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Egypte : l’actrice Rania Youssef ne risque plus la prison, avec ou sans robe noire

Les poursuites contre Rania Youssef pour "incitation à la débauche"ont été levées. La robe que portait l'actrice égyptienne lors de la clôture du Festival international du film du Caire avait été jugée par certains trop transparente, trop suggestive ou provocante. Embrasement des réseaux sociaux. Les deux avocats qui s'étaient saisis du dossier ont finalement retiré leur plainte.

"Nous avons retiré la plainte que nous avions déposée contre Rania Youssef", a déclaré l'avocat Amr Abdel Salam, précisant que l'audience "fixée au 12 janvier pour l'examen de cette affaire" avait été "annulée". Cette affaire avait provoqué un véritable tollé en Egypte. La presse égyptienne, puis étrangère, ainsi que les réseaux sociaux, avaient largement relayé cette affaire autour de la tenue portée par Rania Youssef, lors de la cérémonie de clôture du Festival du film du Caire, le 29 novembre 2018. 

Le scandale était à un point tel que la principale intéressée avait décidé de s'excuser publiquement pour avoir porté cette ... robe noire. "J'ai probablement fait un mauvais calcul quand j'ai choisi de porter cette robe. C'était la première fois que je le portais et je ne savais pas que cela susciterait autant de colère" avait publié Rania Youssef sur son compte Twitter. 

"Je réaffirme mon attachement aux valeurs sur lesquelles nous avons été élevés dans la société égyptienne", ajoute-t-elle dans son message, cherchant ainsi à éteindre l'embrasement provoqué quelques heures plus tôt, par quelques dizaines de centimètres de tissu noir scintillant, une tenue des grands soirs, laissant découvrir ses jambes sous une résille arachnéenne. La tenue qu'elle avait choisie de porter lors de la soirée de gala.

 

 

Du tapis rouge à la prison ?

Dans l'Egypte du président Sissi, auquel les médias officiels ont prêté allégeance, et où la liberté d'expression est entravée, les choses traitant de la femme et surtout du corps de la femme peuvent très vite prendre une tournure sérieuse. Deux avocats, connus pour utiliser régulièrement les tribunaux pour exercer leur vigilance morale et conservatrice, s'étaient saisis du dossier en déposant des plaintes contre l'actrice. L'un d'eux s'appelle Amrou Abdessalam. Il avait déposé une plainte devant un tribunal du Caire, accusant l'actrice "d'incitation à la débauche", un délit passible de cinq ans d'emprisonnement.

Un autre avocat, Samir Sabri, connu pour avoir porté plainte contre plusieurs célébrités, avait de son côté déposé une plainte auprès du procureur général évoquant les mêmes accusations. "L'apparence de Rania Youssef est contraire aux traditions, aux valeurs de la société et à ses moeurs, et cela a nui au festival et à l'image de la femme égyptienne", a déclaré Me Sabri à l'AFP.

Après une semaine de polémique, la nouvelle est tombée mercredi 5 décembre, les deux avocats ont donc finalement retiré leur plainte, et les poursuites contre l'actrice sont annulées. Interrogés sur la raison de leur revirement, les deux avocats ont évoqué les excuses publiques de l'actrice. Dans un tweet mercredi, celle-ci a toutefois affirmé que "l'enquête se poursuivait", sans toutefois fournir d'autres précisions.

"La robe de Rania qui a choqué beaucoup, a incité le conseil des acteurs à ouvrir une enquête avec tous les artistes dont la garde robe au Festival international du film du Caire a provoqué la colère", commente dans un article intitulé "Rania Youssef s'excuse pour CETTE robe !", le site d'info aldawaba.

Incitations à la débauche en série ?

L'affaire de la robe noire de Rania Youssef se termine bien, l'actrice évite le procès et donc la prison. Mais, par le passé, d'autres n'ont pas eu cette chance. "Cette affaire est la dernière d'une série de poursuites très médiatisées dirigées contre des célébrités égyptiennes sous le régime autoritaire du président Abdel Fattah el-Sissi", écrit The New York Times, "Ils sont souvent amenés par des avocats se réclamant de la moralité publique de la police en réglementant la tenue vestimentaire, le comportement et même des blagues sous prétexte de protéger un aspect fragile du nationalisme égyptien".

Et le journal de citer le cas de la chanteuse Sherine Abdel-Wahab, jugée après un concert durant lequel elle avait fait une blague sur l'eau du Nil qu'il vaudrait mieux éviter de boire. " Vous aurez probablement la bilharziose ", avait-t-elle plaisanté, évoquant une maladie d'origine hydrique, également appelée schistosomiase, qui se transmet par des vers parasites et que le gouvernement égyptien a eu du mal à éradiquer. Initialement condamnée à six mois de prison, elle a finalement été acquittée en appel au mois de mai.

Au cours de cette même année, une autre chanteuse égyptienne a passé quatre jours en détention pour "incitation à la débauche" après la diffusion d'un clip incluant des scènes de danse orientale, qui, comme le veulent les codes de cette danse, impliquent une gestuelle sensuelle et suggestive.

D'autres artistes, des femmes, se sont retrouvées derrière les barreaux pour les mêmes griefs officiels aucours des années précédentes. En avril 2015, une célèbre danseuse du ventre arménienne Safinaz est condamnée à six mois de prison pour avoir porté un costume aux couleurs du drapeau national. Le tribunal a considéré cela comme une "profanation du drapeau". Peu de temps après, une autre danseuse écope d'un an de prison ferme pour "incitation à la débauche" après avoir dansé "de manière suggestive", en robe noire moulante, dans un clip posté sur le web. En décembre 2017, Shyma, une jeune chanteuse égyptienne se retrouve condamnée à deux ans de prison pour "incitation à la débauche" en raison d’un clip, jugé particulièrement suggestif et indécent. Elle aussi avait fini par présenter ses excuses sur sa page Facebook, son clip ayant disparu des plate-formes de diffusion sur le net.

Morale et nation : deux obsessions égyptiennes ?

"Cette robe n'a fait que révéler votre obsession", écrit un twittos, cherchant à défendre l'actrice Rania Youssef. Pour d'autres, toutes ces affaires révèlent la mentalité de ces hommes qui abusent de la loi permettant à tout Égyptien.ne de poursuivre un.e autre en justice pour des crimes aussi vagues que l'immoralité ou insulte à la nation.

Comme le relève encore The New York Times, l'affaire "Rania Youssef" pointe aussi du doigt une justice égyptienne à deux vitesses. Car si les cas très médiatisés des personnalités poursuivies pour atteinte à la morale ou au nationalisme sont traités en quelques semaines, des centaines voire des milliers de prisonniers politiques ou des journalistes détenus, parfois depuis des années, continuent, eux, de croupir en prison en attente de procès.

Au final, la transparence de la robe de Rania Youssef aura eu comme résultat d'assombrir cette grande fête du cinéma égyptien qu'est censé être le festival du film du Caire. Un festival, qui à l'occasion de ses 40 ans avait annoncé la création d’une section spéciale intitulée "Les réalisatrices arabes". Une vitrine destinée à mettre à l'honneur huit femmes arabes ayant réalisé de grandes réalisations en cinéma et représentant de manière prestigieuse le cinéma arabe dans les festivals internationaux. Illustration avec la projection du magnifique Wadjda de la réalisatrice saoudienne Haifaa Al- Mansour.



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