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Fatou Bensouda : une figure controversée de la justice internationale

Fatou Bensouda, procureure générale de la Cour pénale internationale (CPI) de 2012 à 2021, a marqué l'histoire de la justice internationale. Originaire de Gambie, elle a consacré son mandat à la lutte contre les crimes contre l'humanité et le génocide, se heurtant à des critiques sur son impartialité. Malgré les controverses, son travail a laissé une empreinte significative, notamment à travers les procès de figures politiques comme Laurent Gbagbo et Jean-Pierre Bemba.

Une carrière dédiée à la justice

Formée au droit en Gambie, Bensouda a débuté au bureau du procureur de son pays avant de rejoindre la CPI. En 2012, elle succède à Luis Moreno-Ocampo, devenant ainsi la première femme africaine à diriger cette institution. Son mandat de neuf ans a été marqué par un engagement fort envers les victimes et un désir d'appliquer la justice sans céder aux pressions politiques, notamment des puissances occidentales.

Lors de la conférence de l'Assemblée des États parties à la CPI en 2017, elle déclarait : « Nous devons rester fermes dans notre engagement à poursuivre les crimes les plus graves, indépendamment de l'identité de leurs auteurs. » Cependant, ses choix de prioriser certaines enquêtes ont alimenté les critiques.

CPI : entre universalité et accusations de partialité

La Cour pénale internationale, située à La Haye, a pour mission de juger les responsables de génocides, crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Elle intervient lorsque les juridictions nationales ne sont pas en mesure de le faire. Sous la direction de Bensouda, la CPI a poursuivi plusieurs affaires emblématiques en Afrique, renforçant l'image d'une cour davantage concentrée sur ce continent.

Laurent Gbagbo, ancien président de la Côte d'Ivoire, a été accusé de crimes contre l'humanité pour son rôle dans les violences postélectorales de 2010-2011. Lors de ce procès, Bensouda a insisté sur l’importance de la justice pour les victimes des violences : « Nous avons une obligation morale de rendre justice à ceux qui ont souffert. » Mais en 2019, la Cour a acquitté Laurent Gbagbo, jugeant que les preuves présentées étaient insuffisantes. Ce verdict a suscité de nombreuses critiques sur la solidité des enquêtes de la CPI et son impartialité. Laurent Gbagbo a quant à lui dénoncé « un procès politique » devant ses partisans à Abidjan, soulignant l'absence de preuves solides.

Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la République Démocratique du Congo, a également été jugé par la CPI. Accusé de crimes de guerre pour les exactions commises par ses troupes en Centrafrique, il a été condamné en première instance à 18 ans de prison en 2016. Toutefois, la chambre d'appel de la CPI a annulé cette condamnation en 2018, pointant des failles dans la collecte des preuves. Bemba et ses soutiens ont dénoncé un « acharnement » et une justice « instrumentalisée », remettant en question la neutralité de la Cour.

Les défis des preuves et de la collecte d'informations

L'un des principaux défis de la CPI sous la direction de Bensouda a été la collecte de preuves solides dans des zones de conflit. Dans les cas de Gbagbo et Bemba, le manque de preuves convaincantes a mis en lumière les limites des enquêtes menées sur le terrain. Bensouda elle-même a reconnu la difficulté de son travail, évoquant « les défis inhérents aux enquêtes menées dans des contextes de conflit », notamment lors de son discours devant le Conseil de sécurité de l'ONU en 2015.

Ces échecs ont ravivé le débat sur la capacité de la CPI à mener des enquêtes rigoureuses, mais aussi sur la pression exercée par les puissances internationales. L’administration américaine, sous Donald Trump, a imposé des sanctions contre Bensouda en 2020, notamment en réaction à ses tentatives d’enquêter sur les possibles crimes de guerre en Afghanistan. Pour elle, « la justice doit s'appliquer à tous, sans distinction », une position qu'elle a défendue lors de multiples interventions publiques.

Afrique : une cible privilégiée de la CPI ?

Malgré les principes affichés d'universalité, la perception d'une focalisation sur les affaires africaines a alimenté la défiance de plusieurs dirigeants du continent envers la CPI. Les États-Unis et certains pays européens ont par ailleurs critiqué la gestion de la Cour, tout en restant en retrait des procédures judiciaires internationales. De nombreux observateurs ont vu dans cette attitude un double standard.

En Afrique, des chefs d'État ont reproché à la CPI de cibler de manière disproportionnée leurs dirigeants. Laurent Gbagbo, après son acquittement, a déclaré devant ses soutiens à Abidjan : « La CPI n’a jamais été neutre dans ses choix de poursuites. Elle a souvent servi les intérêts des puissants. » Jean-Pierre Bemba a, de son côté, dénoncé un « procès politique » visant à écarter une figure influente de la scène politique congolaise.

L'héritage de Bensouda : entre succès et polémiques

Bensouda laisse derrière elle un bilan contrasté. D’un côté, elle a réussi à inscrire la CPI comme un acteur clé de la justice internationale, poursuivant des affaires complexes et tentant de maintenir une image de neutralité. De l’autre, les échecs judiciaires et les critiques sur sa gestion ont terni l’image de la Cour. Les acquittements de Gbagbo et Bemba ont soulevé la question de la capacité de la CPI à juger des cas politiquement sensibles.

Cependant, le rôle de la CPI dans la défense des droits des victimes reste indéniable. Lors de la conférence de l’ONU en 2019 à New York, Bensouda soulignait que « le cœur de notre travail est de rendre justice à ceux qui ont souffert ». Malgré les controverses, elle a contribué à renforcer la visibilité de la CPI et à mettre en avant l’importance de la lutte contre l’impunité.

L'avenir de la CPI et de la justice internationale

Aujourd'hui, la CPI doit faire face à de nouveaux défis, notamment le retrait de plusieurs pays africains de la Cour, mais aussi les tensions persistantes avec les États-Unis. Les enquêtes en cours sur des crimes récents, en Ukraine ou en Syrie, poseront la question de l’efficacité de la Cour à étendre sa compétence au-delà de l’Afrique.

L'héritage de Fatou Bensouda reste celui d'une combattante pour une justice globale, mais sa mission montre aussi les limites d'un système international où la politique influence souvent les procès. « L'histoire jugera si notre action aura eu un impact durable pour les victimes », affirmait-elle à la fin de son mandat en 2021.

En dépit des controverses, l'institution qu'elle a servie continue d'incarner l'espoir de millions de victimes à travers le monde, espérant voir leurs bourreaux enfin traduits en justice.

Oeil d'Afrique



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