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Au Nigeria, la résurrection de la boxe

Lorsque Saleh Fawaz a décidé d'organiser son premier match de boxe à Lagos, il n'attendait pas plus de 500 spectateurs. Finalement, plus de 800 billets ont été vendus et des dizaines d'amateurs de combats ont dû rester aux portes du gymnase.

Les gradins étaient combles, la musique poussée à fond et les drapeaux nigérians ont flotté autour du ring.

Passionné de boxe, M. Fawaz, 31 ans, jeune entrepreneur dans l'industrie du pétrole, est devenu en deux mois promoteur de boxe professionnelle à plein temps.

"Je connaissais beaucoup de jeunes boxeurs extrêmement talentueux. Je me suis vite rendu compte qu'ils n'avaient pas assez d'argent pour payer leur licence ou même manger suffisamment pour s'entraîner", raconte-t-il à l'AFP.

Il décide de les aider en payant ci et là du matériel ou des licences. "Mais finalement, ce qui manquait le plus c'était des événements, une plate-forme où ils pouvaient montrer leur talent", estime le jeune homme.

Si la boxe était le sport le plus populaire au Nigeria jusque dans les années 1950-1960, elle a ensuite presque disparu des écrans et des gymnases jusqu'au début des années 2000.

Michael Gennaro, historien du sport à l'université américaine de Bossier Parish Community College, a été "stupéfait" en feuilletant les archives des journaux locaux. "Dans les années 1960, il n'existait pas un jour sans article sur la boxe. Les gamins nigérians collectionnaient des images de boxeurs et le pays a eu deux champions du monde en 1957 et 1962", explique-t-il. Hogan Bassey fut titré en 1957 en catégorie poids plumes et Dick Tiger en 1962 chez les poids moyens, ce dernier étant également sacré en 1966 dans la catégorie des mi-lourds.

- Politisation -

Dans l'Afrique post-coloniale, la boxe est populaire dans tous les anciens territoires britanniques. Et, au Nigeria, elle bénéficie de sponsors locaux généreux.

Mais tout s'arrête abruptement avec le début des dictatures militaires, dont les dirigeants successifs ne voient aucun prestige international dans la boxe.

Dick Tiger, légende vivante dans les années 1960, politise le sport, en préférant représenter le Biafra, région réclamant son indépendance, plutôt que le Nigeria. "Comme avec Mohamed Ali qui a refusé de participer à la guerre du Vietnam, Tiger est devenu un symbole de rébellion, l'ennemi public numéro un", relève Michael Gennaro.

En quelques années, la boxe nigériane s'effondre, manquant de sponsors. Elle est devenue le sport des esprits rebelles et contestataires. "S'il n'y a pas d'argent, il n'y aucune raison de boxer", souligne l'historien.

- Revirement -

La situation change à partir de 2004 grâce à un homme, Adewunmi Ogunsanya, directeur du bouquet satellite Multichoice Nigeria. Avec sa chaîne GO Tv, il organise depuis cette date la "nuit de la boxe", suivie par des millions de téléspectateurs en Afrique.

En 2016, Olaide "Fijaborn" Fijabi, vainqueur de la soirée, remporte un chèque d'un million de nairas (2.200 euros). "La vérité, c'est que je n'avais jamais voulu devenir pro", confie-t-il alors dans la presse locale.

"Il n'y avait aucune raison de vouloir être pro au Nigeria, il n'y avait pas beaucoup d'opportunités de combattre", raconte le poids super-léger. "Je n'avais jamais imaginé gagner autant d'argent avec la boxe. Maintenant, je veux devenir milliardaire."

"C'est en popularisant ce sport que l'on trouvera notre prochain champion du monde nigérian. Et c'est avec de grandes figures locales que nous attirerons des sponsors", explique Jenkins Alumona, promoteur pour Flykite Production et organisateur de la soirée.

Parmi les 300 professionnels nigérians, "nous avons maintenant trois champions africains, un champion dans le Commonwealth et six champions régionaux", se targue cet ancien journaliste sportif.

- "Devenir riche" -

C'est en regardant des combats que Cynthia, adolescente de 17 ans du quartier pauvre de Bariga, a décidé de se lancer. Elle s'entraîne le weekend sous les arbres de l'école publique, coachée par Always Kazeem, ex-coiffeur reconverti dans la boxe professionnelle.

"Je veux devenir championne", raconte la jeune fille, le regard aussi acéré que son crochet droit. "Je veux devenir riche et je sais que, grâce à Dieu, j'y arriverai. La boxe a déjà changé tant de choses dans ma vie, je suis allée dans des endroits où je n'aurais jamais rêvé aller avant, comme à Elite Box sur Victoria Island par exemple."

Victoria Island, un quartier riche au sud de Lagos (et qui n'est pas une île), n'est qu'à une douzaine de kilomètres du quartier grouillant et malfamé de Bariga. Mais dans un pays où les inégalités sociales sont parmi les plus importantes au monde, il semble à des années-lumière.

Rehia Osagie, qui a fondé le club d'Elite Box il y a deux ans pour l'élite branchée de Lagos, ouvre aussi ses portes aux boxeurs professionnels dépourvus d'équipement pour s'entraîner.

"Il y a beaucoup de talents dans ce pays (de 190 millions d'habitants), et un vrai engouement, mais cela reste très difficile encore de vivre de la boxe au Nigeria", regrette le coach. "Ceux qui arrivent vraiment à percer sont ceux qui ont quitté le pays."

Anthony Joshua aurait souhaité représenter le Nigeria, le pays de ses parents, aux jeux Olympiques de Pékin en 2008.

Mais la fédération nigériane a rejeté sa candidature car il s'était présenté en retard lors des qualifications. En 2012, celui qui est désormais reconnu comme l'un des plus grands boxeurs de sa génération est devenu champion olympique dans la catégorie des super-lourds. Chez les professionnels, il a depuis été sacré champion du monde des poids lourds (WBA-IBF-WBO-IBO) sous les couleurs du drapeau britannique, même si lors de ses derniers combats il a insisté pour monter sur le ring avec celui du Nigeria aux côtés de l'Union Jack.



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