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Victoire Shukuru : « Volcan Alert Bracelet », une solution qui permet aux parents de retrouver leurs enfants

Des jeunes entrepreneurs locaux à la rescousse de Goma et Nyiragongo, récemment frappés par l’éruption volcanique. Tandis que de nombreux enfants se sont égarés durant le déplacement, la réunification familiale devient un enjeu humanitaire saillant. Shukuru Victoire et son équipe de développeurs ont créé le bracelet Volcan Alert qui permet de retrouver l’enfant porteur grâce à ses informations personnelles et celles de ses parents contenues dans le dispositif, distribué gratuitement.

Oeil d'Afrique  : Victoire Shukuru, vous êtes un jeune entrepreneur de la ville de Goma. Vos collègues et vous avez mis en place le bracelet Volcan Alert. De quoi s’agit-il ?

Victoire Shukuru : mon équipe et moi avons créé une solution dénommée « Volcan Alert Bracelet », une solution qui permet aux parents de retrouver leurs enfants surtout en cette période où la population a subitement quitté la ville de Goma vers d’autres coins, à la suite de l’éruption volcanique.

Comment est-il conçu votre bracelet pour offrir cette solution et quel est son mode opératoire ?

Notre application est opère sou deux volets : le premier volet c’est celle où nous identifions l’enfant qui est encore avec ses parents ; le deuxième volet, c’est celle où nous identifions l’enfant qui est déjà séparé d’avec les siens. Dans la première partie, les agents de Volcan Alert font une descente dans le site où les gens se sont réfugiés et, en accord avec les parents, nous recueillons des informations en rapport avec l’identité des enfants que nous enregistrons dans notre base des données. Les informations qui sont utiles pour nous sont : le nom de l’enfant et sa photo, le nom, le numéro de téléphone et le site de déplacés où se trouve son parent ainsi que l’adresse de son domicile à Goma ou à Nyiragongo. Une fois ces informations dans notre base des données, nous les affectons à un bracelet que nous donnons gratuitement à l’enfant. Et là, on s’imagine que le jour que la population va quitter les sites de déplacement pour retourner à Goma, il y a une très forte probabilité que les enfants échappent encore une fois à l’attention de leurs parents.

Mais cette fois, si un enfant s’égarait sur le chemin de retour, facilement, les agents des terrains qui pourraient le retrouver devraient juste utiliser notre application pour scanner le code bar du bracelet. Directement, ils verraient les renseignements enregistrés précédemment au sujet de l’enfant, ce qui permet par exemple, d’appeler le parent de l’enfant ou de ramener directement ce dernier à son domicile, ce qui contribue au processus de réunification familiale.

Vous inventez la technologie après l’éruption. Certains enfants sont déjà égarés, quelle est votre marge d’intervention pour eux, en particulier ?

Bien sûr, le deuxième volet de notre solution, c’est là où l’enfant s’est déjà égaré, il est retrouvé sans ses parents. Ici, nous enregistrons l’enfant dans notre base des données. Les informations que nous récupérons c’est le nom et la photo de l’enfant, le numéro de téléphone et l’adresse du domicile de la personne qui a retrouvé l’enfant. Il y a une plateforme que nous avons créée sur le web où nous publions les images de tous les enfants qui se sont égarés et qui sont enregistrés dans notre base des données.

Facilement, un parent qui identifie le visage de son fils ou sa fille peut appeler gratuitement un numéro qui est à la portée de tout le monde. A notre niveau, nous demandons au parent de nous fournir des informations pour identifier son enfant, nous les comparons avec celles que nous détenons dans notre base des données. Si elles sont conformes, nous pouvons alors lui indiquer l’adresse où se trouve l’enfant et, là encore, nous contribuons à la réunification familiale.

À quel moment et dans quel contexte avez-vous eu l’idée de mettre en place cette technologie ?

Je me rappelle de la soirée du 22 mai, on recevait des messages de tout le monde. Chacun donnait des informations à sa guise. Tels disaient que la lave coulait dans une direction, tels disaient le contraire. Et nous avons décidé de créer un système de messagerie pour envoyer à la population des indications par rapport au chemin qu’ils doivent emprunter pour fuir. Je me rappelle que c’était même pendant cette période que l’on avait envoyé une lettre à l’Observatoire Volcanologique de Goma pour leurs proposer une collaboration. Ils avaient juste accusé réception et depuis plus rien. On a continué de travailler en équipe, on a payé un paquet de messages pour continuer à communiquer à la population, question d’avoir une information unique et lutter contre les fakenews. Le système est toujours fonctionnel d’ailleurs même après que la population est rentrée à Goma. Nous continuons à envoyer des messages en rapport avec la situation officielle du Volcan pour les rassurer et éveiller leur attention.

On est passé littéralement d’un service de messagerie à un dispositif d’enregistrement d’enfants égarés. Pourquoi cette migration ?

Ce qui nous a inspiré sur ce projet, c’est qu’on a suivi plusieurs statistiques rapportant que pas mal d’enfants se sont égarés, perdu contact avec leurs parents pendant la période suivant l’éruption volcanique et beaucoup de parents gaspillaient beaucoup d’argent pour passer des communiqués à la radio, à la télévision. Mais la multiplication des messages, d’avis de recherche dans les médias créait la panique dans le reste de familles qui recherchaient aussi leurs enfants. Personne n’était rassuré. Et nous, en tant qu’une équipe des développeurs, informaticiens avons pensé à cette solution pour qu’elle puisse soulager les familles.

Tout le monde pense à s’en fuir pour échapper à la lave volcanique, sauf vous. Où avez-vous tirez une telle énergie, une telle motivation ?

Nous étions une équipe de dix personnes, face à la réalité, un jour après l’éruption volcanique quand nous avons remarqué que c’était un grand souci, que les gens craignaient de perdre les enfants pendant qu’ils voulaient quitter Goma pour aller dans différents coin à l’abri de l’éruption. Nous avions décidé de mettre en œuvre et concrétiser ce projet. Ce qui nous a aidé, c’est que nous sommes tous des développeurs. Chacun pouvait travailler séparément sur une partie du projet, ce qui nous a permis de réaliser dans un délai très bref le projet en question.

À quelles modalités les sinistrés de Goma et Nyiragongo accèdent-ils à votre technologie ?

Notre produit est purement gratuit. L’accès à la plateforme en ligne est gratuite tout comme les bracelets qu’on a remis gratuitement. On a inventé cette technologie pour aider la population de Goma. La plupart de nos familles ont perdu leurs enfants au cours du mouvement de panique. Grâce à notre technologie, ils les ont retrouvés et, c’est ce qui nous réjouis en tant que développeurs. Quand vous développez quelque chose qui aide subitement des proches, des amis, des connaissances,… ça devient une fierté quoi !

Votre application fonctionne sur des smartphones. Beaucoup de familles à Goma et surtout dans le Nyiragongo n’ont pas de smartphone. Quelle alternative pour elles ?

Notre application ne concerne pas seulement les gens qui ont un smartphone. Même celui qui n’a pas un smartphone peut faire recours à son voisin, utiliser son appareil pour accéder à l’application et essayer de retrouver son enfant.

D’après l’Unicef, un millier d’enfants étaient séparés de leurs parents, une semaine après l’éruption. Pensez-vous pouvoir répondre à un tel besoin dans l’apostolat ?

Nous sommes entrain d’inviter certaines ONGs nationales et internationales pour nous venir en aide afin d’enrichir cette technologie pour que ce ne soit pas seulement pour l’éruption volcanique. Même pendant la période de guerre ou pendant une autre catastrophe naturelle, beaucoup d’enfants sont séparés avec leurs parents et, ça pourra toujours aider la population à retrouver leurs proches.

Plusieurs organisations sont actives sur le front en vue du retour des populations. Sont-elles au courant de votre invention ?

On a été en contact avec des responsables du Comité International de la Croix-Rouge et d’autres organisations qui œuvrent dans la réinsertion sociale des enfants. On leur a parlé du projet. Ils disent que le projet est intéressant, mais on doit rester en attente parce qu’ils pourront faire recours à nous d’un moment à l’autre. Mais en interne, on a pas voulu attendre le soutien de l’extérieur pour renforcer notre solution. Nous continuons de travailler avec nos moyens. Le moment venu, nous serons contents de recevoir l’aide du gouvernement ou d’ONGs. Nous en aurons toujours besoin surtout que l’idée est d’étendre ce projet à d’autres situations humanitaires mais aussi à l’Afrique. Nous voulons que cette solution soit expérimentée dans d’autres pays en Afrique en pas seulement au Congo.

Vous parlez des organisations non gouvernementales. Qu’en est-il du gouvernement ? Avez-vous bénéficié d’un accompagnement des autorités ?

C’est sûr qu’on n’a pas l’accompagnement du gouvernement pendant la période de l’éruption volcanique quand on mettait en œuvre notre solution « Volcan Alert Bracelet » mais avec les moyens issus de petites cotisations des membres de l’équipe, on a réussi à produire pas mal de bracelets. Puis le soutien de certaines personnes de bonne foi, nous a permis de produire une quantité estimable de bracelets et de faire une distribution gratuite auprès de plusieurs personnes qui étaient déjà réfugiées dans les coins les plus éloignés de Goma.

Le Nyiragongo entre en éruption après des décennies. A quoi servira le Volcan Alert Bracelet quand toutes les familles sinistrées seront à nouveau réunies ?

En fait, le projet est toujours en cours et il ne va pas se limiter seulement à l’éruption volcanique. Nous savons qu’il y a nos frères qui sont à Beni, en Ituri qui se séparent régulièrement avec leurs enfants en fuyant la guerre. Alors, ce bracelet serait utile même pour cette population-là. Mais pour répéter cet acte de distribution comme c’était le cas pendant la période d’éruption, nous avons besoin de l’accompagnement du gouvernement et des ONGs impliquées dans la question de l’enfant et de la population en général. Nous financer permettrait d’une part de produire plus de bracelet pour une distribution massive et d’autre part, ça nous permettrait de développer notre technologie.

Maghene Deba, Kinshasa - Oeil d'Afrique



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