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Révisions constitutionnelles en Afrique : Les stratégies pour rester au pouvoir au-delà des deux mandats
L’avènement du multipartisme dans les années 1990 a marqué un tournant historique en Afrique, promettant une ère de gouvernance démocratique. Cependant, ce nouvel ordre constitutionnel a souvent été détourné par des dirigeants désireux de s’accrocher au pouvoir. En dépit des limites imposées à deux mandats présidentiels dans de nombreux pays, des révisions constitutionnelles orchestrées permettent à ces chefs d’État de prolonger leur règne. Ces manœuvres, souvent justifiées par des discours sur la stabilité ou le développement, révèlent des dynamiques complexes entre pouvoir, institutions et populations.
Un mécanisme rodé pour contourner la limitation des mandats
Dans plusieurs cas, les modifications constitutionnelles ne se présentent pas comme des coups de force brutaux, mais comme des processus institutionnels soigneusement élaborés. Ces révisions impliquent des parlements souvent dominés par le parti au pouvoir, des référendums populaires, ou encore des cours constitutionnelles perçues comme acquises à la cause présidentielle. Ces pratiques, bien qu’habillées de légitimité juridique, traduisent une instrumentalisation des institutions.
En Guinée, Alpha Condé, premier président démocratiquement élu du pays, a modifié la Constitution en 2020 pour briguer un troisième mandat. Cette réforme, approuvée lors d’un référendum controversé, a suscité une vive opposition. « Le peuple n’a pas voté librement. Tout était orchestré pour garantir un résultat favorable au président », dénonçait Cellou Dalein Diallo, principal opposant, après des mois de manifestations violemment réprimées. Les scènes de protestation dans les rues de Conakry témoignaient d’un ras-le-bol populaire face à ce qui était perçu comme une trahison des idéaux démocratiques.
Au Rwanda, Paul Kagame, salué pour avoir redressé le pays après le génocide de 1994, a adopté une stratégie différente. En 2015, un amendement constitutionnel, largement approuvé par un référendum, lui a permis de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2034. Si ses partisans affirment qu’il s’agit d’une réponse à une volonté populaire de continuité, d'autres y voient une consolidation du pouvoir personnel. « Kagame est un bâtisseur, mais le Rwanda mérite une démocratie véritable, pas un culte de la personnalité », souligne un analyste politique basé à Nairobi.
Des arguments récurrents pour légitimer les révisions
Les chefs d’État s’appuient souvent sur des arguments rodés pour justifier leurs démarches. La stabilité politique et le développement économique reviennent fréquemment comme leitmotivs. Denis Sassou-Nguesso, au pouvoir en République du Congo depuis des décennies, affirmait en 2015 : « Mon devoir est de guider le pays dans une période de turbulences. Une alternance prématurée pourrait compromettre nos acquis. » Ces discours, bien qu’apaisants en apparence, masquent souvent une volonté de monopoliser le pouvoir.
Dans certains cas, les réformes sont présentées comme une réponse à des demandes populaires. Au Cameroun, Paul Biya, président depuis 1982, a maintenu son règne par des amendements constitutionnels successifs. Les partisans du régime défendent une figure expérimentée dans un pays confronté à des défis sécuritaires complexes. Dans une interview accordée à France 24 en 2018, Kah Walla, une figure politique et militante des droits humains au Cameroun déclarait : « Le problème fondamental du Cameroun est que nous avons un gouvernement qui est au pouvoir depuis 36 ans et qui n'a aucune intention de permettre une transition démocratique. »
Les conséquences sur les institutions et les populations
Le contournement des limitations de mandats affaiblit durablement les institutions démocratiques africaines. Les parlements, lorsqu’ils sont dominés par des majorités acquises au président, peinent à jouer leur rôle de contre-pouvoir. En Côte d’Ivoire, la modification constitutionnelle de 2020, qui a permis un troisième mandat d’Alassane Ouattara, a été perçue par beaucoup comme un recul démocratique. En 2020, Guillaume Soro, ancien Président de l'Assemblée Nationale avait dénoncé cette initiative en affirmant : « Cette révision constitutionnelle est une forfaiture qui menace la paix et la stabilité de notre nation. » Il avait également souligné que cette démarche « ouvre la voie à une présidence à vie, en contradiction totale avec les principes démocratiques que nous avons toujours défendus ».
Au-delà des institutions, les populations sont souvent les premières victimes de ces dérives. Les protestations contre ces révisions se heurtent fréquemment à une répression brutale. Au Burkina Faso, en 2014, Blaise Compaoré a dû fuir le pays après avoir tenté de modifier la Constitution pour prolonger son règne. L’insurrection populaire qui s’en est suivie a montré que la jeunesse africaine ne reste pas passive face aux tentatives de confiscation du pouvoir. « Les gens ont compris que c’est en se levant qu’ils peuvent défendre leur démocratie », explique Serge Bayala, membre Rassemblement des intelligences pour la souveraineté de l'Afrique (RISA) .
Des perspectives limitées pour la démocratie en Afrique
Si la résistance populaire et la pression internationale permettent parfois d’endiguer ces pratiques, la lutte reste inégale face à des régimes solidement installés. Les contre-pouvoirs sont souvent trop faibles pour freiner des ambitions présidentielles, et les sociétés civiles peinent à mobiliser durablement.
Si de nombreux dirigeants africains cherchent à s’accrocher au pouvoir en manipulant les constitutions, des exemples, bien que rares, démontrent qu’une transition pacifique est possible. La République démocratique du Congo (RDC) illustre cette dynamique avec l’ancien président Joseph Kabila. Après avoir dirigé le pays pendant 17 ans, Kabila a laissé place à une alternance démocratique en 2019, malgré les rumeurs persistantes sur une possible révision constitutionnelle pour prolonger son mandat.
« J’ai pris cette décision dans l’intérêt supérieur de la nation », avait déclaré Kabila dans une rare adresse publique. Cette alternance, bien que critiquée pour son opacité, a été perçue comme un signe d’espoir pour une démocratie en construction. Elle a également montré que les pressions populaires et diplomatiques pouvaient peser dans la balance face à un régime solidement établi.
Au Sénégal, l’exemple de Macky Sall, qui a renoncé à briguer un troisième mandat en 2024, pourrait marquer un tournant. « Ce choix donne une leçon de maturité politique à toute l’Afrique », estime Amadou Ba, Ancien Premier ministre du Sénégal. Mais pour que cet exemple inspire d’autres dirigeants, un changement de mentalité s’impose. « Il faut que les institutions soient plus fortes que les hommes », conclut-il.
Ces précédents démontrent que des choix responsables, à la fois de la part des dirigeants et des institutions, peuvent permettre à la démocratie africaine de progresser. Toutefois, pour que cette progression devienne une norme, il faudra que les contre-pouvoirs soient renforcés, que la société civile reste vigilante et que les dirigeants actuels et futurs comprennent qu’un véritable leadership se mesure aussi à la capacité de céder le pouvoir dans la paix.
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