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Lena Toya : « Mes habits sont une émanation de ma personnalité, à la fois pétillante, mais qui rencontre aussi des hauts et des bas »
Quand elle s’intéresse à la mode en 2016, Lena Toya n’imagine pas que ses pièces susciteront un tel succès. De Booba, à Serge Ibaka, en passant par Estelle Yoka, de nombreuses personnalités publiques s’arrachent aujourd’hui les pièces hautes en couleurs de la créatrice. Originaire de la RD Congo, la jeune créatrice de trente-six ans se met en quête d’identité, transgression audacieuse et persévérance. Rencontre.
Oeil d'Afrique : Comment a commencé l’aventure de la marque «Lena Toya» ?
Lena Toya : Je me suis toujours intéressée à la mode. J’avais envie de parcourir ce milieu. J’ai donc monté un concept en rassemblant photographes, maquilleurs, et ai commencé à prendre des photos de femmes et leurs enfants avec quelques pièces, tout en voulant casser le code classique du « t-shirt et jean ». J’ai acheté une machine à coudre chez Lidl et me suis initiée à la couture grâce à Youtube, et en allant au marché Saint Pierre. Les demandes sont venues par la suite. Il a toutefois fallu beaucoup de travail, et je suis en constant apprentissage.
Que faisiez-vous avant d’être créatrice de mode ?
J’étais vendeuse dans un magasin de chaussures et danseuse hip-hop. J’ai un parcours assez compliqué : je suis une enfant originaire de la République démocratique du Congo, arrivée en France à quatre ans, où j’ai été placée à la DASS, et qualifiée de pupille de la nation à cinq ans. J’ai donc dû forger une combativité très tôt. Je n’ai pas eu envie de me laisser aller, et je me suis toujours dit qu’il fallait me battre pour ce que je voulais. Il n’y a que le travail qui paye. Aujourd’hui, je me bats aussi pour transmettre cette mentalité à mes deux enfants car je le fais aussi pour eux.
Vous avez enchaîné les collaborations, entre Booba, DJ Snake, ou encore Estelle Mossely Yoka… Comment avez-vous réussi à vous créer cette notoriété ?
À dire vrai, j’ai la chance de ne jamais avoir fait de travail de communication. Pour Booba, c’est un ami qui le connaissait qui m’a proposé de créer quelque chose pour lui. À ma grande surprise et sans me le dire, il a porté une de mes tenues lors de son apparition à l’émission « Touche Pas à Mon Poste » en mars 2019. Le flux des clients a commencé ensuite. Avant cela, j’avais eu l’occasion de collaborer avec Cardi B, lors de son passage à Paris. Elle avait eu des mots très encourageants à mon égard. J’ai également pu travailler avec les artistes Kid Ink, T.I ou encore Fat Joe lors de l’ouverture de ma première boutique à Atlanta. Je pense que le point fort de cette marque est que la création des pièces se fait avec les clients, je propose des designs, mais je fais surtout du sur-mesure par rapport à la personnalité de la personne qui le demande.
Comment pouvez-vous décrire votre processus créatif ?
Je dirais que c’est un véritable bouquet de sensations! Je ne m’arrête pas à un design précis, et m’inspire de l’humeur du jour. Je suis une véritable touche-à-tout et je m’adapte à la clientèle en restant alerte à ce qui est autour de moi. Mes habits sont aussi une émanation de ma personnalité, à la fois pétillante, mais qui rencontre aussi des hauts et des bas…
Avez-vous des choix spécifiques en terme de matières, de couleurs ?
C’est un volet qui relève de l’indicible : je tente de raconter une histoire avec le produit, et je ne choisis pas les couleurs… je les laisse me choisir. Au niveau de la matière, j’aime beaucoup la soie, la viscose et le coton, ce sont des produits nobles avec lesquels on peut faire énormément de choses. Ma technique est simple : je mets mon tissu à plat, et je suis l’histoire qui commence à se raconter.
Avez-vous rencontré des difficultés en tant que femme africaine dans un milieu pouvant parfois être considéré comme cloisonné ou difficile d’accès ?
En deux ans, je n’ai pas rencontré de difficultés par rapport à ma couleur de peau. Je suis fière d’être une femme noire, mais ne suis pas pour autant communautaire. Il faut dire aussi que je prends mon temps pour être au devant de la scène et préfère que mon travail puisse parler pour moi. On associe l’Afrique avec le tissu wax, mais j’aimerais aussi montrer autre chose.
Quel héritage gardez-vous de vos origines congolaises ?
J’ai perdu mes deux parents au Congo, et compte bien y retourner, car je suis toujours en recherche perpétuelle de mon identité. Il y a une semaine par exemple, j’ai appris que ma mère biologique, était également couturière! Je vois ça comme un héritage que le bon Dieu m’a laissé… Je trouve ça super, et cela me pousse encore plus à mettre mon coeur dans tout ce que je fais.
Comment percevez-vous le fait de gérer une entreprise par vos propres moyens ?
Au début c’était compliqué car j’étais toute seule dans l’entreprise et que j’ai un souci du détail hors-norme. J’ai donc pris des alternants, et fais appel à des ateliers de haute couture pour les finitions. Je veux être très pointilleuse sur les collaborations que je fais. Lena Toya est une jeune entreprise et je la considère comme mon troisième enfant.
Avec la pandémie de Covid-19, était-ce difficile de tenir votre marque à flot?
Il y a eu des moments d’ombres, c’est certain. J’ai monté l’entreprise en juin 2019. Six mois après, le Covid montait le bout de son nez. Je me suis dit « est-ce que je vais tenir le coup? » car j’ai des prix assez conséquents, surtout que je voyais des personnes dans le milieu qui coulaient. Je pars du principe que je mets ma marque dans les mains de Dieu et que si cela échoue, je partirai avec un nouveau bagage. J’ai des doutes, mais je n’ai pas peur.
Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
Je souhaite que Lena Toya puisse devenir une marque de luxe, et puisse perdurer dans le temps, pour être reprise par quelqu’un comme Olivier Rousteing par exemple. Les grandes marques de luxe ont aussi commencé très petit au départ, je ne vois pas pourquoi je n’y arriverai pas, en tout cas j’y crois!
Propos recueillis par Aurelie Kouman, Oeil d'Afrique
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