Analyses


CEDEAOPolitique

Retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la CEDEAO : et maintenant ?

Le dimanche 28 janvier 2024 marque un tournant historique pour l’Afrique de l’Ouest. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont officiellement annoncé leur retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette décision, prise par les régimes militaires au pouvoir dans ces trois pays, intervient après des mois de tensions, de sanctions et de divergences politiques. Ce divorce avec l’organisation régionale soulève de nombreuses questions sur l’avenir de la coopération en Afrique de l’Ouest, les équilibres géopolitiques et les défis économiques et sécuritaires qui en découlent.

Une rupture aux racines profondes

Le retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la CEDEAO n’est pas un acte impulsif. Il s’inscrit dans un contexte marqué par des tensions croissantes entre ces pays et l’organisation régionale. Depuis l’arrivée au pouvoir des juntes militaires – au Mali en 2020 et 2021, au Burkina Faso en 2022 et au Niger en 2023 –, les relations se sont détériorées. Les sanctions économiques et politiques imposées par la CEDEAO en réponse à ces coups d’État ont exacerbé les frustrations.

Pour les dirigeants de ces trois pays, la CEDEAO est perçue comme un instrument d’ingérence occidentale, notamment française, et un outil au service des élites politiques et économiques d’Abuja (Nigeria) et de Dakar (Sénégal). Dans leur déclaration commune du 28 janvier, les chefs des juntes ont accusé l’organisation d’avoir « trahi ses principes fondateurs » et d’avoir soumis leurs peuples à des « décisions illégitimes et inhumaines ». Ce discours, teinté de souveraineté et d’anti-impérialisme, trouve un écho croissant auprès de leurs populations.

La CEDEAO face à une crise de légitimité

Fondée en 1975, la CEDEAO avait pour mission initiale de promouvoir l’intégration économique et la coopération entre ses 15 États membres. Cependant, au fil des années, l’organisation s’est progressivement engagée dans des missions politiques et sécuritaires, ce qui a mis à mal sa crédibilité. Son incapacité à prévenir les coups d’État militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger a révélé ses limites structurelles.

De plus, la CEDEAO a souvent été critiquée pour son approche sélective en matière de démocratie. Alors qu’elle a imposé des sanctions sévères aux régimes militaires, elle est restée silencieuse face aux dérives autoritaires de certains présidents civils, comme le troisième mandat controversé d’Alpha Condé en Guinée ou celui d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire. Cette incohérence a alimenté l’image d’une institution à deux vitesses, prompte à punir les juntes mais tolérante envers les dirigeants civils autoritaires.

Les sanctions économiques imposées au Mali, au Niger et au Burkina Faso – gel des avoirs, fermeture des frontières, restrictions commerciales – ont aggravé la situation. Loin d’affaiblir les régimes militaires, ces mesures ont renforcé leur rhétorique victimaire et légitimé leur décision de quitter la CEDEAO. En septembre 2023, les trois pays ont d’ailleurs créé l’Alliance des États du Sahel (AES), une organisation concurrente visant à promouvoir une coopération régionale alternative.

Les défis économiques et sécuritaires du Sahel

Le retrait de la CEDEAO place le Mali, le Niger et le Burkina Faso dans une situation complexe. Sur le plan économique, ces pays risquent de payer un lourd tribut. La CEDEAO offre en effet des avantages majeurs, tels que la libre circulation des biens et des personnes, l’accès à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et des financements internationaux facilités. En quittant l’organisation, les trois pays se privent de ces leviers essentiels pour leur développement.

La question monétaire est particulièrement épineuse. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso font partie de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui utilise le franc CFA. Ce dernier est souvent perçu comme un symbole de la domination française en Afrique. Les dirigeants sahéliens envisagent-ils de rompre avec cette monnaie et de créer une devise commune ? Une telle transition serait longue, coûteuse et risquée, comme l’a montré l’expérience de la Guinée après son indépendance en 1958.

Sur le plan commercial, le départ de la CEDEAO pourrait entraîner des tensions avec les voisins restés dans l’organisation, notamment le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Nigeria. Ces pays sont des partenaires économiques majeurs pour le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Une fermeture prolongée des frontières ou une détérioration des relations commerciales pourrait avoir des conséquences désastreuses pour des économies déjà fragiles.

Enfin, la lutte contre le terrorisme reste un défi majeur. Malgré les discours belliqueux des régimes militaires, les armées malienne, burkinabè et nigérienne peinent à contenir la menace jihadiste. La fin de la coopération avec la CEDEAO pourrait limiter les échanges d’informations et affaiblir les efforts de lutte contre les groupes armés qui sévissent dans la région.

Entre émancipation et isolement

Les régimes militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso présentent leur retrait de la CEDEAO comme un acte d’émancipation vis-à-vis des structures supranationales qu’ils jugent inféodées aux intérêts étrangers. Ce discours souverainiste séduit une partie de leurs populations, lassées par des décennies d’ingérence occidentale et de dépendance économique.

Cependant, la réalité est plus nuancée. L’isolement économique et diplomatique pourrait fragiliser des économies déjà précaires. Les promesses de diversification des partenariats, notamment avec la Russie, la Chine ou la Turquie, restent incertaines. Aucun des trois pays ne dispose d’un plan concret pour sortir de la crise économique et sécuritaire qui les frappe.

En outre, l’histoire des intégrations régionales en Afrique montre que la coopération est souvent un facteur de stabilité et de développement. En se coupant du reste de l’Afrique de l’Ouest, le Mali, le Niger et le Burkina Faso risquent de s’isoler davantage, tant sur le plan économique que politique.

Un saut dans l’inconnu

Le retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la CEDEAO est un acte symbolique fort, qui reflète une quête de souveraineté et un rejet des logiques postcoloniales. Cependant, cette décision comporte des risques majeurs, notamment sur le plan économique et sécuritaire. Les populations de ces trois pays, déjà confrontées à une instabilité chronique, pourraient en subir les conséquences les plus dures.

À long terme, l’avenir dira si cette rupture constitue un tournant stratégique ou une impasse diplomatique. En attendant, les défis restent immenses pour le Mali, le Niger et le Burkina Faso, qui devront trouver des solutions innovantes pour assurer leur stabilité et leur développement hors du cadre de la CEDEAO.

Oeil d'Afrique



Analyses