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Demba Moussa Dembélé : « Ni Paris, ni Washington, ni Bruxelles n’ont de solutions pour relancer les économies africaines »

L’économiste sénégalais reste convaincu que la relance des économies africaines ne se fera pas en Occident. Il estime que le problème de l’Afrique, c’est la nature de ses dirigeants et des politiques qu’ils mettent en œuvre. Il juge aussi que l’achat d’un nouvel avion présidentiel semble être un cinglant démenti aux mesures annoncées récemment par le Président Macky Sall, visant à réduire certaines dépenses gouvernementales. Entretien.

Oeil d’Afrique : Est-ce que le sort ou bien la relance des économies africaines devrait se discuter à Paris ?

 Demba Moussa DEMBELE : Question très pertinente. Ce qui s’est passé à Paris la semaine dernière n’honore pas l’Afrique. Cela donne une très mauvaise image du continent. En effet, le débat sur «la relance des économies africaines» doit se passer en Afrique et non à l’extérieur. Cette rencontre aurait dû se tenir à Addis Abéba, siège de l’Union africaine et de la CEA, ou à Abidjan, siège de la Banque africaine de développement. 

Le sort de l’Afrique doit se décider en Afrique et non ailleurs. Ni Paris, ni Washington, ni Bruxelles n’ont de solutions pour relancer les économies africaines. La preuve, les présidents africains sont revenus les mains presque vides, à part quelques promesses sur la dette du Soudan – en contrepartie de l’ouverture de son secteur pétrolier et gazier aux multinationales occidentales-. Rien sur la dette de l’Afrique, dossier cher au président Macky Sall !

La promesse d’arrondir les droits de tirage spéciaux (DTS) de l’Afrique à 100 milliards de dollars signifie qu’on va demander aux pays occidentaux de renoncer à leurs DTS à hauteur de 66 milliards – puisque l’Afrique a 34 milliards de dollars. D’abord, cela reste une promesse. Ensuite, comment seront répartis ces 66 milliards ?  Et enfin, à quel prix seront-ils cédés aux pays africains : à quelles conditions économiques, financières et politiques ? Comme on dit, « le diable est dans les détails ». Ce ne sera pas gratuit du tout !         

En Afrique, un rapport 2020 de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement indiquait que l'Afrique perd un montant énorme de 88,6 milliards de dollars par an causé par la fuite des capitaux et des mauvaises institutions du continent. N’est-il pas donc contradictoire que des chefs d’Etat africains aillent «tendre la main» auprès des puissances occidentales ? Alors qu’en renforçant leurs institutions et en surveillant les grandes multinationales opérant dans les ressources extractives, ces chefs d’Etat pourraient voir une partie de la pauvreté être enrayée… 

 Ce rapport de la CNUCED confirme des rapports précédents sur les flux illicites quittant l’Afrique pour aller dans les pays développés et les paradis fiscaux. En 2015, c’est un rapport du Panel dirigé par l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, qui indiquait que l’Afrique perdait au moins 50 milliards de dollars par an. Ce rapport était publié pour le compte de la Commission économique des Nations-Unies pour l’Afrique (CEA).

Auparavant, c’est un rapport de la BAD et d’une ONG américaine –Global Financial Integrity- publié en 2013 et qui indiquait qu’en moyenne, l’Afrique avait perdu 47 milliards par an entre 1980 et 2000 ! Donc, le rapport de la CNUCED confirme ces rapports mais surtout donne des chiffres beaucoup plus élevés. Cela montre que l’Afrique peut financer son développement et qu’elle envoie au reste du monde plus qu’elle n’en reçoit. D’où la pertinence de votre question : comment se fait-il qu’un continent qui perd autant de milliards chaque année aille demander presque de « l’aumône » aux pays dont les politiques sont responsables de l’hémorragie financière dont elle est victime ?  Cela pose le problème de la nature des dirigeants africains et des politiques qu’ils mettent en œuvre.

Tous, ou presque, acceptent les prescriptions de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), c’est-à-dire des politiques de libéralisation, de déréglementation, de privatisation et de libre circulation des capitaux. Ils mettent en œuvre des politiques fiscales favorables aux multinationales, permettant à celles-ci de payer de faibles taux d’imposition et de rapatrier sans entrave leurs profits. En retour, les pays africains gagnent très peu.

Par contre, en mettant en œuvre des politiques visant à faire payer les investisseurs étrangers à la hauteur de ce qu’ils gagnent en Afrique, le continent aurait pu financer son propre développement sans avoir besoin d’aller quémander « l’aide » de ses « partenaires ».      

Le Président Macky Sall vient de s’octroyer un avion neuf à coup de milliards francs Cfa, alors qu’il plaide pour l’annulation de la dette et au moment où il peine à trouver de l’emploi aux jeunes sénégalais. Quel commentaire en faites-vous ? 

Même en dehors du contexte actuel du pays, s’octroyer un avion personnel à plusieurs dizaines de milliards – certains disent 60 milliards, sans compter les accessoires pour embellir l’intérieur de l’avion-  est choquant et indécent. D’autant plus qu’on a caché depuis 2019 l’existence de cet avion au peuple sénégalais! Cela montre quelque part que le président de la République doit être gêné par cet achat. D’ailleurs, ils n’ont pas dévoilé le coût de l’avion, après avoir enfin reconnu son existence par suite de l’investigation de Pape Alé Niang ! Dans le contexte actuel du pays cet achat a effet désastreux sur la manière dont Macky Sall gère ce pays. Faut-il rappeler que le Sénégal est toujours dans la catégorie des pays les moins avancés (PMA) !

Apparemment, les priorités du régime ne sont pas la recherche de solutions pour l’emploi des jeunes, pour améliorer les conditions de vie des Sénégalais, pour relever le plateau sanitaire des hôpitaux et revaloriser les salaires des enseignants et des soignants. Les priorités semblent être le renforcement du train de vie de l’Etat, surtout au niveau de la présidence. Cet achat semble être un cinglant démenti aux mesures annoncées récemment visant à réduire certaines dépenses gouvernementales! 

Enfin, avec cette révélation, que va dire Macky Sall aux créanciers du Sénégal à qui il demande d’annuler la dette extérieure du pays ?  En tout cas, cela tombe très mal pour lui, tant au plan national qu’international ! 

Oeil d'Afrique - Dakar



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