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Joseph Kabila ou le « retour » du félin qui n’est jamais parti
Longtemps resté discret depuis son départ du pouvoir en décembre 2018, Joseph Kabila a décidé, semble-t-il, de revenir sur le devant de la scène politique congolaise. Ce « retour », qui est suivi de près par le régime de Félix Tshisekedi, n’a rien de surprenant. C’est la suite logique de ce que j’ai appelé dans un texte publié en 2020 « la stratégie du félin » (« Joseph Kabila et la stratégie du félin », publié le 11 novembre 2020). Dans ce billet, qui avait fait bondir de colère les Tshisekedistes et alliés, j’attirais l’attention sur la posture stratégique de Kabila qui, en s’adressant aux chefs d’État témoins de l’accord conclu avec Tshisekedi, se présentait comme l’homme de la paix et de la stabilité du Congo, tout en faisant endosser la responsabilité de tout ce qui pourrait arriver au pays à son successeur.
J’écrivais exactement ceci : « En fait, Joseph a déjà amorcé la phase de la confrontation, mais il ne veut pas donner l’impression d’être celui par qui le désordre pourrait survenir en RDC. D’où le ton extrêmement modéré utilisé dans sa correspondance dans laquelle il se présente comme le défenseur de la Constitution et de l’État de droit. Si à l’UDPS on est dans le triomphalisme et la gesticulation, à Kingakati on est dans la stratégie. En outre, le félin avance tout doucement en donnant l’impression de reculer, mettant ainsi la proie en confiance. Comme l’a écrit le grand stratège militaire chinois Sun Tzu, “celui qui pousse l’ennemi à se déplacer en lui faisant miroiter une opportunité s’assure la supériorité” ».
En fait, Joseph Kabila n’a jamais été à l’écart du jeu politique congolais pour revenir aujourd’hui. Il a toujours été là, mais on ne le voyait pas. Confronté à l’hostilité viscérale de l’ancien ambassadeur des États-Unis à Kinshasa, Mike Hammer dit «Nzita», il a décidé de faire profil bas tout en suivant de près la situation socio-politique et économique dans le pays. Tel un léopard utilisant son pelage tacheté pour se camoufler dans les hautes herbes de la savane, il observe sa « proie » déambuler en toute confiance, tout en attendant le moment idéal pour bondir sur elle. Son grand atout : la patience. Connaissant bien Félix Tshisekedi et la classe politique congolaise, Kabila a parié sur le facteur temps, sachant très bien que rien de bon ne pouvait sortir de l’Union sacrée, l’actuelle coalition au pouvoir construite non pas autour d’un idéal salvateur pour le Congo de Lumumba mais du partage strict du pouvoir et de tous les avantages matériels que celui-ci procure. Le temps lui a donné raison.
Incarnation de l’hégémonie UDPSienne, pour ne pas dire Luba, l’Union sacrée est aujourd’hui l’ombre d’elle-même. Du pain béni pour un Joseph Kabila, qui, faut-il le dire, est dans une position bien « meilleure » qu’en 2020 lorsque son FCC divorçait de CAH sous les applaudissements des Congolais. Comme en 2020, il se présente aujourd'hui comme le défenseur de l’État de droit et de la Constitution que le régime de Tshisekedi veut changer, à la grande colère de la majorité silencieuse qui ne supporte plus l'Union sacrée.
En cas de face à face, l'ancien président et ses potentiels alliés pourront compter sur un grand nombre de Congolais qui, à leur corps défendant, disent le préférer à Félix Tshisekedi; il peut aussi compter sur le soutien d’une opposition prête à tout pour en finir avec le régime de Kinshasa, sur une partie de l’armée qui lui est restée fidèle et/ou qui est déçue par le régime, sur des gens frustrés en silence au sein même de l’Union sacrée (et Dieu seul sait qu’ils sont nombreux), et sur certains chefs d’État de la SADC et de l’Afrique centrale qui estiment que Tshisekedi ne fait pas l’affaire.
Avec un Donald Trump essentiellement tourné vers l’Ukraine et la Chine, il y a des gens en Afrique des Grands Lacs qui ne se priveront pas de créer davantage de problèmes au pouvoir de Kinshasa... au grand plaisir de Kabila et alliés. À moins d'un revirement majeur de Félix Tshisekedi sur les questions litigieuses (respect de la Constitution et de l'état de droit, tribalisation des institutions, etc.), les jours à venir seront riches en rebondissements.
Patrick Mbeko
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