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Livre : splendide Côme Mankassa !
Il a quitté la terre des hommes il y a de cela quatre ans, laissant derrière lui un manuscrit sur un monument des Lettres, Aimé Césaire. Grâce à la détermination de ses enfants, l’Essai Aimé Césaire, ou l’illusion de la liberté vient de voir le jour aux éditions françaises Le Lys Bleu. Florilège.
Dans son unique ouvrage, Les fables, pensées et poésies (1865), « le jardinier-poète » Jean –Napoléon Vernier, donnait une explication sémantique de l’adjectif « conséquent ». « Être conséquent ne consiste pas précisément à agir aujourd'hui comme on a agi hier et comme on agira demain : être conséquent, c'est faire concorder ses actes avec ses principes et ses opinions. » Aimé Césaire, l’immense pourfendeur de la colonisation était-il « conséquent » ? La question peut paraître banale, voire anachronique, tant tout au long de l’histoire beaucoup d’hommes et de femmes n’ont pas été « conséquents », au sens de Vernier. Elle a néanmoins le mérite de soulever la problématique des rapports intellectuel/politique…
Le sociologue et homme de Lettres Côme Mankassa s’est attelé, dans un Essai anthropologique romancé, à souligner le fossé entre le discours et l’acte, qu’il y avait chez Aimé Césaire. Et pour cause : dans son Discours sur le colonialisme, il infère un postulat de combat, un anticolonialisme ; il clame haut et fort l’irréductibilité de la liberté et de l’indépendance des hommes. De ce fait, il n’est plus poète mais politique. Et produit, consciemment ou inconsciemment, un contresens. « La liberté au sens universel, donc nécessairement subversive, quoique nécessairement légitime, cette liberté-là, il (Aimé Césaire, ndlr) n’en voulait pas ; il voulait la liberté à l’intérieur des frontières de la France : une liberté légale strictement réglementée par les lois de la République. Mais pour cela… en toute connaissance de cause, oui, il savait que pour cela il lui eût fallu être Français, lui et les siens, tous les siens, » écrit Côme Mankassa, page 38, dans Aimé Césaire, ou l’illusion de la liberté. Tout le contraire de la philosophie de son modèle, de celui dont Césaire a voulu perpétuer la mission…
Toussaint le Précurseur
Oui, Aimé Césaire avait fait de Toussaint Louverture un héros. Un héros pour lequel il a employé le ton de l’épopée pour le célébrer. Et de mettre en valeur une idée originale défendue par Toussaint Louverture : un « commonwealth français ». « Quand Toussaint Louverture vint, ce fut pour prendre à la lettre la déclaration des droits de l’homme, ce fut pour montrer qu’il n’y a pas de race paria ; qu’il n’y a pas de pays marginal ; qu’il n’y a pas de peuple d’exception. Ce fut pour incarner et particulariser un principe ; autant dire pour le vivifier. Dans l’histoire et dans le domaine des droits de l’homme, il fut, pour le compte des nègres, l’opérateur et l’intercesseur. Cela lui assigne sa place, sa vraie place. Le combat de Toussaint Louverture fut ce combat pour la transformation du droit formel en droit réel, le combat pour la reconnaissance de l’homme et c’est pourquoi il s’inscrit et inscrit la révolte des esclaves noirs de Saint-Domingue dans l’histoire de la civilisation universelle », écrivait-il. Il va sans dire qu’Aimé Césaire a pris Toussaint Louverture comme « l’agent d’une « poussée de l’histoire ». Agent singulièrement attentif à cette poussée, clairvoyant, prophétique. »
De cet homme surnommé dans son enfance en créole de « Fatras-Bâton » ou « le difforme », qui fut tour à tour cocher de son maître, enrôlé au service du roi d’Espagne avant de le trahir et de passer au service de la République française avec 4000 soldats noirs aguerris à la suite à l’abolition de l’esclavage par décret de la Convention, Aimé Césaire a voulu faire un inspirateur. Coûte que coûte, lui aussi a voulu libérer le peuple des Antilles, son peuple. « Césaire avait à sa disposition toute l’expérience des générations passées, la quête ininterrompue de leur liberté, de leur dignité, une liberté et une dignité pleines et entières qui ne pouvaient être obtenues que suivant un processus résolu conduisant à l’indépendance. Toussaint Louverture n’avait de devenir qu’en restant un précurseur. Il était Malcolm X, Baldwin, Luther King précédant Obama et s’achevant ou se prolongeant en lui. D’autres Obama pourraient venir, mais alors s’ouvrirait pour eux le seul intérêt statistique. » « Un destin, par conséquent, attendait Césaire. Une tâche historique particulière a priori le définissait et lui donnait sens et orientation, une légitimité historique. Ses prédécesseurs ayant conduit les îles d’à côté, les peuples frères à l’indépendance, Césaire ne pouvait faire moins. Un livre était ouvert devant lui avec en regard toutes les expériences de lutte du passé, un livre dans lequel il lui revenait de lire, d’améliorer ici, d’éviter là, ce que Toussaint Louverture n’avait su ou pu éviter. » (Page 25)
Mais entre le discours et les actes, il y a un énorme pas qu’il n’allait pas franchir, et c’est ce que ressort du livre de Côme Mankassa. « S’il choisissait l’anticolonialisme, il demandait l’indépendance. S’il choisissait l’assimilation, il devenait un génie de la norme qui l’avait esclavagisé, colonisé, chosifié. Finit-il enfin par choisir, trancher ? » Se demande l’auteur du Procès de Matsoua.
Intellectuel ou politique ?
Etre « protéiforme » n’est pas une tâche aisée. De ce statut naissent souvent les contradictions et les confusions. Surtout chez un intellectuel/politique. L’un empiète sur l’autre. Forcément. « Poète ou écrivain ou homme politique ? Le pays des origines forcément confondait. N’avais-je pas connu le même problème devant mes parents ? Enseignant, ils percevaient facilement mon métier et savaient le désigner, le différencier des autres métiers. Devenu journaliste, ils moururent sans comprendre, désigner, différencier le métier qui était devenu le mien. Quand les voisins leur disaient que leur enfant était devenu un homme politique parce qu’il parlait de politique, écrivait sur la politique, mes parents ne savaient quoi dire, quoi répondre. N’étant jamais allés à l’école, ils ne saisissaient pas les frontières qui séparaient le politique du journaliste. Et quand je leur disais que j’avais choisi ce métier, ils me répondaient que la politique n’était pas un métier. Au fait, à quoi avais-je renoncé ? » (Page 37)
Pour y répondre, Côme Mankassa propose le retour « au pays des origines » - une métaphore. Convoquant le symbolisme africain : « Dans le mythe kongo traduisant le lieu où est enterré le cordon ombilical, kuabi, le lieu des origines détermine seul l’identité, car là est, émet, telle une puce de portable alors que le corps qui l’abritait est parti ou a été détruit, le “siège du patrimoine génétique”. L’être, l’homme est m’bêmba, oiseau dans l’univers et à travers l’univers répandu, éperdu, enivré. Mais toujours, il renoue avec son patrimoine, son principe génétique qui, toujours, lui rappelle le point d’où il est parti, d’où il a pris son envol. Il est mouvement, mais en même temps permanence, immobilisme structurel. »
De son vivant, le professeur Côme Mankassa (1936-2015) avait signé, entre autres, France : grandeur perdue (Essai) ; La Débâcle de l’anthropologie économique française : débats d’hier, bilan d’aujourd’hui ; Le Sociologue et l’homme politique (Essai) ; Le Chevalier de Soyo (roman) ; Le Procès de Matsoua (théâtre) ; Lucifer poursuit Jésus-Christ en diffamation (théâtre) ; N’koûla (théâtre). Il est également l’auteur de nombreux articles de presse et d’articles scientifiques parmi lesquels L’Anthropologie philosophique de la subversion.
Bedel Baouna
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