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Togo : Notoriété perdue des Nana Benz

Elles ont fait la pluie et le beau temps au grand marché de Lomé. Les puissantes femmes commerçantes de wax, bien connues sous l’appellation Nana Benz ont résisté au temps. Mais depuis quelques années, elles ont perdu de leur notoriété d’antan. Plusieurs facteurs expliquent une telle situation.

Les Nana Benz , spécialisées dans la vente de pagnes détenaient une grande partie de l’économie togolaise. Très influentes dans toute l’Afrique de l’Ouest voire au-delà de par leurs activités, elles avaient le monopole de la distribution et de la commercialisation du Wax hollandais. Elles avaient ainsi fait les beaux jours de l’économie togolaise dans les années 1970 jusqu’en 1990.

Dédé Creppy est l’une de ces Nana Benz qui ont institué un important empire de vente de pagne au Togo. « La localité d’où je suis originaire, nous ne faisons que du pelage. C’est après mon mariage que j’ai découvert la vente du pagne par l’entremise de la belle-mère. C’est au Ghana que nous nous approvisionnons avant l’arrivée de Vlisco Africa Company au Togo. Après le VAC, il y a eu CFAO, Sika, Scoa, S3G. Ces sociétés nous fournissaient les pagnes », se remémore Dédé Creppy, l’actuelle présidente des femmes, revendeuses de pagne.

Cette fonction l’a conduit à approcher l’ancien président togolais Gnassingbé Eyadema. Elle a participé aux voyages présidentiels, aux événements mondains et autres tournées de l’ancien chef de l’Etat dans le pays. De ce succès commercial, les Nanas Benz ont récolté des fruits qui font leur fierté. « Nous sommes des femmes travailleuses, mariées, mère de familles et très indépendantes. Nous avons payé des études à nos enfants jusqu’à l’université en Europe. » Mais la fierté ne se limite pas là. Elles ont aussi su jouer dans le clinquant. D’ailleurs leur surnom vient de cette primauté dont elles se revendiquent. « Nous sommes les premières femmes en Afrique à avoir acheté les voitures de marque Mercedes Benz. » revendique avec fierté madame Dédé Creppy.

Victimes de la crise politique et de la dévaluation

En 1990, le Togo connait une crise sociopolitique qui va secouer les activités du pays. Le commerce fleurissant des Nanas benz connait une chute vertigineuse. L’influence de ces puissantes commerçantes s’instompe au fur et à mesure que la crise s’installe. 

Pour autant, il fallait qu’elles trouvent des solutions viables afin de sortir de la crise. Nombreuses ont fait appel à la nouvelle génération pour redynamiser le secteur. « Entre 1995 et 2000, nous avions pensé qu’il nous fallait faire place à la jeunesse. Beaucoup de jeunes femmes ne se reconnaissaient plus en nous. Il leur fallait d’autres modèles. » explique madame Creppy. Elles ont alors fait place à leurs propres enfants qu’elles avait préparé pour une la succession. Mais la reprise a été difficile avec la détérioration de l’activité économique due à la dévaluation plusieurs mois plus du franc CFA.

Les Nanas Benz ne réussissaient plus à faire face aux charges de cette activité autre fois bénéficiaire. Les clientes n’avait plus les moyens de s’offrir des nouveaux tissus. Les prix avait fortement augmenté, jusqu’à être multiplié par quatre. Il devenait alors très difficile pour le togolais de s’acheter du Wax quatre fois plus chers qu’ils ne l’achetaient quelques mois plus tôt. « Même la clientèle de la sous-région a eu des difficultés à continuer à s’approvisionner  nous. » se rappelle une Nana Benz.

La concurrence du Wax venu d’Asie

Si La domination du marché du tissu par les commerçantes togolaises a été facilité par un statut de quasi monopole dont elles jouissaient auprès de la société hollandaise Vlisco. « Il faut reconnaitre que l’implication du Président Eyadema, nous a énormément aidé. Par lui, nous avions obtenu un monopole dans la commercialisation du tissus Wax en Afrique. » confirme la présidente des femmes, revendeuses de pagne.

Mais c’était aussi avec le concours malheureux du Ghana voisin, grand distributeur des pagnes, qui était fortement secoué par une successions de coups d’état  en  1972, 1978, 1979. Les puissantes femmes togolaises du Wax faisaient alors la loi sur le marché. Elles fournissaient bien évidement le Togo, la sous-region et aussi l’Afrique centrale. Lomé était alors la capitale du Wax. 

Mais dans les années 2000, un nouvel acteur a envahi le marché. Le géant chinois a commencé à imprimer du tissu. La marque Hitarget a rapidement envahi le marché togolais et de nouvelles commerçantes ont saisi l’opportunité pour entrer dans la commercialisation du pagne. Même si le Wax asiatique en général et chinois en particulier n’est pas de la même gamme que le Wax hollandais imprimé à la cire, il présente un meilleur rapport qualité - prix au vu de la bourse de la ménagère africaine. En effet, aujourd'hui dans les marché africains, le Wax hollandais est vendu entre 40 000 et 80 000 CFA alors que ceux importé d'Asie sont vendus en 2 500 et 7 000 CFA.

Ainsi, la ruée vers les nouvelles commerçantes qui sont donc devenues des concurrentes des Nana Benz a été remarquable ; ce qui a cassé la clientèle des Nana Benz. Cette tendance se poursuit aujourd’hui avec l’existence de la copie même du Wax hollandais sur le marché africain et qui coûte moins cher que l’original vendu dans les boutiques huppées des héritières des Nana Benz.

Les incendies du grand marché de Lomé

Le fait récent qui a consacré la disparition de plusieurs Nana Benz dans le circuit de la commercialisation du page reste les incendies du grand marché de Lomé. Ces incendies survenus dans la nuit du 11 au 12 janvier 2013 ont causé d’énormes dégâts. 

Près de 2000 personnes ont été directement touchées par ces incendies et l’assistance du gouvernement n’a rien pu faire. Les dispositions prises pour permettre à ces femmes battantes de reprendre leurs activités avec la mise en place d’un marché provisoire n’ont pas arrangé la situation. Le marché provisoire d’Agbadahonou ne brille que par la mévente. La reconstruction du marché promise par le gouvernement est toujours à l’étape de la pose de la première pierre depuis plus de sept (7) ans. 

Plus de mille au départ, les Nana Benz ont perdu plusieurs de leurs camarades. Aujourd’hui, elles ne sont plus qu’une quinzaine à constituer les clients de Vlisco Africa Company au Togo. « Certaines sont fatiguées par l’âge et d’autres ont perdu leurs fonds de commerce », a expliqué Dédé Creppy 

Mais l’héritage des Nana Benz continue de persister et les empires qui ont été institué continuent de fonctionner dans la plupart des cas. C’est le cas de Yvette Babavi Mensah-Sivomey, fille de Dédé Creppy, présidente de l’Association professionnelle revendeuse de tissus (APRT). Diplômée d’une école de commerce en France, elle a pris la succession de sa mère. Âgée d’une quarantaine d’années, elle assure la pérennité du capital constitué par sa mère.

Didier Assogba
Correspondant à Lomé



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