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Hissène Habré et Idriss Deby : destins croisés de 2 présidents tchadiens

Tous les deux ont été président de la République du Tchad. L'ancien dictateur Hissène Habré a occupé le fauteuil présidentiel 1982 à 1990, tandis que le maréchal Idriss Deby Itno y a siégé de 1990 à avril 2021. 

Ce sont deux hommes que tout semble finalement lier. Le décès d’Habré (79 ans) surnommé «le Pinochet africain» intervenu dans la matinée du 24 août 2021 a rappelé celui de son ex-ami et allié Idriss Deby Itno tombé sous les armes, cinq mois plus tôt, le 20 avril 2021, des suites de blessures reçues alors qu'il commandait son armée dans des combats contre des rebelles dans le nord. Né en 1942 à Faya-Largeau (nord), Habré a grandi dans le désert du Djourab, au milieu de bergers nomades.

Devenu sous-préfet, il part étudier en France en 1963, à l’Institut des hautes études d’Outre-mer. Il étudie ensuite le droit à Paris, y fréquente l’Institut d’études politiques et fait son éducation politique en dévorant Frantz Fanon, Ernesto «Che» Guevara, Raymond Aron. De retour au Tchad en 1971, il rejoint le Front de libération nationale du Tchad (Frolinat), dont il prend la tête, avant de fonder avec un autre nordiste, Goukouni Weddeye, le conseil des Forces armées du Nord (Fan).

Alors que Deby lui est né en 1952 à Berdoba (nord-est du Tchad) dans une famille zaghawa, une branche du groupe gorane, présente de part et d'autre de la frontière tchado-soudanaise. Baccalauréat en poche, Deby entre à l'école d'officiers de N'Djamena, puis décroche à 25 ans son brevet de pilote à l’école de pilotage Amaury-de-La-Grange d’Hazebrouck, dans le nord de la France. Rentré au pays, il lie son destin à celui d'Hissène Habré et fait ses premières armes aux côtés de ce dernier. 

«Septembre noir» en commun

 En 1981, il n'a que 29 ans, Idriss Déby est nommé chef d'état-major adjoint des forces armées du Nord (les FAN) d'Hissène Habré. De ce fait, selon le récit de plusieurs médias, quand les rebelles entrent dans la capitale Ndjamèna, le 7 juin 1982,  Hissène Habré et Idriss Déby côte à côte. Le premier prend le pouvoir. Tandis que le second devient chef des armées adjoint. Deux ans plus tard, c’est sous son autorité qu’est menée la répression dans le Sud, connue sous le nom de « Septembre noir », visant à soumettre les comités d’autodéfense (les Codos).

Le duo ne fait pas long feu. A partir de 1983, Deby est promu commandant en chef des Forces armées nationales tchadiennes les FANT. Celles-ci mettront plusieurs années pour pacifier la zone méridionale du pays où écumaient plusieurs groupes rebelles connus sous le nom de Codo, pour désigner des commandos se réclamant du général Wadal Abdelkader Kamougué qui finira lui aussi par s'exiler au Congo puis au Gabon. En 1985, Habré envoie son cadet à Paris afin qu’il intègre la 23e promotion de l’École de guerre. Promu ensuite au grade de Colonel, Déby se rend en France où il suit les cours à l'Ecole Supérieure de Guerre Inter-Armées de 1986 à 1987.

De retour à N’Djamena, Idriss Déby est nommé « simple » conseiller du président avant que la rupture officielle ne soit entérinée en 1989. Le 2 avril, persuadé d’avoir décelé des signes de trahison, Habré accuse son cadet, ainsi que le cousin de ce dernier, Hassan Djamous, commandant en chef des armées, et Ibrahim Itno, le ministre de l’Intérieur, de fomenter un putsch.

Le 11, Djamous s’enfuit, avant d’être arrêté puis tué dans des circonstances troubles. Ibrahim Itno connaît le même sort. Déby, blessé, parvient à s’enfuir. Après des combats dans les montagnes d’Hadjer Marfaïne, il part pour Sirba, puis pour Al-Genaïna, dans le Darfour soudanais, où il se réfugie chez le chef de la prison centrale.

Déguisé en prisonnier, selon le récit qu’en fera plus tard Goukouni Weddeye repris par Jeune Afrique, Deby prend le chemin de Nyala, de Karnoi, puis de Khartoum, avec l’aide du chef zaghawa Abbas Koty, et rencontre Sadeq al-Mahdi, le Premier ministre soudanais, avant de s’envoler pour Tobrouk, en Libye, où l’attend Mouammar Kadhafi. Le 4 décembre 1990, les troupes fidèles à Déby s’emparent de N’Djamena et chassent Habré. Le nouveau pouvoir ouvre le pays au multipartisme. 

Une dictature peut en cacher une autre

Très vite, l’euphorie cède à la désillusion. Puisque, Roland Marchal, chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po Paris, tout est centralisé à la présidence. « Deby use de toutes les armes du pouvoir absolu en brutalisant la société », avance Roland Marchal. Son régime est régulièrement accusé par les ONG internationales de violer les droits humains. Ce fut le cas notamment dans les années 1990, quand sa Garde républicaine et sa police politique étaient accusées de tuer à grande échelle. Une dictature peut en cacher une autre.

La présidence d’Habré a fait périr quelque 40.000 vies, selon une commission d'enquête tchadienne. Des exactions par le truchement de sa police politique, la redoutable DDS, la direction de la documentation et de la sécurité. C’est peut être la raison pour laquelle la nouvelle de la mort d’Habré laisse presque de marbre Reed Brody, membre du Comité international de justice qui assiste les victimes du régime Habré depuis 1999.

« Habré restera dans l’histoire comme l’un des dictateurs les plus impitoyables, comme un homme qui a massacré son propre peuple pour s’emparer du pouvoir et s’y maintenir, qui a incendié des villages entiers, condamné des femmes à servir d’esclaves sexuelles à ses soldats et fait construire des cachots secrets pour infliger à ses ennemis des tortures moyenâgeuses », a-t-il dit à la mémoire de l’ancien président tchadien du 21 octobre 1982 jusqu’au 1 décembre 1990.

Si Habré a presque fait long, Deby lui s’est presque éternisé au pouvoir puisqu’il est officiellement élu en 1996, 2001, 2006, 2011 et en 2021 avec 79,32 %. Un régne pas de tout repos entre « complots et attaques ».

Comme ce fut le cas en février 2008 où un commandement militaire uni, regroupant les forces rebelles du RFC de Timan Erdimi, de l'Union des forces pour la démocratie et le développement de Mahamat Nouri, le CNT (Conseil national de transition) de Hassan al-Djineidi font une percée dans la capitale, ils sont stoppés grâce à l'aide de la France et de la Libye. L'ANT (L'armée nationale Tchadienne) perd son chef d'état-major Daoud Soumain.

Lors de ce coup manqué, la France a alors proposé au président de l'évacuer. Il a refusé, jurant de garder le pouvoir, ou de mourir, armes à la main. Un sermon qu’il a toujours honoré jusqu’au mardi 20 avril 202, où il tombe raide mort des suites de blessures reçues alors qu'il commandait son armée dans des combats contre des rebelles dans le nord. Et donc l’un péri par les armes, alors que l’aîné et prédécesseur à la présidence, Habré lui est tombé les armes presqu’à la main, en tentant vaille que vaille de lutter contre la puissance tutélaire de l’Occident qu’il a toujours accusé de tirer les ficelles à travers les Chambres africaines extraordinaires (CAE).

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