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Abu Dhabi, Doha, Ankara : le rééquilibrage du Soft-Power

Les récents développements en Afghanistan, où le régime fantoche installé par les Américains s’est désintégré à quelques jours du retrait de l’Amérique sous le poids des insurgés locaux, ont fait ressentir à Abu Dhabi la fragilité et la vulnérabilité de l’ordre régional.

Les images d’une superpuissance vaincue essayant désespérément de garder le contrôle de sa dernière tête de pont à Kaboul, ont renforcé la conviction de Sheikh Tahnoun Bin Zayed cerveau stratégique d’Abu Dhabi que la sécurité nationale et celle du régime ne peuvent plus dépendre uniquement du soutien de Washington. C'est dans cette nouvelle donne de rééquilibrage géopolitique que le conseiller à la sécurité nationale des Émirats, Sheikh Tahnoun a emmené l’influent frère du dirigeant d’Abu Dhabi, Ben Zayed (MBZ), en visite surprise fin août à Doha où il a rencontré l’émir du Qatar Tamim... Mais ce pragmatisme géostratégique ne peut être que temporaire, car les différences idéologiques fondamentales restent les raisons profondes de la concurrence régionale entre Doha et Abu Dhabi.

La photographie du sourire complice échangé entre le président turc, Erdogan, et le prince héritier d’Abu Dhabi, Mohammed Ben Zayed dit « MBZ » patron de fait des Emirats Arabes, fera date.

La rencontre qui a eu lieu à Ankara, ce mercredi 24 novembre, au palais présidentiel de Bestepe, constitue une première depuis 2012. Elle amorce une détente entre ces deux hommes forts aux ambitions rivales, qui, durant une décennie, se sont combattus par alliés interposés sur de nombreux théâtres de crise au Moyen-Orient.

La rencontre entre les deux dirigeants confirme la recomposition géopolitique en cours au Proche-Orient, entamée au début de l’année, avec la levée de l’embargo infligé au Qatar par ses voisins du Golfe. La logique des blocs qui structuraient la région depuis les « printemps arabes » de 2011, avec d’un côté l’axe saoudo-émirati, fer de lance de la contre-révolution, et, de l’autre, l’axe turco-qatari, sponsor des Frères musulmans, s’effrite progressivement. La région revient à une diplomatie plus fluide, même si les griefs accumulés entre les deux camps sont loin d’être tous résolus.

Durant les dix années très mouvementées qui ont suivi les soulèvements de 2011, la Turquie et la fédération émiratie ont chacune tentée d’avancer leurs pions dans la région, la première au nom d’un néo-ottomanisme ombrageux, la seconde au nom de l’antiterrorisme et de la stabilisation autoritaire. Cet aventurisme diplomatique les a amenés à soutenir systématiquement des camps opposés, que ce soit en Egypte, en Tunisie et surtout en Libye, où Ankara parraine le camp tripolitain, contre le maréchal Haftar, champion de la Cyrénaïque, qui a les faveurs des Emirat et du Qatar.

Au regard de tout ce qui précède, nous assistons à travers cette rencontre au sommet entre les dirigeants Tucs et des Emirats à un tournant décisif dans le changement du narratif dans la région. La Turquie est motivée par les intérêts économiques, c'est l’une des principales raisons qui conduit Recep Tayyip Erdogan à jeter son devolue sur le développer des relations commerciales avec le riche royaume des Emirats. Le volume des échanges bilatéraux avait frôlé les 15 milliards de dollars en 2017, avant d’être divisé par deux les années suivantes, sur fond de crise avec le Qatar. Le montant des exportations de la Turquie a notamment été divisé par trois.

Rodrigue Fenelon Massala



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