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Russie – Ukraine : un effet collatéral de la crise géopolitique mondiale

Pour cerner la crise Russo-ukrainienne qui a débouché par l’annexion  de l’Ukraine par la Russie, il faut remonter à 30 en arrière notamment, lors de la chute du mur de Berlin en 1989, marquant ainsi d’une part la fin de la Guère froide qui s’est terminée sans signature formelle d’un accord de paix et d’autre part, par le démantèlement de l’empire soviétique (URSS). 

Par Rodrigue Fénelon Massala 

Des documents déclassifiés de l’OTAN parus il y a quelques jours dans plusieurs médias, montrent que Mikhaïl Gorbatchev avait reçu des assurances lors de la réunification des deux l’Allemagnes qu’il n’y aurait pas d’élargissement de l’OTAN aux frontières de la Russie. Ces engagements furent pris par les chefs d’Etat Bush père, Mitterrand, le chancelier allemand Helmut Kohl, et le premier ministre anglais de l’époque. Engagement confirmés dans des déclarations conjointes des ministres affaires Etrangères Américains James Baker, français Roland Dumas, Russe Chevardnadze  et par  le secrétaire général de l’OTAN de l’époque …

Plus tard le statut de l’Ukraine fut également traité en 1995 entre Bill Clinton et Boris Eltsine. Ce fut le consensus connu dans le jargon diplomatique sous le vocable du « double engagement ». Les faits suscités ci-dessus ont été confirmés par Roland Dumas le Samedi 12 mars dans une interview accordé à Sud Radio .    

En effet, le débat public sur l'Ukraine est une question de confrontation.  Mais savons-nous où nous allons s’interroge Henri Kissinger l’ancien secrétaire d’Etat américain dans le Washington Post ?  Dans ma vie dit-il, « j'ai vu quatre guerres commencées avec beaucoup d'enthousiasme et de soutien public, toutes auxquelles nous n'avons pas su comment mettre fin et dont trois nous nous sommes retirés unilatéralement ».  Le critère de la politique est de savoir comment elle se termine, pas comment elle commence.

La problématique du sujet ukrainien est bien souvent présentée comme une épreuve de force : si l'Ukraine rejoint l'Est ou l'Ouest. Où si elle doit rester neutre entre l’Est et l’Ouest ? Cependant, si l'Ukraine veut demeurer un Etat libre souverain, ce pays ne doit pas être l'avant-poste de l'un contre l’autre, l’Ukraine doit servir de pont entre les deux.

Par ailleurs, la Russie de son côté doit accepter que tenter de contraindre l'Ukraine à un statut de satellite, et ainsi déplacer à nouveau les frontières de la Russie, condamnerait Moscou à répéter son histoire de cycles auto-réalisateurs de pressions réciproques avec l'Europe et les États-Unis. 

Les pays occidentaux doivent admettre qui plus est que, pour la Russie, l'Ukraine ne peut jamais être simplement un pays étranger. L'histoire russe a commencé dans ce qu'on appelait Kievan-Rus. La religion russe s'est répandue à partir de là. L'Ukraine fait partie de la Russie depuis des siècles et leurs histoires étaient entrelacées auparavant.

Certaines des batailles les plus importantes pour la liberté russe, à commencer par la bataille de Poltava en 1709, se sont déroulées sur le sol ukrainien. La flotte de la mer Noire, le moyen de projection de puissance de la Russie en Méditerranée est basée par bail à long terme à Sébastopol, en Crimée. Même des dissidents célèbres comme Alexandre Soljenitsyne et Joseph Brodsky ont insisté sur le fait que l'Ukraine faisait partie intégrante de l'histoire russe et, en fait, de la Russie.

Les Ukrainiens sont l'élément décisif. Ils vivent dans un pays à l'histoire complexe et à la composition polyglotte. La partie occidentale a été incorporée à l'Union soviétique en 1939 , lorsque Staline et Hitler se sont partagé le gâteau à l’Est ,avant que Hitler ne s’attaque à l’URSS. La Crimée, dont 60 % de la population est russe, n'a été intégrée à l'Ukraine qu'en 1954, lorsque Nikita Khrouchtchev, un Ukrainien de naissance, l'a décernée dans le cadre de la célébration du 300e anniversaire d'un accord entre la Russie et les Cosaques. L'ouest est en grande partie catholique ; l'est en grande partie orthodoxe russe. L'ouest parle ukrainien ; l'Est parle surtout le russe.

Toute tentative d'une aile de l'Ukraine de dominer l’autre, comme cela a été le cas conduirait éventuellement à une guerre civile ou à une rupture. Traiter l'Ukraine comme faisant partie d'une confrontation Est-Ouest ferait échouer pendant des décennies toute perspective d'amener la Russie et l'Occident en particulier la Russie et l’Europe dans un système international coopératif.

L'Union européenne doit reconnaître que sa lenteur bureaucratique et la subordination de l'élément stratégique à la politique intérieure dans la négociation des relations de l'Ukraine avec l'Europe ont contribué à transformer une négociation en crise. La politique étrangère est l'art d'établir des priorités.

De ce qui précède, il sied de souligner que l'Ukraine n'est indépendante que depuis 23 ans ; il avait déjà été sous une sorte de domination étrangère depuis le 14ème siècle. les dirigeants ukrainiens post-URSS n'ont pas appris l'art du compromis, encore moins de la perspective historique. La politique de l'Ukraine post-indépendance dit Henri Kissinger démontre clairement que la racine du problème réside dans les efforts des politiciens ukrainiens pour imposer leur volonté aux parties récalcitrantes du pays, d'abord par une faction, puis par l'autre.

C'est l'essence même du conflit entre Viktor Ianoukovitch soutenu par Moscou et sa principale rivale politique de l’époque, Ioulia Timochenko soutenue par l’occident. Les deux leaders susmentionnés représentent les deux ailes de l'Ukraine et n'ont pas voulu partager le pouvoir. Une politique américaine avisée envers l'Ukraine chercherait un moyen pour les deux parties du pays de coopérer l'une avec l'autre. Dans ce contexte, les partenaires ukrainiens membres de l’OTAN  au lieu de rechercher la réconciliation, ont plutôt œuvré à laisser émerger  la domination d'une faction contre l’autre .

 La Russie et l'Occident, et encore moins les diverses factions en Ukraine, n'ont pas agi selon ce principe. Chacun a aggravé la situation. La Russie ne pourrait pas imposer une solution militaire sans s'isoler à un moment où nombre de ses frontières sont déjà précaires. Pour l'Occident, la diabolisation de Vladimir Poutine n'est pas une politique ; c'est un alibi pour l'absence d'une autre alternative.

 Poutine devrait se rendre compte que, quels que soient ses griefs, une politique d'impositions militaires produirait une autre guerre froide. De leur côté, les Etats-Unis doivent éviter de traiter la Russie d'aberrant pour se faire patiemment enseigner les règles de conduite établies par Washington. Poutine est un stratège sérieux, sur les prémisses de l'histoire russe. Comprendre les valeurs et la psychologie américaines ne sont pas ses points forts ,précise un spécialiste de la politique internationale . La compréhension de l'histoire et de la psychologie russes n'a pas non plus été un point fort des décideurs américains fait observer Henri Kissinger dans une tribune dans le Washington post. 

Au stade de la crise actuelle , marquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie , ce qui constitue au regard de la charte des Nations-Unies une violation de la souveraineté de l’Ukraine , les dirigeants de toutes les parties devraient revenir à l'examen des résultats, et non rivaliser de postures comme le propose Henri Kissinger : Pour l’ancien secrétaire d’Etat Américain , l'Ukraine devrait avoir le droit de choisir librement ses associations économiques et politiques, y compris avec l'Europe.

« L'Ukraine ne devrait pas adhérer à l'OTAN », soutient Kissinger . « L'Ukraine devrait être libre de créer tout gouvernement compatible avec la volonté exprimée de son peuple ». Partant des propositions développées par Henri Kissinger pour ramener la paix à l’Est de l’Europe ,il nous paraît judicieux d’arguer que, les sages dirigeants ukrainiens opteraient alors pour une politique de réconciliation entre les différentes parties de leur pays. Sur le plan international, ils devraient poursuivre une posture comparable à celle de la Finlande. Cette nation ne laisse aucun doute sur sa farouche indépendance et coopère avec l'Occident dans la plupart des domaines mais évite soigneusement l'hostilité institutionnelle envers la Russie.

 Il est incompatible avec les règles de l'ordre mondial existant que la Russie annexe la Crimée. Mais il devrait être possible de mettre les relations de la Crimée avec l'Ukraine sur une base moins tendue. À cette fin, la Russie reconnaîtrait la souveraineté de l'Ukraine sur la Crimée. L'Ukraine devrait renforcer l'autonomie de la Crimée lors d'élections tenues en présence d'observateurs internationaux. Le processus comprendrait la suppression de toute ambiguïté sur le statut de la flotte de la mer Noire à Sébastopol.

 Ce sont des principes, pas des prescriptions. Les personnes familières avec la région sauront que toutes ne seront pas acceptables pour toutes les parties. Le critère n'est pas la satisfaction absolue mais l'insatisfaction pondérée. Si une solution basée sur ces éléments ou des éléments comparables n'est pas atteinte, la dérive vers la confrontation s'accélérera. Le moment pour cela viendra bien assez tôt.

L’Ukraine est-ce un cheval de Troie laissé sur la voie sans cavalier par  l’Occident ?

La crise ukrainienne nous révèle jour après jours les dessous d'un conflit qui a germé au fil des temps . Utiliser l’Ukraine pour neutraliser la Russie, ternir son image et lui infliger de lourdes sanctions économiques ? C’est ce que préconisait une étude d’un influent think tank américains  en 2019, spécialiste des stratégies de l’Otan. Manlio Dinucci en avait déjà parlé il y a trois ans chez nos confrères italiens de Il Manifesto

 A quelques encablures de la fin du mandat de Donald Trump, un groupe d’expert en géopolitique américain qui travaillent pour le compte de l’OTAN avait commencé à planifier la stratégie des Etats-Unis à contenir la Russie afin de la faire vaciller.  Le Think tank connu sous l’appellation de « La Rand Corporation qui a son quartier général à Washington, est “une organisation mondiale de recherche qui développe des solutions pour les défis politiques”. C’est un contingent de 1.800 chercheurs et autres spécialistes recrutés par 50 pays, qui parlent 75 langues.

Cette organisation a  des bureaux et autres sièges en Amérique du Nord, Europe, Australie et  dans le Golfe Arabo- Persique. Le personnel de cette entité stratégique américaine actionnée à l’époque de la guerre froide est établi dans plus de 25 pays. La Rand Corporation, qui s’auto-qualifie comme “organisation sans profit et non partisane”, est officiellement financée par le Pentagone, par l’Armée  et par les Agences de sécurité nationale (CIA et autres), par des agences d’autres pays et de puissantes organisations non-gouvernementales. 

La Rand Corp. Selon les informations en notre possession fait partie des cellules stratégiques qui ont activement et méthodiquement pris part à l’élaboration de la stratégie qui permît aux États-Unis de sortir vainqueurs de la Guerre froide, en contraignant l’Union Soviétique à consumer ses propres ressources dans l’exténuante confrontation militaire.

C’est la fameuse stratégie de la « course aux armements » mise en exergue par l’administration Ronald Reagan - Georges Bush. Partant de cette stratégie et dans le contexte actuel, le Think Tank « La Rand Corp », s’est appuyé sur la stratégie conçue durant la guerre froide pour élaborer en mai 2019 : « Overextending and Unbalancing Russisa », soit : contraindre l’adversaire à s’étendre excessivement pour le déstabiliser et l’abattre. Voilà les principales lignes directrices d’attaque tracées dans le plan de la Rand, sur lesquelles les États-Unis ont effectivement avancé ces dernières années dans les anciennes Républiques soviétiques notamment en Ukraine.

En effet le fameux plan de La Rand Corp préconise, l’attaque de la Russie sur son côté le plus faible, celui de son économie fortement dépendante de l’exportation de gaz et de pétrole : à cet effet, les pays membres de l’OTAN en accord avec leurs alliés vont utiliser les sanctions commerciales et financières et, en même temps, faire en sorte que l’Europe diminue l’importation de gaz russe, en le remplaçant par du gaz naturel liquéfié Américain. Un véritable paradoxe quand on sait que l’Europe qui a fait de la transition énergique son axe de politique environnementale à travers les différents Cop. Une équation complexe.  

Outre cet aspect des sanctions, le Rand Corp dans sa stratégie de faire vaciller la Russie développe une théorie idéologique et communicationnelle fondée sur l’instrumentalisation des protestations internes comme à l’époque des révolutions dite « Orange à l’Est » en vue de ternir l’image de la Russie à l’extérieur. Dans le domaine militaire il faut opérer pour que les pays européens de l’OTAN augmentent leurs forces dans une fonction anti-russe.

Les USA peuvent avoir de hautes probabilités de succès et de forts bénéfices, avec des risques modérés, en investissant majoritairement dans des bombardiers stratégiques et des missiles d’attaque à longue portée dirigés contre la Russie. Déployer en Europe de nouveaux missiles nucléaires à portée intermédiaire pointés sur la Russie leur assure de fortes probabilités de succès mais comporte aussi de grands risques. En calibrant chaque option pour obtenir l’effet désiré -conclut la Rand Corp,  la Russie finira par payer le prix le plus haut dans la confrontation avec les USA, mais ceux-ci et leurs alliés devront investir de grosses ressources en les soustrayant à d’autres objectifs.

C’est ainsi que  la Rand Corp en  2019 a fourni  des aides létales à l’Ukraine pour permettre à ce pays qui jouerait le rôle de cheval de Troie de l’OTAN à  exploiter  le plus grand point de vulnérabilité extérieure de la Russie, mais toute augmentation des armes et du conseil militaire fournis par les USA à l’Ukraine devrait être attentivement calibrée afin de provoquer les coûts pour la Russie sans provoquer un conflit beaucoup plus ample dans lequel la Russie, à cause de la proximité, aurait des avantages significatifs”.

C’est justement là -dans ce que la Rand Corporation définissait comme “le plus grand point de vulnérabilité extérieure de la Russie”, exploitable en armant l’Ukraine de façon “calibrée pour augmenter les coûts pour la Russie sans provoquer un conflit beaucoup plus ample”- qu’est advenue la rupture.

Prise dans l’étau politique, économique et militaire que les USA et l’OTAN resserraient de plus en plus, en ignorant les avertissements répétés et les propositions de négociations de la part de Poutine, la Russie a réagi avec l’opération militaire qui a détruit en Ukraine plus de 2.000 structures militaires réalisées et contrôlées en réalité non pas par les gouvernants de Kiev mais par les commandements USA-OTAN.

L’article qui, il y a trois ans dans  Il Manifesto et repris par « Investig Action » récemment, rapportait le plan de la Rand Corporation se terminait par ces mots : « Les “options” prévues par le plan ne sont en réalité que des variantes de la même stratégie de guerre, dont le prix en termes de sacrifices et de risques est payé par nous tous”. 

Nous sommes en train de le payer maintenant, nous les peuples européens, et nous le paierons de plus en plus cher, si nous continuons à être des pions sacrifiés dans la stratégie USA-OTAN, indique un analyste italien spécialiste des questions de géopolitique . 

Au regard de tout ce qui précède, force est de faire remarquer que l’Ukraine se retrouve prise au piège au jeu de dupe entre la Russie et les Etats-Unis. L’Ukraine qui pousser par les Etats-Unis et l’Union Européenne a manifesté son intention de plein gré a adhéré à l’OTAN,  malgré les avertissements de Moscou et de plusieurs analystes ne se rendait pas compte  qu’elle était en train de franchir la ligne Rouge.  

Seul Zelensky le président ukrainien ne comprenait pas que le monde se retrouvait dans une crise géopolitique où les Etats-Unis ne contrôlaient plus unilatéralement la sphère environnementale politique et commerciale mondiale s’est laissé instrumentaliser au point où il s’en  rend désormais  compte chaque jour que la crise persiste.

L’aide tant attendu n’arrive pas. L’OTAN exclu d’imposer une zone d’exclusion aérienne ; la Pologne joue à un jeu de Ping Pong avec les Américains sur la question des avions de combats. L’Europe exclu désormais toute adhésion rapide de l’Ukraine au sein de l’Union Européenne . En conséquence le cheval de Troie ukrainien que les Etats-Unis et ses alliés de l’OTAN ont voulu utiliser pour affaiblir la grande Russie a fini par céder dès la première embarcation des outils de l’OTAN.    

Au regard de tout ce qui précède, il sied de faire remarquer que,  dans la crise actuelle avec ses répercutions géopolitiques, la solution doit venir des négociations entre l'Ukraine et la Russie . A ce sujet le maître du Klemlin à déclaré aux médias russes le vendredi 11 qu’il y avait changements positifs dans les pourparlers avec l’Ukraine.

Outre toutes les initiatives pour parvenir à une cessation des hostilités, il sied de souligner la médiation souterraine menée par le premier ministre israélien Naftali Bennett qui a rencontré Poutine le samedi dernier et s’est ensuite rendu à Berlin pour rencontrer le chancelier Allemand puis qui s’entretien selon nos sources régulièrement avec Zelenski le président ukrainien.



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