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Les réseaux sociaux, nouvelles arènes du débat démocratique en Afrique ?
Les réseaux sociaux sont aujourd'hui au cœur des débats politiques en Afrique, offrant une tribune aux voix dissidentes et aux citoyens souhaitant participer à la vie démocratique de leur pays. Cependant, cet espace de liberté d'expression est de plus en plus surveillé et restreint par les autorités. De récentes arrestations de journalistes et d'opposants politiques, notamment en République Démocratique du Congo (RDC), en Côte d’Ivoire et au Cameroun, témoignent de la volonté des gouvernements de contrôler le discours public. En RDC, la loi récemment votée sous l'impulsion du ministre de la Communication, Patrick Muyaya, est un exemple frappant de cette tendance à durcir la législation sur les réseaux sociaux. Il est temps de se pencher sur la manière dont ces lois affectent le débat démocratique en ligne en Afrique, tout en analysant les cas de plusieurs pays.
La montée des restrictions sur les réseaux sociaux
Depuis plusieurs années, les réseaux sociaux jouent un rôle crucial dans la mobilisation citoyenne et l'expression de critiques envers les gouvernements africains. Que ce soit pour dénoncer des fraudes électorales, exposer des affaires de corruption ou organiser des manifestations, ces plateformes numériques sont devenues un terrain privilégié pour les citoyens et les activistes. Cependant, ce pouvoir de mobilisation inquiète de nombreux gouvernements, qui y voient une menace à leur stabilité politique.
En République Démocratique du Congo, la situation a pris un tournant inquiétant avec le vote, en septembre 2023, d'une nouvelle loi sur l’usage des réseaux sociaux. Sous l’impulsion du ministre Patrick Muyaya, cette loi impose des restrictions sévères sur l’expression en ligne, en introduisant le délit de « fausse information » et en sanctionnant lourdement les propos jugés « diffamatoires » ou « subversifs ». Selon le texte de loi, toute publication sur les réseaux sociaux qui porte atteinte à « la sécurité de l'État » ou à « l'ordre public » peut désormais être poursuivie par les autorités.
Cette législation a suscité une vague de protestations de la part des organisations de défense des droits humains et des journalistes, qui y voient une atteinte directe à la liberté d'expression. « Il s’agit clairement d’une tentative pour faire taire les voix dissidentes et contrôler les informations diffusées sur les réseaux sociaux », a déclaré Jean Bosco Kadiombo, responsable du Syndicat national des journalistes congolais. Pour lui, cette loi est une réponse aux critiques croissantes exprimées en ligne contre le pouvoir en place, notamment concernant la gestion de l'insécurité dans l'Est du pays.
En Côte d'Ivoire, les tensions entre le gouvernement et les médias sociaux se sont également intensifiées ces derniers mois. Plusieurs journalistes d'opposition ont été arrêtés après avoir partagé des vidéos critiques envers le président Alassane Ouattara et son gouvernement. La situation a été particulièrement tendue lors des élections présidentielles de 2020, où les réseaux sociaux ont été inondés de critiques sur les fraudes électorales présumées. Des figures médiatiques, comme le journaliste Ferdinand Ayité, ont été ciblées pour leurs propos virulents. En avril 2023, Zoumana Coulibaly, un journaliste influent sur Twitter, a été arrêté pour « incitation à la violence » après avoir dénoncé les pratiques autoritaires du gouvernement.
Au Cameroun, la situation n’est pas meilleure. Les réseaux sociaux y sont également devenus un espace de surveillance pour les autorités, en particulier dans le cadre du conflit anglophone. Depuis le début de la crise, des journalistes et des activistes qui ont exprimé leur soutien aux séparatistes ont été arrêtés, leurs publications sur Facebook et Twitter servant de preuves à leur inculpation. L’exemple du journaliste Paul Chouta, condamné en 2022 pour « diffamation » après avoir publié une série de vidéos dénonçant la corruption au sein du gouvernement camerounais, est emblématique des dérives autoritaires dans le pays.
Une régression pour la liberté d'expression
La loi sur les réseaux sociaux, introduite par le Ministre de la communication, Patrick Muyaya en RDC, marque un tournant inquiétant dans la gestion des médias numériques sur le continent africain. Présentée comme une nécessité pour « protéger la stabilité du pays », cette législation s’inscrit dans une stratégie plus large visant à restreindre la liberté d’expression et à réprimer les critiques envers le gouvernement.
L’une des dispositions les plus controversées de cette loi est l’introduction du délit de fausse information, qui permet aux autorités de poursuivre quiconque diffuse des informations jugées incorrectes ou nuisibles à l’image du pays. En pratique, cela signifie que les journalistes, activistes ou simples citoyens risquent des peines de prison et de lourdes amendes s’ils partagent des contenus critiques sur les réseaux sociaux, même si ces informations sont véridiques mais dérangeantes pour le pouvoir.
Selon un rapport de l’Association Congolaise pour l'Accès à la Justice (ACAJ), cette loi représente une régression majeure en matière de droits humains et pourrait être utilisée pour « museler la presse indépendante et les voix dissidentes ». L’ONG Human Rights Watch a également dénoncé cette loi, soulignant que les autorités congolaises « se dotent de nouveaux outils pour réprimer l’opposition politique » sous couvert de lutter contre la désinformation.
La question de la désinformation est certes un enjeu réel en Afrique, où la prolifération des fake news peut avoir des conséquences graves, notamment lors des périodes électorales. Toutefois, les critiques estiment que cette loi n'est pas uniquement destinée à lutter contre les fausses informations, mais plutôt à renforcer le contrôle de l'État sur le débat public et à limiter la liberté d'expression.
Des réseaux sociaux sous haute surveillance en Afrique
Les réseaux sociaux, autrefois perçus comme des outils d’émancipation démocratique, se transforment progressivement en arènes surveillées où la liberté d'expression est de plus en plus encadrée par des lois restrictives. Cette tendance à restreindre l’espace numérique est présente dans de nombreux pays africains, et pas seulement en RDC, en Côte d'Ivoire ou au Cameroun.
En Ouganda, le président Yoweri Museveni a instauré une taxe sur les réseaux sociaux en 2018, obligeant les utilisateurs à payer pour accéder à des plateformes comme WhatsApp ou Facebook, dans une tentative claire de limiter l’utilisation des médias sociaux à des fins politiques. Cette mesure a été largement critiquée pour avoir eu un effet dissuasif sur l'utilisation des réseaux sociaux comme outils de mobilisation citoyenne.
De plus, des coupures d'Internet sont régulièrement utilisées comme outil de répression dans plusieurs pays d’Afrique. En 2021, lors des élections présidentielles en Ouganda et au Tanzanie, les gouvernements ont coupé l'accès à Internet pendant plusieurs jours pour empêcher la diffusion de critiques et de résultats électoraux alternatifs. Ces pratiques montrent à quel point les autorités voient dans les réseaux sociaux un danger pour le maintien de l'ordre établi.
Un avenir incertain pour la liberté d’expression en ligne
Si les réseaux sociaux ont incontestablement joué un rôle important dans la mobilisation citoyenne et le débat démocratique en Afrique, ils sont désormais confrontés à une régulation croissante qui menace de les transformer en espaces contrôlés par les gouvernements. La loi introduite par Patrick Muyaya en RDC est un exemple frappant de cette tendance à durcir la législation, avec des conséquences potentielles graves pour la liberté d’expression et la démocratie sur le continent.
Alors que la légitimité de ces mesures est souvent justifiée par la lutte contre la désinformation, les critiques pointent du doigt leur effet dissuasif sur les voix dissidentes. Dans ce contexte, les réseaux sociaux en Afrique, autrefois perçus comme des outils de libération, risquent de devenir de plus en plus des espaces de contrôle et de censure. Pour que la liberté d'expression continue de prospérer en Afrique, un équilibre doit être trouvé entre la régulation nécessaire et la protection des droits fondamentaux des citoyens.
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