Sport


AfriqueCoronavirus

Face à l’épidémie de Covid-19, le sport africain dans le creux de la vague

Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, le sport africain vit un paradoxe. Celui d’avoir vécu un arrêt des compétitions prématuré, alors que le virus n’était pas encore très répandu sur le continent. Toutes les compétitions sont suspendues depuis trois mois et l’impact pour les sportifs et le sport africain dans son ensemble est considérable. Mais alors que les compétitions reprennent progressivement en Europe, la propagation de plus en plus rapide du virus en Afrique inquiète les acteurs du monde du sport africain.

Gérer la crise actuelle, se préoccuper de l’après plus tard. Voilà le mot d’ordre du sport africain depuis plusieurs longues semaines et le début de la pandémie de Covid-19. Celle-ci n’a toujours pas atteint son pic épidémique en Afrique mais les compétitions et sportifs du continent vivent depuis mars un arrêt prolongé. Dès le début de la crise sanitaire mondiale, l’ensemble des pays africains ont appliqué d’importantes mesures de protection, alors qu’un misérabilisme ambiant s’inquiétait d’une propagation du virus sur le continent africain.

Parmi ces mesures, la suspension de toutes les compétitions sportives. Seul le championnat de football du Burundi a continué de se dérouler, alors que les autorités locales invoquaient "la grâce divine" pour expliquer le peu de cas de coronavirus dans le pays. Ailleurs sur le continent, l’ensemble des athlètes ont subi un arrêt forcé, qui entraîne forcément d’importantes questions sur l’état du sport africain à la sortie de la crise sanitaire actuelle. "À la moindre secousse, le sport africain est forcément touché", explique Lassana Camara, journaliste mauritanien très influent sur le continent. "Le sport est très fortement impacté par la crise actuelle, c’est tout un fossé qui se creuse pour le sport africain."

Face à la gravité de la situation, plusieurs championnats de football ont déjà prononcé l’annulation de la fin de saison, comme au Soudan du Sud, en Guinée, au Kenya, en Éthiopie, au Burkina Faso ou encore au Niger. D’autres prévoient un retour à la compétition dans plusieurs mois, comme la Tunisie en août, la Mauritanie et l’Algérie en septembre ou le Sénégal en novembre. Et pour les autres sports, les perspectives de reprise ne sont pas plus réjouissantes. Des longues semaines d’arrêt qui provoquent nécessairement de grandes inquiétudes au sein des institutions sportives, des clubs et chez les sportifs.

Le sport africain inquiet face à l'accélération de l'épidémie

"Il n’y a plus de compétition, donc on stagne et on ne progresse plus du tout", regrette David Ojong, secrétaire général du Comité national olympique et sportif du Cameroun (CNOSC), qui poursuit : "Ça devient également très difficile pour les sportifs, qui vivent de l’argent qu’ils gagnent grâce au sport". "Mes revenus ont été grandement affectés par l’épidémie, car je gagne ma vie en participant à des courses à l’étranger pour remporter les prize money", affirme le Kenyan Geoffrey Kirui. Basé au Kenya, le médaillé d’or au marathon des championnats du monde d’athlétisme de 2017 ne touche pas d’aide du gouvernement local et ne sait pas quand il pourra à nouveau se déplacer hors d’Afrique : "Je suis très inquiet parce qu’il faut qu’on puisse payer les factures d’électricité, la nourriture, le loyer…"

Et l’inquiétude grandit de jour en jour. Car si le continent africain n’était jusque-là pas trop touché par le virus pour plusieurs raisons (jeunesse de la population, expérience acquise dans la gestion d’autres épidémies, mesures précoces), les dernières nouvelles sont plus alarmantes. Le 11 juin dernier, le continent a dépassé la barre des 200 000 cas avec une accélération récente de la pandémie. "Il a fallu 98 jours pour atteindre la barre des 100 000 cas et seulement 18 pour franchir celle des 200 000", a averti Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’Afrique.

"L'impact va être violent"

"La situation est très inquiétante", juge Lassana Camara, pour qui "le football est la locomotive du sport africain. Quand le football va bien, tout va bien". Mais justement, selon le journaliste mauritanien, "beaucoup de clubs ne vont pas se relever de cette crise." Dans un football africain où l’on pense davantage aux équipes nationales qu’aux clubs, les conséquences pourraient être catastrophiques pour certaines formations. "L’impact va être violent, mais on ne sait pas encore dans quelle mesure", confirme Benoît You, directeur général de l’ASEC Mimosas, l’un des plus grands clubs de Côte d’Ivoire.

La Ligue 1, le championnat de football ivoirien, a été suspendu mais aucune date n’a encore été retenue pour la reprise. Une incertitude frustrante alors qu’il n’existe pas en Côte d’Ivoire, comme dans l’ensemble des pays africains, de mécanisme de chômage partiel. Les salaires des joueurs n’ont pas été baissés par l’ASEC, alors "qu’on n’a pas de revenus depuis trois mois", explique le directeur général du club. Au Sénégal, c’est l’existence même de la Fédération de football (FSF) qui est en péril. Alors que cette dernière finance intégralement le fonctionnement du championnat sénégalais, elle ne peut plus compter sur les revenus engendrés par les matches de sa sélection nationale, l’une des meilleures du continent. "L’absence de compétitions internationales impacte notre budget parce que les matches de l’équipe nationale ont été annulés. Toutes ces ressources sont perdues", regrette Augustin Senghor, président de la FSF.

Les clubs des pays du Maghreb, où le football est davantage structuré et plus solide, vont également payer un lourd tribut en raison de la crise actuelle. Au Maroc, "c’est très très difficile pour les clubs", explique Mustapha El Haddaoui, président du syndicat des joueurs marocains depuis 2007. Les subventions des régions et des mairies à destination des clubs professionnels ont été suspendues pour être consacrées à la lutte contre le coronavirus. Résultat, certains clubs dans le rouge financièrement "ont tout simplement arrêté de payer les salaires des joueurs sans leur consentement", regrette El Haddaoui. Pour venir en aide à ces sportifs en difficulté, le syndicat leur a versé un mois de salaire en compensation.

La CAF et la FIFA en ordre de marche

Face à la crise, les instances du sport africain ne sont pas passives et tentent de lutter pour soutenir les clubs et les sportifs. Le Comité national olympique et sportif du Cameroun a ainsi récemment décidé de venir en aide à certains athlètes "dont la vie dépendait des compétitions auxquelles ils participaient", explique David Ojong, secrétaire général du CNOSC. La FIFA et la Confédération africaine de football (CAF) n’ont pas encore imaginé d’aide d’urgence au sport africain, mais les deux organisations ont anticipé des versements annuels prévus en fin d'année. La FIFA a ainsi versé à chaque fédération du continent les 500 000 dollars (442 000 euros) du programme Forward. Des fonds généralement alloués à des programmes de développement qui seront distribués cette fois selon les volontés des fédérations, "à charge de justification", explique Augustin Senghor, président de la FSF, qui pourrait verser cet argent "aux clubs et acteurs du football dans le besoin".

La CAF a également débloqué 10,8 millions de dollars (1,59 million d'euros) qui devaient être versés à la fin de l’année, soit 200 000 dollars (177 000 euros) par fédération. "On a dû débloquer cette aide pour les clubs, parce qu’ils ne pouvaient pas survivre autrement", explique un proche d’Ahmad Ahmad, président de la CAF. Pour Lassana Camara, ces aides ne sont cependant pas suffisantes et "le problème est la corruption et la mauvaise gestion de l’argent public, ce qui fait que cet argent n’arrive jamais à destination". "La CAF doit davantage aider les clubs et les fédérations", poursuit le journaliste mauritanien. Une aide plus large envisagée par la confédération, qui "évalue l’opportunité d’un soutien financier supplémentaire aux associations membres pour la reprise et l’organisation de leurs compétitions nationales."

Si la crise et l’impact sur le sport africain risquent d’être profonds, David Ojong juge que "nous avons la capacité de surmonter cette crise dès que la situation le permettra, pour que le fossé ne se creuse pas entre le sport africain et le reste du monde." "Je pense qu’on va dépasser cette situation. On va repartir sur de nouvelles bases qui permettront d’aller vers une meilleure professionnalisation", explique Augustin Senghor. Mais pour le moment, "la clé est de rester en vie en attendant que ça se passe", soutient Benoît You, directeur général de l’ASEC Mimosas. "On gère le pendant du mieux possible, avec toutes les incertitudes et toutes les inconnues. Bien sûr qu’on réfléchit à l’après, mais il faut d’abord rester en vie."

France Info



Sport