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15 octobre 1987, Thomas Sankara aurait-il voulu quitter la scène en étant assassiné ?

Thomas Sankara est mort « assassiné » le 15 octobre 1987. Et c’est Blaise Compaoré qui a tué son ami, suivant le récit des deux Libériens, deux proches de Taylor, et qui dit Charles Taylor pense indubitablement à la CIA. Les deux Libériens ont été présents au moment de l’assassinat de Sankara, quand Compaoré vidait son arme sur son ami de plus de 30 ans. Sankara était pourtant armé ce jour-là, mais l’homme a toujours été armé, Il l’était aussi quand Blaise et le général Gilbert Diendéré ont fait leur irruption dans le bureau où il se trouvait. En fait, je me suis toujours demandé, et c’est pour élaborer une théorie et comprendre, pourquoi Sankara, qui était aussi armé, n’avait jamais réagi, ne fût-ce qu’en tirant une balle simplement par riposte ? Avant même son assassinat, à l’époque quand son garde de corps, qui connaissait aussi bien Blaise que Sankara lui-même, avait demandé à ce dernier l’autorisation de maîtriser le camp de Blaise. Pourquoi Sankara ne l’avait-il pas laissé faire ?

On ne devrait faire dire à mon intellect ce qu’il a toujours rejeté, et ce malgré lui, de croire que Thomas Sankara était à ce point si naïf. Dans une de ses interviews accordées alors qu’il était en vie, Sankara, en parlant de Blaise, affirmait que « Le jour où vous apprendrez que Blaise prépare un coup d’État contre moi, Ce ne sera pas la peine de chercher à vous y opposer ou même de me prévenir. Ça voudra dire que c’est trop tard et que ce sera imparable. Il connaît tellement des choses sur moi. Personne ne peut me protéger contre lui, s’il veut m’attaquer ». Des questions se posent et se poseront toujours. Sankara aurait-il préféré mourir ainsi, c’est-à-dire être tué par Compaoré, la main de son amie, qu’il a indirectement armée. Ainsi, son geste lui permettrait de quitter la scène, de dire adieu debout et le droit tourné contre la scène de l’histoire comme seuls savent le faire des hommes avec H majuscule : mourir pour l’écriture de l’histoire à la fois des hommes et celle de Burkina Faso Sankara aurait-il, je le dis au conditionnel, échoué dans son projet révolutionnaire ? Blaise Compaoré croyait exécuter son coup d’État. Il serait plutôt tombé, par ignorance, dans le piège de l’artiste, alors que ce dernier avait déjà décidé de s’en aller. Je m’en vais, mais en armant les bras les plus faibles d’un ignorant ? C’est ma thèse. On pourrait bien la considérer comme telle, mais une thèse reste quand même discutable. Bien sûr que je ne m’interdirais jamais de penser. D’ailleurs, je me donnerais la mort le jour où je m’en serais privé d’une manière ou d’une autre. Penser reste un bonheur, le plus important devant l’amour.

Des questions restent. Elles m’ont souvent dérangé jusqu’à ce que j’aie lu la version de la thèse de Jacques Attali sur la mort de Gandhi, la biographie que le camp du vainqueur a consacré à Gandhi, qui serait une histoire taillée sur mesure et qui était à coller à l’homme pour mieux vendre son idée de la non-violence face au maître. Gandhi, selon Attali, aurait préféré mourir ainsi, par assassinat afin de participer à la fabrique d’une âme indienne. C’est ce que je surnomme autrement la thèse de la sortie de l’histoire, la sortie de la scène par la porte de l’histoire, une sortie maîtrisée et mise en scène par les auteurs de leurs propres vies. Comparés aux hommes ordinaires, des grands hommes ne partent pas ainsi ? Je ne cherche pas à élaborer des affirmations, mais chaque phrase que j’écris est une question que je me pose. Même si la réponse à la question peut être battue en brèche, elle n’exclut pas son intérêt. Comment donner du sens à une vie à l’heure où le Congo se trouve à la croisée du chemin ? Le reste me préoccupe peu. Les commérages, je les laisse aux bons soins de ceux qui vivent normalement leur vie.

 

Mufoncol Tshiyoyo



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