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Congo – Littérature : « Frikia, Pèlerin des âges », une jubilation littéraire et philosophique

Homme politique congolais – il est député de Poto-Poto dans le troisième arrondissement de Brazzaville –, Ferréol Gassackys est avant tout un homme de culture. Longtemps président du FESPAM (Festival Panafricain de Musique), il est aussi féru de lettres. Un an après Les hasards du destin (L’Harmattan), le voilà qui revient avec Frika, Pèlerin des âges, un roman – comme le précédent – sur la quête de soi et le temps.

Par Bedel Baouna

Il y a La machine à explorer le temps de George Welles ; Brick Bradford, le premier héros de bande dessinée de science-fiction à pouvoir voyager dans le temps. Il y a Le monde de Sophie de Jostein Gaarder, un roman dans lequel une jeune fille de 14 ans plonge, malgré elle, dans la philo, après avoir reçu une invitation : « D’où viens-tu ? » Il y a - dans une moindre mesure -Frikia, Pèlerin des âges, une tentative de quête de soi dans le temps.

Le narrateur/héros de Ferréol Gassackys, Frikia, survole le temps, explore les âges, à la recherche de la « Beauté », quelle qu’elle soit. Le but ? Se découvrir à travers ceux et celles qui ont marqué l’histoire de l’humanité. Frikia se sait immortel, ce qui lui donne donc la possibilité d’effectuer des va-et-vient entre les époques, les siècles et les millénaires. Il écoute, il observe, il remet en question. Le prix à payer sur l’autoroute de soi. Mais le plus souvent il s’émerveille. Comment rester indifférent face à Cléopâtre, La Kahena, Chaka Zulu, Isaac Newton, Louis IX, Mozart, Nelson Mandela,  Léonard de Vinci, Victor Hugo, Kabongo le Roi des Luba, etc ? Sa traversée du temps lui fait découvrir « des civilisations afin de mieux comprendre sa nouvelle condition et de s’y adapter, mais que ne trouve-t-il pas sur cette voie de découvertes insolites où il contemple des édifices imposants et superbes… » 

Frikia pose ses valises dans le Royaume d'Aksoum - l’actuelle Éthiopie. Grâce au contrôle du commerce dans la Mer Rouge, et de ses relations avec ses voisins, le Royaume est alors à son apogée et Frikia y rencontre Massinissa, un berbère, fils du roi Gaïa, petit-fils de Zelalsan, premier allié de Rome après la mort de son père. Massinissa va lui enseigner ce qu’il considère comme sa panacée, c’est-à-dire l’art de rassembler les peuples, à l’image de la Numidie qui lui doit à cette époque son unification. 

Mais il reste insatisfait. Inassouvi. C’est un anti-sédentaire, Frikia. Pour lui, et il en est convaincu, la vérité se cache derrière la montagne. Il doit y aller. Coûte que coûte. Chemin faisant, une once de perplexité le traverse. Une récurrence : des questions bourdonnent à ses oreilles. Est-il réellement maître de son destin ? N’est-il pas en train d’exécuter une mission bien précise ? Pourquoi Zozime de Panopolis lui parle-t-il de l’élixir de longue vie ? Le savant l’édifie sur l’alchimie, l’hermétisme et le gnosticisme. Frikia apprend que l’alchimie, c’est la recherche de la médecine universelle ; l'alchimie, du reste, consiste à réaliser la pierre philosophale, laquelle transmute les métaux, principalement les métaux « vils » - comme le plomb - en métaux nobles - l'argent ou l'or. N’est-il pas lui-même destiné à devenir une pierre polie ? Tailler sa pierre, toujours et encore, afin de bâtir son propre temple intérieur. Et, au gré du vent qui le fait errer, il se dit qu’il ne peut s’arrêter ici. Il doit poursuivre son chemin. Des voyages qui n’en finissent pas, à l’image de la quête de soi. 

En fait, au-delà de cette science-fiction, Frikia, pèlerin des âges, constitue une splendide allégorie de l’être qui a pris conscience de sa finitude et qui espère repousser ses limites, pour l’infinitude. Frikia incarne le fameux « Connais-toi toi-même » de Socrate. Toutefois, il ne se fait pas d’illusions. Il sait pertinemment que si la connaissance de soi peut, in fine, servir un but louable, elle n’éloigne pas des fanges de l’inhumanité. « Finalement de conflit en conflit l’être humain ne s’illustre que par une contradiction qui rend inévitable sa destruction, aucune légende, aucun enseignement religieux tel l’apocalypse ou le déluge ne l’a cependant changé et dissuadé de changer de comportement et d’attitude », constate-t-il amèrement.  

Est-ce à dire que la quête de soi n’est finalement qu’une chimère ? Pourquoi donc se connaître soi-même si cela ne sert à rien ? Le narrateur/héros de Ferréol Gassackys nous assène cette vérité apodictique : la quête de soi est difficilement atteignable. Si pour les stoïciens, qu’évoque Frikia, se connaître soi-même consiste à s’approprier, cette possibilité ne résume pas l’humanité. Non, le souci de soi renvoie seulement à ce que le philosophe Paul Ricœur désigne par « notre identité-idem, c'est-à-dire à cette constance observable par les autres qui nous reconnaissent à notre physique, à nos habitudes ». La quête de soi : une tâche infinie ! S’y lancer, c’est comme soulever des montagnes ! Elle est vaine, « impossible à réaliser complètement, mais qui peut donner une orientation, un sens à la vie ». L’un intérêt majeur pour soi n’aboutit pas forcément à la connaissance de soi, mais ce qui détermine l’homme. Se chercher, c’est se définir.





 

 



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