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Coup d’Etat : une certaine jeunesse africaine a décidé de se prendre en charge

Le putsch orchestré par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya et ses hommes du Groupement des forces spéciales (GPS), une unité d’élite de l’armée guinéenne, n’a rien de surprenant. Au regard des évènements dramatiques auxquels la Guinée a dû faire face ces derniers mois, on ne pouvait que s’attendre à un tel pronunciamiento.

Mais par-delà la situation socio-politique en Guinée, le putsch du lieutenant-colonel Mamady Doumbouya ne devrait pas être regardé comme un évènement politico-militaire ponctuel décorrélé du contexte de crise caractérisé par un sentiment de ras-le-bol généralisé de la jeunesse qui traverse le continent africain du Nord au Sud, d’Est à l’Ouest.

En effet, face à des dirigeants africains ivres de pouvoir et sourds aux revendications de leurs peuples, une certaine jeunesse africaine a décidé de se prendre en charge, quitte à utiliser tous les moyens qui s’offrent à elle pour arriver à ses fins. Quand on parle de « jeunesse », les dirigeants africains ont tendance à ne voir que tous ces jeunes gens qui manifestent dans les rues et affrontent les forces de l’ordre, ignorant que beaucoup sont aussi dans l’armée et ruminent à bas bruit une colère tout aussi profonde que celle de leurs frères dans la rue.

Le coup d’État du colonel Assimi Goita, 36 ans au moment du putsch, était un signal. Les dirigeants de la CEDEAO y ont vu un putschiste et non un « jeune » en colère, lassé de voir un vieux président se comporter comme un brigand à l’égard de sa propre population. Le putsch du colonel Mamady Doumbouya (qui semble être de la même génération que Goita) semble s’inscrire dans la même dynamique.

Détail particulièrement intéressant : les vieux hauts gradés de l’armée, proches des régimes en place, ont été mis hors-jeu aussi bien au Mali qu’en Guinée. Autre détail non sans intérêt : lors du coup d’État au Mali, un seul chef d’État de la CEDEAO semblait soutenir la bande à Goita : le président de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embaló, 48 ans, le plus jeune des chefs d’État de la région ouest-africaine, également opposé aux coups d’État par troisième mandat interposé, à la grande colère d’Alassane Ouattara et d’un certain... Alpha Condé . C’est dire...

En outre, les coups d’État malien et guinéen pourraient marquer un tournant dans la manière de régler certains problèmes politiques causés par des dirigeants avides de pouvoir. Est-ce peut-être le signe d’une nouvelle dynamique en Afrique subsaharienne; une dynamique dans laquelle de « jeunes » militaires vont de plus en plus s’imposer dans le jeu politique afin de donner une nouvelle impulsion à la marche des États ?

En tout cas, il y a des raisons de croire que les deux putschs pourraient faire tache d'huile dans cette Afrique subsaharienne minée par des dirigeants irresponsables et toujours portés à s’éterniser au pouvoir. Dépendamment des réalités locales, l’on assistera à des putschs assez soft dans le meilleur de cas, sinon ce sera bonjour les affrontements armés sanglants. L’Afrique centrale avec ses « démocrates despotiques » risque d’être confrontée au second scénario.

Patrick Mbeko, analyste politique



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