour mettre en place l’état d’urgence sanitaire en RDC.

Selon le dispositif appliqué (article 85), lorsque les conditions sont réunies (circonstances graves qui menacent, d’une manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ou qu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions), l’état d’urgence est d’abord proclamé par le Président de la République après concertation avec le Premier ministre et les Présidents des deux Chambres, conformément aux articles 144 et 145 de la (…) Constitution. Le président est également tenu d’en informer la nation par un message.

Ensuite, l’état d’urgence ayant été proclamé, « le Président de la République prend, par ordonnances délibérées en Conseil des ministres, les mesures nécessaires pour faire face à la situation.                         Ces ordonnances sont, dès leur signature, soumises à la Cour constitutionnelle qui, toutes affaires cessantes, déclare si elles dérogent ou non à la (…) Constitution » (article 145).

Enfin, l’article 144 pose le principe de l’intervention immédiate des chambres parlementaires. En effet, dès lors que l’état d’urgence est proclamé par le Président de la République, « l’Assemblée nationale et le Sénat se réunissent alors de plein droit. S’ils ne sont pas en session, une session extraordinaire est convoquée à cet effet conformément à l’article 116 de la (…) Constitution ».

L’article 144 pose également le principe de la prorogation de l’état d’urgence. Il y est dit que « L’ordonnance proclamant l’état d’urgence ou l’état de siège cesse de plein droit de produire ses effets après l’expiration du délai de [trente jours], à moins que l’Assemblée nationale et le Sénat, saisis par le Président de la République sur décision du Conseil des ministres, n’en aient autorisé la prorogation pour des périodes successives de quinze jours ». En outre, « L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent, par une loi, mettre fin à tout moment à l’état d’urgence ». 

Sans vouloir ressusciter ce débat qui a opposé le Président de la République aux Présidents des deux Chambres du Parlement au sujet du régime à appliquer pour la proclamation de l’état d’urgence (concertation institutionnelle ou autorisation du Congrès), nous pensons qu’il serait plus profitable pour cette analyse de ne se concentrer que sur les mesures qui ont été édictées par l’Ordonnance n°20/014 du 24 mars 2020. Celle-ci a pris une série des mesures sécuritaires (article 2) ainsi que des mesures restrictives de la liberté (article 3) très drastiques impactant sur la liberté d’aller et venir, de réunion et d’entreprendre. Et, comme le veut l’article 145 de la Constitution, cette Ordonnance avait été soumise à la Cour constitutionnelle qui, saisie par la requête du Président de la République du 9 avril 2020, a rendu son arrêt R.Const 1.200 déclarant conforme à la Constitution l’Ordonnance n°20/014 du 24 mars 2020 portant proclamation de l’état d’urgence sanitaire. 

Malgré la fermeté des mesures d’urgence édictée par ce texte, nous pensons qu’elles restent quand même proportionnées aux risques encourus dans le contexte de la propagation et des informations sur la létalité qui étaient créditées au covid au début de cette épidémie. Et surtout que les mesures prises n’ont pas déroger à l’article 61 de la Constitution qui dit que l’état d’urgence proclamé ne peut pas contrevenir aux droits et principes fondamentaux tels que le droit à la vie ; l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; l’interdiction de l’esclavage et de la servitude ; le principe de la légalité des infractions et des peines ; le droit de la défense et le droit de recours ; l’interdiction de l’emprisonnement pour dettes ; la liberté de penser, de conscience et de religion. 

Qu’à cela ne tienne, cet arrêt est critiquable sur beaucoup de points et nous y reviendrons dans une autre publication. Pour cette présente analyse, le seul point critiquable qui a retenu notre attention dans l’Ordonnance n°20/014, c’est la négation de la démocratie et de l’état de droit en ce qu’on a empêché au Parlement de se réunir. Les pouvoirs législatifs, contrôles de l’exécutif, n’ont pu s’exercer dans des conditions normales. En un mot, la démocratie parlementaire s’est trouvée suspendue pendant toute la première période épidémique parce qu’il était interdit tous rassemblements, réunions et célébrations de plus de vingt (20) personnes sur les voies et les lieux publics en dehors du domicile familiale.                  Ceci est une violation flagrante et manifeste de la Constitution que l’arrêt R.Const 1.200 n’a malheureusement pas mentionné ; alors que l’article 144  de la Constitution est clair à ce sujet quand il dit : « …l’Assemblée nationale et le Sénat se réunissent (…) de plein droit» en cas de proclamation d’état d’urgence.

Au mépris donc du principe de la séparation des pouvoirs, l’exécutif a ainsi bâillonné le législatif jusqu’à la prise de l’Ordonnance n°20/026 du 19 avril 2020 qui a modifié et complété l’Ordonnance n°20/014 du 24 mars 2020. Cette nouvelle Ordonnance a introduit une dérogation pour l’Assemblée nationale et le Sénat qui pouvaient désormais « se réunir à plus de 20 personnes dans les conditions de quorum prévu par la Constitution et leurs règlements intérieurs respectifs pour statuer uniquement sur la demande d’autorisation de prorogation de l’état d’urgence proclamé par Ordonnance n° 20/014 du 24 mars 2020 ».

Si on comprend bien, cette nouvelle Ordonnance n°20/026 du 19 avril 2020 avait tout simplement confirmé l’infantilisation, par le Président de la République, du pouvoir législatif à qui on a donné une simple autorisation de proroger l’état d’urgence et l’impression d’un semblant processus parlementaire. 

Mais, d’un autre côté, nous pensons que les Présidents de deux Chambres du Parlement ont été eux-mêmes les premiers à ouvrir la porte à la violation du droit parlementaire car, à l’entame de la session parlementaire le 16 mars 2020, les deux chambres avaient suspendu, motu proprio, leurs plénières en raison de l’épidémie du Covid-19 du 18 mars au 05 avril 2020. Félix Tshisekedi a tout simplement profité de cette brèche pour annihiler le contrôle parlementaire durant cette période de l’état d’urgence. C’est ainsi que le Parlement congolais est devenu, par la force des choses, qu’une simple machine de prorogation de l’état d’urgence jusqu’à la déclaration de Félix Tshisekedi de la levée de l'état d'urgence sanitaire du 21 juillet 2020.

III – Des mesures de couvre-feux pour lutter contre les vagues suivantes du covid en RDC : vers un risque d’atteinte durable aux droits et libertés ?

La levée de l’état d’urgence sanitaire par simple déclaration du 21 juillet 2020 du Président de la République a favorisé une nouvelle tendance à la hausse de l’incidence nationale de contamination selon les experts médicaux du Comité Technique de Riposte contre le Covid-19. 

Ainsi, après concertation entre ce Comité et les services de la présidence, par simple communiqué du Porte-parole du Gouvernement, monsieur David-Jolino Diwampovesa-Makelele, un couvre-feu de 21heures à 5heures a été instauré sur toute l'étendue de la RDC. Le ministre congolais de la communication a annoncé cette mesure parmi tant d'autres, dont notamment : l’application stricte des gestes barrières (par le port correct et obligatoire des masques dans tous les lieux publics et dans les transports publics et privés, notamment dans les véhicules, les trains, les avions et les motos) ; l’interdiction des marches publiques, des productions artistiques et des kermesses, ainsi que des cérémonies festives et des réunions de plus de dix personnes ; la poursuite des compétitions sportives à huis-clos ; le transport des dépouilles mortelles  directement au lieu d'inhumation, sans aucune autre cérémonie ; le fonctionnement des églises et des débits de boissons avant le couvre-feu avec strict respect des gestes barrières ; le cours au niveau de l'Enseignement supérieur et universitaire suspendus jusqu’à une date ultérieure ; le test Covid-19 obligatoire pour toutes personnes voyageant en interne et à l'international (à l'entrée comme à la sortie) ; et les vacances scolaires anticipées  à partir du vendredi 18 décembre 2020.

Quelle que soit la gravité de la crise sanitaire et cette deuxième vague de l’épidémie qu’on ne pouvait nier, il n’en demeure pas moins que ces mesures du Gouvernement congolais n’ont aucun fondement légal et constitutionnel. 

Mis à part dans le cadre d’un régime d’exception garanti par la Constitution (dont l’état d’urgence ou l’état de siège), le Gouvernement n’a pas le droit de limiter, comme bon lui semble, les droits et libertés fondamentaux des congolais. Ce communiqué du Porte-parole du Gouvernement du 16 décembre 2020 ainsi que les arrêtés des Gouverneurs des provinces qui s’en sont suivis pour l’appliquer sont ni plus ni moins qu’une banalisation des atteintes aux libertés publiques et à l’État de droit. Et surtout que ces nouvelles mesures décidées arbitrairement par le Gouvernement n’ont fait l’objet d’aucun contrôle constitutionnel. La garantie de la proclamation de l’état d’urgence est que les décisions (ordonnances) prises pour y faire face sont soumises à la Cour constitutionnelle qui, toutes affaires cessantes, déclare si elles dérogent ou non à la Constitution. C’est une forme de soupape juridique de sécurité et un contre-poids démocratique en faveur des libertés publiques que malheureusement le Gouvernement congolais a foulé au pied en prenant des mesures dérogatoires du droit commun sans proclamer l’état d’urgence ou faire voter une loi sur les modalités de son application pour ainsi s’y fonder le cas échéant. 

Compte-tenu des risques que présente une telle banalisation d’atteinte aux libertés publiques, si les populations congolaises étaient bien renseignées, elles auraient dû se mobiliser pour inonder les juridictions administratives des requêtes contre ces arrêtés des Gouverneurs et ces mesures de police restrictives de libertés qui violent clairement la Constitution. Dans la hiérarchie des normes dans un Etat, la Constitution se place au sommet de la pyramide et toutes les autres lois et actes règlementaires doivent s’y conformer. Pourtant les arrêtés des Gouverneurs des provinces instaurant les couvre-feux violent la Constitution du 18 février 2006, dument votée par référendum par le peuple congolais.  Malheureusement le contentieux administratif n’est pas encore très développé et ne fait pas encore véritablement partie de la culture congolaise où les justiciables imaginent mal d’aller en procès en responsabilité des services étatiques. Cela doit être le travail des avocats, des associations et d’autres défenseurs de droits de l’homme qui peuvent se donner pour mission de sensibiliser les justiciables quant à ce. C’est le cas par exemple en France de Maitres David Guyon, Fabrice Divisio, Clarisse Sand … et plusieurs autres associations qui font des points d’étapes réguliers afin renseigner les populations et se sont illustrés dans les dépôts de plusieurs requêtes contre les différentes décisions attentatoires aux libertés fondamentales.

Au Congo, comme on peut le constater, ces violations à la Constitution vont continuer. Depuis la levée de l’état d’urgence sanitaire, le Gouvernement congolais a pris l’habitude de restreindre les libertés fondamentales des congolais sans un encadrement juridique strict. Tantôt c’est par des annonces télévisées du Président de la République (comme le 15 juin 2021 pour la troisième vague et le variant Delta) ; tantôt c’est par simple communiqué du Porte-parole du Gouvernement. 

Actuellement, le nouveau ministre de la communication et Porte-parole du Gouvernement vient encore d’annoncer l’actualisation des mesures de prévention et de lutte contre la pandémie à covid-19 en s’appuyant sur une réunion tenue par Félix Tshisekedi le 4 décembre 2021 avec le Comité Multisectoriel de Riposte élargi à sa Task Force. Ce communiqué de Patrick Muyaya a pris, une fois de plus, ce Comité Multisectoriel comme une instance décisionnaire au point de demander aux Gouverneurs de provinces, la police nationale, les services de sécurité ainsi que les services aux frontières de prendre des mesures d’application spécifiques pour la mise en œuvre des dispositions actuelles. Alors que, rappelons-le, ces mesures adoptées par ce Comité Multisectoriel de Riposte élargi au Task Force du Président de la République ne se fondent sur aucune disposition légale ou constitutionnelle.

Conclusion

Au début de cette crise tout a été fait et décidé dans l’urgence. C’est une évidence et une réalité que nul, au sein du Gouvernement congolais, n’a songé à le dissimuler. La vitesse de la contagiosité et le taux de létalité crédités à ce virus avaient plaidé en faveur d’une banalisation des atteintes aux libertés publiques. Maintenant que plusieurs scientifiques s’accordent à soutenir que le taux de létalité du covid-19 est évalué entre 2 % et 3 % à travers le monde, nous pensons qu’il est temps que les dirigeants du monde entier en général et congolais en particulier apprécient, à juste titre, l’opportunité et la proportionnalité de ces mesures restrictives face aux valeurs et principes de l’Etat de droit, notamment la protection des droits de l’homme. C’est-à-dire qu’ils ne doivent plus sacrifier les droits et libertés fondamentaux des populations sur l’autel des objectifs de santé publique, et ce, à cause d’un virus dont le taux de létalité ne dépasse même pas 5%. On comprend pourquoi les raisons données pour justifier les nouvelles mesures de plusieurs Gouvernements à travers le monde se fondent actuellement sur la transmissibilité du virus en lieu et place de sa dangerosité. Ainsi, nous considérons que les efforts sont plutôt à faire au niveau de la vaccination (surtout pour les populations africaines à travers COVAX) afin de protéger surtout les populations plus vulnérables et en proie à des comorbidités, pouvant développer des formes graves de la maladie à coronavirus.

Enfin, pour la RDC, nous recommandons :

1. La levée des mesures de couvre-feux à travers le pays parce qu’elles ne se fondent sur aucune disposition légale et constitutionnelle. La parole du Président de la République ou le communiqué du Gouvernement ne peut pas valoir loi dans un état des droits ;

2. L’adoption de la loi sur les modalités d’application de l’état d’urgence qui peut distinguer l’état d’urgence sécuritaire de l’état d’urgence sanitaire tout en précisant leurs régimes respectifs pour éviter toute confusion à l’avenir ;

3. La suppression des institutions spécialisées de riposte contre le covid-19 comme la Cellule de riposte contre le Covid 19 en RDC; la Task force présidentielle; le Secrétariat technique; le Fonds national de solidarité contre le Coronavirus et le Comité multisectoriel de riposte (CMR-COVID-19). La quasi-totalité de toutes ces institutions sont rattachées directement à la Présidence de la République et rendent compte directement au Président de la République. Ceci relève d’une centralisation de la gestion qui ne laisse pas place à la démocratie et au contrôle parlementaire. Et surtout les animateurs de la plupart de ces organes conjoncturels veillent moins aux questions de l’Etat de droit. Il faut plutôt créer (au cas où ce n’est pas encore fait) ou renforcer le Conseil national de gestion des épidémies, des urgences et des catastrophes prévues dans l’article 106 de la Loi n° 18/035 du 13 décembre 2018 fixant les principes fondamentaux relatifs à l'organisation de la Santé publique. C’est seulement à travers ces genres des structures pérennes qu’on peut travailler sur les moyens, les stratégies, les politiques et les anticipations à avoir face aux virus comme le corona qui seront parmi les objectifs sanitaires et sécuritaires de ce 21ème siècle. 



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