Un milliard de regards


PolitiqueUSA

Quand Joe Biden rappelle aux Européens que les États n’ont pas d’amis : une leçon pour l’Afrique

Les Africains devraient suivre avec attention la tournée du président américain Joe Biden en Europe et tirer les leçons qui s’imposent. En arrivant à la Maison-Blanche, celui-ci avait promis de rompre avec la politique de son prédécesseur. En Europe, nombreux sont les dirigeants qui avaient salué l’arrivée au pouvoir de Biden, estimant qu’elle allait sonner le glas des relations tumultueuses avec l’ère Trump et marquer un nouveau départ avec l’Union européenne. Après le sommet de l’OTAN qui s’est tenu hier à Bruxelles, les Européens ont été refroidis.

En fait, les choses n’ont pas vraiment changé. « America is back » de Joe Biden est la continuité de « America first » de Donald Trump, selon que l’on se place sur le front intérieur ou extérieur. En effet, si le détricotage de l’héritage Trump sur le front intérieur est un fait indéniable, il n’en demeure pas moins vrai qu’en matière de politique étrangère, rien n’a changé dans les faits. L’actuel locataire de la Maison-Blanche poursuit la même politique étrangère que son prédécesseur. La rhétorique a certes changé et on parle de multilatéralisme (auquel Trump avait tourné le dos), mais sans plus.

Les cibles sont toujours les mêmes : la Russie et la Chine. La première en raison de sa puissance militaire retrouvée et de son influence de plus en plus grandissante dans certains coins du globe. La seconde reste l’adversaire principale de l’Amérique en raison de sa puissance économique, technologique et diplomatique. La stratégie de rééquilibrage inaugurée par Barack Obama, qui vise à renforcer l’engagement des États-Unis dans la région Asie-Pacifique dans les domaines économique (on peut penser au partenariat transpacifique), diplomatique et militaire/sécuritaire, se poursuit.

Quand on analyse le communiqué final des pays de l’OTAN, on comprend que pour les États-Unis, l’Union européenne devrait jouer le rôle de supplétif dans la « guerre » qui oppose les deux grandes puissances. Les dirigeants européens ont beau afficher leur plus beau sourire au sortir de la réunion, il n’en reste pas moins vrai que la plupart d’entre eux se rendent compte que l’Union européenne ne peut compter que sur elle-même.

Les Africains, qui se cherchent en permanence des «partenaires» — pour ne pas dire une puissance tutélaire (hier c’était la Chine, et aujourd’hui on parle de la Russie) — devraient tirer les leçons de tout ceci. « Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts » dixit Charles de Gaulle. En lieu et place de chercher constamment le soutien ou le parapluie protecteur d’une grande puissance quelconque, l’Afrique devrait plutôt s’adapter de manière productive aux réalités du siècle présent, dans lequel elle a un grand rôle à jouer. Son positionnement devrait s’articuler autour de trois fondements : 1) une compréhension des bouleversements géopolitiques en cours et de leur signification; 2) une nouvelle appréciation de l’ordre mondial multipolaire et la place du continent africain dans cet ordre; 3) une perspective stratégique plutôt que transactionnelle et mercantiliste.

En clair, l’Afrique doit développer une vision mondiale innovante et sophistiquée en phase avec les réalités du 21e siècle, de sorte à transformer ses relations avec le reste du monde (notamment avec les grandes et moyennes puissances) en une relation adaptative, modulaire et stratégique.

Patrick Mbeko
Géopoliticien, spécialiste de l’Afrique centrale
Auteur de plusieurs ouvrages sur les conflits armés en Afrique



Un milliard de regards